Alain de Benoist: «Quand on modifie par trop la nature, on se modifie soi-même»

© AFP 2024 LOIC VENANCE A protester hurls stone toward riot forces on April 10, 2018 on the second day of a police operation to raze the decade-old camp known as ZAD (Zone a Defendre - Zone to defend) at Notre-Dame-des-Landes, near the western city of Nantes, and evict the last of the protesters who had refused to leave despite the government agreeing to ditch a proposed airport.
A protester hurls stone toward riot forces on April 10, 2018 on the second day of a police operation to raze the decade-old camp known as ZAD (Zone a Defendre - Zone to defend) at Notre-Dame-des-Landes, near the western city of Nantes, and evict the last of the protesters who had refused to leave despite the government agreeing to ditch a proposed airport. - Sputnik Afrique
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Alors que les zadistes de Notre-Dame des Landes résistent aux forces de l’ordre, où l’écologisme en est-il? État des lieux avec le philosophe Alain de Benoist.

L'ancien Président du conseil régional des Pays de la Loire, Bruno Retailleau, demandait en 2015 «l'évacuation des "ayatollahs de la décroissance" de la ZAD de Notre-Dame des Landes». Bien sûr, il n'était pas le seul, et quelques années et cocktails Molotov plus tard, c'est pratiquement chose faite: 2500 membres des forces de l'ordre ont été mobilisés pour chasser la centaine de zadistes*.

Un rapport de force aussi symbolique qu'anecdotique, qui nous en apprend un peu sur la marginalité de l'écologisme, malgré son omniprésence dans les esprits, dans les programmes politiques, dans les ordres du jour des Nations unies.

Pour comprendre cette marginalité, nous avons reçu en studio le philosophe et historien des idées Alain de Benoist, dont l'un des nombreux essais vient d'être republié: Décroissance ou toujours plus? aux éditions Pierre Guillaume de Roux.

À partir de cette actualité de Notre-Dame des Landes, nous pourrons approfondir la question, ou pour reprendre le sous-titre de l'ouvrage, penser l'écologie jusqu'au bout… On connaît à Alain de Benoist un petit côté révolutionnaire… Ces zadistes —qui ne sont pourtant pas du genre à lire ses livres- suscitent-ils sa sympathie?

*MàJ: les zadistes semblent croître en nombre, du fait de militants venus en renfort.

Ces zadistes sympathiques?

«C'est très difficile de donner une réponse unilatérale: chez les zadistes en question, il y a des gens représentatifs de catégories d'opinions très différentes. Ce qui les a réunis, c'est l'hostilité à la construction de l'aéroport de Notre-Dame des Landes. Sur ce point, je suis tout à fait de leur avis, j'y étais hostile. Maintenant, les choses se sont envenimées, ils ont obtenu finalement ce qu'ils voulaient [mais] le gouvernement dit "on ne peut laisser comme ça, s'instaurer une zone de non-droit" —encore que les zones de non-droit, il en accepte ailleurs! Et donc la police est en train d'intervenir, il semble que l'atmosphère soit devenue un peu plus chaude, il n'est pas exclu qu'il y ait quelques débordements dans les journées qui viennent. Je comprends très bien les raisons de l'évacuation, mais j'ai un vieux fond un peu rebelle, j'ai quand même une petite sympathie pour ces gens-là».

Alain de Benoist, écologiste?

«Lorsque j'avais 20 ans, j'étais encore un peu prisonnier de l'idée de progrès: au fond, je pensais qu'on pouvait le diriger dans une direction meilleure. J'étais aussi un peu prisonnier de l'image de l'écologie donnée par certains partis verts, que cela soit en France, en Allemagne ou ailleurs. Il m'était déjà apparu que ces gens-là se souciaient davantage de ce qu'on allait appeler plus tard la théorie du genre ou de la légalisation du cannabis, que de véritable écologie. Et puis j'ai repris le problème, j'ai étudié les fondements scientifiques de l'écologisme, au sens propre, scientifique du terme, à partir du XIXe siècle. J'ai vu la façon dont s'est mise en place la préoccupation écologique et j'ai aussi vu la réalité des choses, c'est-à-dire la dévastation de la planète dans laquelle nous sommes toujours plongés aujourd'hui.»

Échec politique?

«La préoccupation écologique n'a cessé de grandir. C'est même devenu une mode. Vous trouvez peu de gens pour dire qu'il faut continuer à saccager la planète. Sur le principe finalement, tout le monde est d'accord. Et puis il y a eu une certaine propagande, visant à induire chez les gens des comportements plus écologiques —les tris de poubelles, accompagner la transition écologique. Ça a été plus ou moins intégré. Mais est-ce en triant les poubelles ou en installant des éoliennes que nous allons résoudre le problème? Le problème n'est pas soluble dans cette direction.»

