Expulsion ou enfermement des fichés S: une option à la «Minority Report»?

© REUTERS / Regis DuvignaL’attentat terroriste de Trèbes
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L’attentat terroriste de Trèbes fait ressurgir la question de la surveillance des fichés S pour radicalisation islamique. Faut-il les enfermer préventivement et expulser ceux qui sont étrangers, en dépit de l’État de droit? Des politiques de droite et les Français, d’après un sondage Elabe, y sont majoritairement très favorables.

«Je propose qu'il y ait un délit d'incitation à la haine de la France, mais aussi l'instauration de la rétention administrative afin de mieux nous protéger. La protection des Français est la première des priorités», a déclaré Laurent Wauquiez, président Les Républicains, le 28 mars.

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La rétention administrative et l'expulsion des étrangers «fichés S» pour des faits de radicalisation islamique pourraient-elles être des solutions permettant de lutter efficacement contre le terrorisme? L'attentat de Trèbes et l'émotion provoquée par le sacrifice du Lieutenant-Colonel Beltrame mettent à nouveau en lumière les limites du fichage administratif des personnes identifiées comme potentiellement dangereuses ou en voie de radicalisation.

Pour certains politiques, la rétention administrative de certains de ces individus serait un début de solution. On pourrait citer Manuel Valls sur BFMTV: «Il peut y avoir, regardons ça de près, [de] la rétention administrative pour ceux dont on considère qu'ils représentent un danger, évidemment sous l'autorité du juge et à un moment ou l'autre, s'il ne se passe rien, on ne peut pas le retenir.» Ou encore Valérie Boyer, Secrétaire générale Les Républicains, sur Twitter:

Quant à l'expulsion des étrangers fichés S, cette mesure est régulièrement évoquée dans les rangs de formations politiques de droite comme l'a fait Jean Messiha, du Front national:

​Ou Nicolas Dupont-Aignan, député et président de Debout la France:

​Le sondage Elabe pour BFMTV, publié ce 29 mars, démontre que ces deux mesures trouvent un écho particulièrement fort chez les Français. En effet, 73% d'entre eux trouvent que la détention administrative des individus fichés S les plus dangereux serait efficace (dont 41% «très efficace»). Par ailleurs, 80% des sondés pensent qu'expulser du territoire français les individus fichés S de nationalité étrangère serait efficace (dont 55% «très efficace»).

Fiche S, un malentendu sur son utilité?

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Néanmoins, même si ces dispositifs sont plébiscités par de nombreux Français, ils soulèvent un certain nombre de questions quant à leur application. Rappelons tout d'abord comme l'explique le ministère de l'Intérieur, que la Fiche S (pour Sûreté de l'État) est une sous-catégorie du fichier FPR créée en 1960. La Fiche S est un outil qui «recueille certaines informations sur des personnes susceptibles de troubler l'ordre public», mais elle n'est ni «une preuve de culpabilité», ni «une arme judiciaire. Elle ne permet donc pas aux forces de l'ordre d'arrêter les personnes concernées.»
Sur les 25.000 individus fichés, 9.700 l'étaient pour radicalisation fin 2017 (source ministère de l'Intérieur). En effet, une personne fichée S peut l'être pour hooliganisme, pour militantisme politique, appartenance au black bloc, etc… En outre, un autre fichier de renseignement anti-terroriste existe, le FSPRT (Fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste), crée en 2015, qui est dédié aux personnes identifiées comme des radicaux religieux susceptibles de nuire à la sécurité de l'État. En février 2018, le fichier recensait 19.745 individus, dont 77% d'hommes d'après LCI.

Au-delà des faibles moyens humains et financiers dédiés au renseignement, selon la fondation Ifrap, un think tank libéral, on compterait 13.000 personnes dédiées à ces tâches et l'État ne dépenserait que 1,17 milliard d'euros (0,05% du PIB) sur ce poste. À titre d'exemple, le Royaume-Uni consacre au renseignement0 0,15% de son PIB pour ses services de renseignement.

De nombreuses questions restent en suspens: peut-on enfermer une personne avant qu'elle ne soit passée à l'acte? Peut-on enfermer quelqu'un pour accointance avec des extrémistes ou pour une adhésion à la pensée salafiste? Si l'envie est compréhensible à la vue des enjeux qu'implique l'islamisme pour la France, cela impliquerait toutefois de renier la notion d'État de droit. Souhaitons-nous un futur à la «Minority report»: être condamné avant d'être passé à l'acte?

Il convient néanmoins de rappeler que du temps de Charles de Gaulle, la France a eu recours aux internements administratifs en période de terrorisme, sans que cela n'ait particulièrement ému les défenseurs des droits de l'homme:

​Actuellement, la législation européenne sert de garde-fou. Et pour cause, d'après l'avis consultatif rendu le 23 décembre 2015, pour la Constitution et la Convention européenne des droits de l'homme, «il n'est pas possible d'autoriser par la loi, en dehors de toute procédure pénale, la rétention, dans des centres prévus à cet effet, des personnes radicalisées». Xavier Raufer, criminologue, expliquait d'ailleurs à Sputnik qu'

«En Europe, il y a des règles, il y a des normes, à partir du moment où il y a des éléments concrets qui permettent de l'enfermer [un islamiste, ndlr], alors oui, mais Guantanamo, non. C'est absurde, les Américains se sont déconsidérés aux yeux de la planète pour les trente années qui viennent à cause de ça.»

Expulsion des fichés S étrangers, déjà possible, mais peu appliquée

En revanche, concernant l'expulsion des étrangers, et de surcroît les fichés S pour radicalisation, cela est certes déjà possible, mais peu appliqué. À noter qu'environ 15% des individus fichés S sont de nationalité étrangère. À ce jour, il est donc légalement possible d'expulser un étranger si celui-ci représente «une menace grave ou très grave pour l'ordre public», mais nécessite que la menace soit «appréciée par l'administration en fonction du comportement de l'étranger: violences, trafic de drogue, incitation au terrorisme… Il n'est pas nécessaire que l'étranger ait fait l'objet d'une condamnation pénale. La mesure d'expulsion doit être proportionnée face à la menace que représente l'étranger.»

C'est là où le bât blesse. La fiche S, comme rappelée, n'est pas une preuve de culpabilité donc inutilisable pour intenter une action.

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Le gouvernement est régulièrement accusé de laxisme par le Front national et Les Républicains. Pourtant Edouard Philippe, le Premier ministre, tenait à rappeler devant l'Assemblée nationale que «depuis 2015, 48 étrangers liés aux mouvances terroristes islamistes ont été expulsées et 361 interdictions administratives du territoire ont été prononcées. Mais cela ne peut se faire qu'à partir d'informations vérifiées et opposables.»

Un souci du droit qui doit alimenter le sentiment d'inaction du gouvernement. Ainsi, toujours d'après le sondage Elab, 58% des Français considèrent qu'Emmanuel Macron et le gouvernement d'Edouard Philippe ne mettent pas tout en œuvre pour lutter contre le terrorisme. Lorsque l'on sait que la Seine-Saint-Denis compte près de 900 personnes fichées S pour radicalisation islamique, le débat sur les moyens engagés et sur un possible changement de la Constitution va sûrement devoir s'ouvrir très prochainement. En effet, quelques voix réclament le retour de l'État d'urgence.

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