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Les économistes ne mangent pas tous des enfants! Rendez-vous chaque semaine avec Jacques Sapir, Clément Ollivier et leurs invités pour égrener les sujets de fond qui se cachent derrière le tumulte de l’actualité.

SNCF: le modèle du privé, remède miracle ou potion amère?

© SputnikLes chroniques de Sapir
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Les cheminots sont-ils vraiment des privilégiés? La dette de la SNCF est-elle due à leur statut, ou s’agit-il d’un chantage du gouvernement? L’ouverture à la concurrence fait-elle vraiment baisser les prix et augmenter la qualité? L’économiste Jean-Marc Daniel et l’historien Stéphane Sirot en débattent dans les Chroniques de Jacques Sapir.

L'État ne rachètera la dette de la SNCF que si le statut de cheminot est abandonné pour les nouveaux entrants: le gouvernement se veut ferme, au moment où les syndicats entament une mobilisation de trois mois sous forme de grève "perlée". L'exécutif se défend de préparer une privatisation du chemin de fer et insiste sur le fait qu'il ne s'agit que d'une libéralisation de ce secteur, exigée de longue date par Bruxelles. Mais la concurrence a-t-elle vraiment toutes les qualités qu'on lui prête? D'où vient la dette de la SNCF, et comment s'annonce ce mouvement social?

Jacques Sapir et Clément Ollivier reçoivent Jean-Marc Daniel, économiste, professeur associé à l'ESCP Europe, et Stéphane Sirot, historien spécialiste du syndicalisme et des mouvements sociaux, professeur à l'université de Cergy-Pontoise.

Stéphane Sirot rappelle l'origine de la création du statut de cheminot et estime qu'il garde aujourd'hui toute son actualité: «Le statut des cheminots est bien plus ancien que la SNCF. Le principe résulte d'une forme d'échange: de manière à assurer 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 l'entretien des voies ferrées et le fait que les trains roulent, ont été octroyés dès 1920 un certain nombre de droits et de garanties aux cheminots. Les contraintes en question existent toujours aujourd'hui et les raisons à l'origine du statut n'ont pas du tout disparu. Donc cette réforme répond à des choix politiques et à des injonctions idéologiques européennes, la sacro-sainte concurrence libre et non faussée, et non à des raisons parfaitement logiques ou naturelles. La stratégie du gouvernement consiste à faire croire qu'il y a un lien entre la dette de la SNCF et le statut des cheminots, et que ce sont les conditions de travail des cheminots qui sont à l'origine des disfonctionnements du transport ferroviaire.»

Pour Jean-Marc Daniel, la SNCF ne remplit plus vraiment une mission de service public, et doit donc céder son monopole: «La concurrence, ce n'est pas seulement celle des autres compagnies de chemin de fer, c'est aussi celle des autres modalités de transport. Dans les années cinquante, la SNCF avait essayé d'échapper à la concurrence de l'avion en créant sa propre compagnie aérienne, Air Inter. Aujourd'hui, la concurrence est appropriée par la population: la concurrence de la SNCF, c'est le covoiturage ou les "bus Macron". Il y a un vrai problème sur lequel on ne peut pas faire l'impasse, c'est que les gens qui prennent le train, notamment le TGV, sont de plus en plus âgés et de plus en plus aisés. Donc la SNCF n'est plus un véritable service public parce qu'elle s'adresse à une partie de plus en plus restreinte de la population, et il est normal qu'elle se réforme.»

Jacques Sapir, lui, met en doute les vertus de la concurrence et la possibilité même de l'appliquer à tous les segments du rail: «L'immense majorité du transport de la SNCF, ce ne sont pas les grandes lignes inter-cités, ce sont les petites lignes intra-cité ou régionales. Et là, il n'y a pas d'alternative. On connait le coût des embouteillages… Quant à BlaBlaCar, c'est très bien quand on veut aller d'une métropole à une autre métropole, mais c'est beaucoup moins performant quand on veut aller d'une petite ville à une autre petite ville.» Jacques Sapir cite par ailleurs son expérience personnelle du métro de Washington: «J'ai beaucoup vécu à Washington, et le métro privatisé y fonctionne très bien. Mais il y a un "mais": le coût du billet est calculé, comme on dit, au coût marginal. Autrement dit, quand vous prenez votre billet à l'heure de pointe, vous payez beaucoup plus cher que si vous devez vous déplacer hors des heures de pointe. Or en heure de pointe, compte tenu des embouteillages qu'il y a, vous n'avez pas d'autre choix. On voit là comment la concurrence peut jouer de manière perverse: elle devient un moyen de prélever sur l'utilisateur une rente supplémentaire par l'opérateur, voire un racket.»

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