Tandis que le monde a retenu son souffle en suivant avec angoisse le déroulement des événements autour d'une attaque chimique présumée en Syrie et de Donald Trump menaçant directement la Syrie de la frapper avec des missiles, une autre crise d'envergure vient de… retourner dans l'ombre.
Ce printemps, un dégel se dessine sur la péninsule coréenne: un sommet entre Séoul et Pyongyang, une rencontre éventuelle Kim-Trump, des visites de responsables nord-coréens dans différents pays, des échanges culturels avec la Corée du Nord. Le tout enrobé d'un mot qui sonne agréablement aux oreilles, dénucléarisation. La Corée du Nord aurait informé récemment les États-Unis de son empressement d'en discuter, ce qui soulève de nombreuses questions. Voici les réponses.
Que les deux parties comprennent-elles du terme «dénucléarisation»?
«Qu'est-ce que la dénucléarisation? Les parties la comprennent très différemment. Trump croit que lors d'une réunion avec lui, Kim Jong-un apportera son programme nucléaire sur un plateau d'argent et l'abandonnera, Kim Jong-un, en répétant les paroles de ses prédécesseurs, [déclarera] que la Corée du Nord est pour la dénucléarisation, pour le rejet des armes nucléaires», a déclaré le professeur Gueorgui Toloraïa, chef du Centre pour la stratégie russe en Asie à l'Institut d'économie de l'Académie des sciences de Russie. Il ajoute que Pyongyang sera guidé par le concept «Quand le monde entier renoncera aux armes nucléaires, la Corée du Nord renoncera aussi.»
Quelles armes sont en question dans la dénucléarisation?
La raison principale de l'existence de la Corée du Nord en tant qu'État réside dans le fait qu'elle a des armes nucléaires, a estimé l'expert indépendant sur les questions de non-prolifération Vladimir Novikov: «Par conséquent, parler de dénucléarisation n'est rien de plus qu'un geste politique, mais en réalité, il n'y aura pas de dénucléarisation dans un avenir prévisible, à moins que la situation change radicalement».
Gueorgi Toloraïa partage l'opinion de M.Novikov que la Corée du Nord ne renoncera jamais aux armes nucléaires. «La question est: quelle sera cette arme nucléaire et en quelle quantité. Le potentiel nucléaire nord-coréen doit être limité par le niveau de la défense raisonnable. Cela signifie que [la Corée du Nord, ndlr] n'a pas besoin de missiles balistiques intercontinentaux, ni d'un grand nombre de bombes H», note le professeur citant comme exemple les traités américano-soviétiques.
Que Pyongyang demandera-t-il en échange de la dénucléarisation?
Ce sera une question qui fera l'objet des pourparlers entre les USA et la Corée du Nord, estime le chef du Département de la Corée et de la Mongolie de l'Institut des études orientales de l'Académie des sciences de Russie, le professeur Alexandre Vorontsov. «Ce que nous savons des déclarations précédentes nord-coréennes, ils [les Nord-Coréens, ndlr] ont nommé comme des garanties de sécurité le retrait des troupes américaines de la Corée du Sud, le retrait de la région de tous les vecteurs d'armes nucléaires avec une garantie de leur non réapparition, la normalisation des relations avec les USA, (…) la levée des sanctions, etc. Est-ce les Américains y ont prêts? Les experts et observateurs en doutent fortement», note le professeur.
Il souligne que la position américaine sur la question reste «inconciliable»: aucune atténuation des sanctions n'est prévue. De plus, si Pyongyang a introduit un «moratorium unilatéral» sur son activité militaire et ses tirs d'essai de missiles, Washington mène des manœuvres avec Séoul bien que plus paisiblement, souligne M.Vorontsov.
Vladimir Novikov, de son côté, s'est déclaré plutôt sceptique quant aux perspectives de garanties de sécurité de la partie américaine à Pyongyang: «Si vous regardez les documents de sécurité nationale des États-Unis, après la Russie, la Chine et l'Iran, la Corée du Nord est l'une des menaces les plus importantes. Dans ces conditions, il est extrêmement difficile de dire que n'importe quelle garantie peut être présentée».
Qu'attendre du sommet coréen?
«Maintenant que les Nord-Coréens acceptent un dialogue en direct avec les Américains, ils peuvent simplement répondre aux Sud-Coréens "nous comprenons vos préoccupations, mais nous devons résoudre cela avec les États-Unis". De toute façon, le sommet devrait avoir du succès», a déclaré M.Toloraïa.
Il ajoute que même «si les parties répètent simplement les positions de la déclaration de 2000 lors de la rencontre de Kim Dae-jung avec Kim Jong-il et celle de 2007 lors de la rencontre entre Kim Jong-il et No Moo-hyun, ce sera un grand succès.»
Où se tiendra le sommet Trump-Kim?
Encore une question qui fait débat. En fait, nombreux sont les pays qui veulent jouer aux intermédiaire entre les deux pays, estime le professeur Vorontsov, avant d'ajouter: «C'est la Suisse, où Kim Jong-un a fait ses études, la Suède, qui représente les intérêts américains [et qui tenait des consultations entre hauts responsables nord-coréens et suédois en mars, ndlr], la Mongolie, qui s'offrait comme un pays neutre. Kim Jong-un parle de Pyongyang. Vladivostok en Russie figurait aussi dans les possibilités. Après la visite de Kim Jong-un, Pékin peut également être considérée comme une possible plate-forme».
«Le nœud coréen ne sera pas rapide à dénouer, si on peut en fait le dénouer. Actuellement, une pause, une atténuation des tensions, le processus diplomatique, c'est déjà un progrès. Que la Corée vive en paix, que ce processus durera le plus longtemps possible. Mais de nouvelles tensions, comme le montrent les traces de l'histoire, sont inévitables», a conclu le professeur Toloraïa.