​«Il faut se méfier des expressions passe partout: "développement soutenable", "capitalisme vert"… qui reposent en fait sur des oxymores: alors que nous savons que c'est le développement et le capitalisme qui sont responsables de toutes ces nuisances, on peut néanmoins continuer dans la même direction à condition d'être prudents. C'est un peu comme le capitaine d'un navire dont le bateau se dirige vers un massif rocheux, et au lieu de changer de cap, dirait qu'il faut simplement réduire la vitesse!»

Fausses solutions, vrais problèmes

«L'effet rebond, c'est que si vous diminuez à l'unité le taux de pollution d'un produit quelconque, mais qu'en même temps vous multipliez à l'infini le nombre de ces produits, non seulement vous ne diminuez pas la pollution, mais vous l'augmentez! Si vous avez cent voitures qui polluent beaucoup, et un million qui pollue moins, le million pollue quand même plus. Nous sommes là dans une fuite en avant: nous sommes finalement dans le "toujours plus". […] Les partisans de la décroissance sont ceux qui veulent changer radicalement de cap et cesser de nous imaginer que le toujours plus est possible. On ne peut pas avoir une croissance infinie dans un espace fini…»
«La notion de limite est celle que l'idéologie dominante perd le plus volontiers de vue lorsqu'elle ne se donne pas explicitement pour but de la supprimer. La logique même du capitalisme libéral est l'extension planétaire du marché en anéantissant toutes les limites, toutes les frontières.»

L'écologisme, au-delà de la gauche et de la droite

«En même temps […] ni la droite ni la gauche dans son intégralité n'ont été unanimement productivistes, le productivisme est un sous-produit de l'idéologie du progrès. [Il] a été puissamment contesté par toute une tradition de droite plutôt anti-technicienne (…) et puis on a vu apparaître une gauche écologiste, qui a bien compris que si l'on voulait être rigoureux pour la préservation des écosystèmes, il fallait remettre en cause les prémisses fondatrices de l'idéologie du progrès. […] En réalité […] il est un sous-produit de la pensée des Lumières, de la montée de l'automatisation des rapports humains, du "fétichisme de la marchandise" comme le disait Marx. Cette conception qui privilégie la logique du profit, du comptable et du calculable, a imprégné un peu toutes les familles politiques. [Aujourd'hui], on va retrouver une droite hostile à l'idéologie du progrès, et une gauche anti-productiviste.»

Une nouvelle grande idéologie?

«On pourrait dire que notre époque est celle du triomphe de l'idéologie de l'individualisme et de la marchandise. L'écologie peut-elle être une [nouvelle grande idée]? Elle peut y contribuer, mais il faut aller plus loin: la raison d'être au Monde ne peut pas se ramener seulement à la défense des principes écologiques, même s'ils sont vitaux. L'écologie doit elle-même être replacée dans une remise en question de la façon dont nous percevons notre propre rapport à la nature. Depuis Descartes, qui prétendait que l'Homme devait être maître et souverain de la nature, nous sommes habitués à une coupure: l'Homme est le sujet et la nature est son objet. L'Homme peut dominer, arraisonner, soumettre à sa guise la nature. Alors qu'en réalité l'Homme et la nature sont pris dans un rapport de coappartenance.»

Et en pratique?

«Il s'agit de trouver les principes d'un mode de vie un peu plus simple, un peu plus frugal. Ce n'est pas l'ascèse ou la privation systématique [mais] une idée qui a eu cours durant toute l'histoire de l'humanité, dont à peu près toutes les religions et philosophies ont cherché à nous donner la leçon: la démesure est une mauvaise chose —l'hybris. Et admettre que de temps en temps, c'est assez, qu'on ne sera pas forcément plus heureux en ayant six voitures, que la croissance pour la croissance profite certainement aux marchés financiers, mais pas forcément aux gens. Bien sûr, une fois qu'on a dit ça, on a un peu l'impression de faire un sermon moral.»

Le pape François, écologiste

«Il est incontestable que l'encyclique Laudato si a marqué un tournant dans la réorientation de l'Église catholique vis-à-vis de l'écologie. J'ai été très frappé qu'on trouve explicitement le mot de décroissance. Cela dit, on n'a pas attendu les papes pour avoir un sentiment de la nature. Sans doute aux origines mêmes de notre culture. […] La remise en cause de l'idée du toujours plus dans tous les domaines, de cette idée que la croissance économique est une mesure du bien-être —alors que dans le calcul du PIB on comptabilise toute activité économique, fut-ce celle des catastrophes naturelles. Comme le dit Serge Latouche, "il faut sortir l'économie de nos têtes", cesser de croire que l'économie, c'est le destin, s'apercevoir que tout n'est pas acheté et que des sociétés beaucoup plus pauvres que la nôtre avaient le sens de la mesure…»

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