«Je propose qu'il y ait un délit d'incitation à la haine de la France, mais aussi l'instauration de la rétention administrative afin de mieux nous protéger. La protection des Français est la première des priorités», a déclaré Laurent Wauquiez, président Les Républicains, le 28 mars.
Pour certains politiques, la rétention administrative de certains de ces individus serait un début de solution. On pourrait citer Manuel Valls sur BFMTV: «Il peut y avoir, regardons ça de près, [de] la rétention administrative pour ceux dont on considère qu'ils représentent un danger, évidemment sous l'autorité du juge et à un moment ou l'autre, s'il ne se passe rien, on ne peut pas le retenir.» Ou encore Valérie Boyer, Secrétaire générale Les Républicains, sur Twitter:
Nous souhaitons la rétention administrative pour les personnes les plus dangereuses. Cela peut être une mesure préventive #France24 #Terrorisme
— Valérie Boyer (@valerieboyer13) 27 марта 2018 г.
Quant à l'expulsion des étrangers fichés S, cette mesure est régulièrement évoquée dans les rangs de formations politiques de droite comme l'a fait Jean Messiha, du Front national:
Nos propositions pour lutter contre l’islamisme et le terrorisme sont publics et disponibles sur le réseau. Expulsion ou prison pour tous les fichés S islamistes. Expulsion de tout étranger délinquant etc etc
— Jean MESSIHA (@JeanMessiha) 24 марта 2018 г.
Ou Nicolas Dupont-Aignan, député et président de Debout la France:
Quand le gouvernement se décidera-t-il enfin à expulser les étrangers dangereux, surtout quand ils ont été condamnés? #Trèbes #Carcasonne
— N. Dupont-Aignan (@dupontaignan) 23 марта 2018 г.
Le sondage Elabe pour BFMTV, publié ce 29 mars, démontre que ces deux mesures trouvent un écho particulièrement fort chez les Français. En effet, 73% d'entre eux trouvent que la détention administrative des individus fichés S les plus dangereux serait efficace (dont 41% «très efficace»). Par ailleurs, 80% des sondés pensent qu'expulser du territoire français les individus fichés S de nationalité étrangère serait efficace (dont 55% «très efficace»).
Fiche S, un malentendu sur son utilité?
Sur les 25.000 individus fichés, 9.700 l'étaient pour radicalisation fin 2017 (source ministère de l'Intérieur). En effet, une personne fichée S peut l'être pour hooliganisme, pour militantisme politique, appartenance au black bloc, etc… En outre, un autre fichier de renseignement anti-terroriste existe, le FSPRT (Fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste), crée en 2015, qui est dédié aux personnes identifiées comme des radicaux religieux susceptibles de nuire à la sécurité de l'État. En février 2018, le fichier recensait 19.745 individus, dont 77% d'hommes d'après LCI.
Au-delà des faibles moyens humains et financiers dédiés au renseignement, selon la fondation Ifrap, un think tank libéral, on compterait 13.000 personnes dédiées à ces tâches et l'État ne dépenserait que 1,17 milliard d'euros (0,05% du PIB) sur ce poste. À titre d'exemple, le Royaume-Uni consacre au renseignement0 0,15% de son PIB pour ses services de renseignement.
De nombreuses questions restent en suspens: peut-on enfermer une personne avant qu'elle ne soit passée à l'acte? Peut-on enfermer quelqu'un pour accointance avec des extrémistes ou pour une adhésion à la pensée salafiste? Si l'envie est compréhensible à la vue des enjeux qu'implique l'islamisme pour la France, cela impliquerait toutefois de renier la notion d'État de droit. Souhaitons-nous un futur à la «Minority report»: être condamné avant d'être passé à l'acte?
Il convient néanmoins de rappeler que du temps de Charles de Gaulle, la France a eu recours aux internements administratifs en période de terrorisme, sans que cela n'ait particulièrement ému les défenseurs des droits de l'homme:
Prétention, gâtisme ou ignorance? Petit rappel des faits à @AlainDuhamel: sous de Gaulle il y eu des milliers d'INTERNéS ADMINISTRATIFS, simplement suspectés de sympathies OAS, au camp de Saint Maurice l'ardoise @bobardsdor @tvlofficiel https://t.co/BLP0pX3jcj
— Jean-Yves Le Gallou (@jylgallou) 28 марта 2018 г.
Actuellement, la législation européenne sert de garde-fou. Et pour cause, d'après l'avis consultatif rendu le 23 décembre 2015, pour la Constitution et la Convention européenne des droits de l'homme, «il n'est pas possible d'autoriser par la loi, en dehors de toute procédure pénale, la rétention, dans des centres prévus à cet effet, des personnes radicalisées». Xavier Raufer, criminologue, expliquait d'ailleurs à Sputnik qu'
«En Europe, il y a des règles, il y a des normes, à partir du moment où il y a des éléments concrets qui permettent de l'enfermer [un islamiste, ndlr], alors oui, mais Guantanamo, non. C'est absurde, les Américains se sont déconsidérés aux yeux de la planète pour les trente années qui viennent à cause de ça.»
Expulsion des fichés S étrangers, déjà possible, mais peu appliquée
En revanche, concernant l'expulsion des étrangers, et de surcroît les fichés S pour radicalisation, cela est certes déjà possible, mais peu appliqué. À noter qu'environ 15% des individus fichés S sont de nationalité étrangère. À ce jour, il est donc légalement possible d'expulser un étranger si celui-ci représente «une menace grave ou très grave pour l'ordre public», mais nécessite que la menace soit «appréciée par l'administration en fonction du comportement de l'étranger: violences, trafic de drogue, incitation au terrorisme… Il n'est pas nécessaire que l'étranger ait fait l'objet d'une condamnation pénale. La mesure d'expulsion doit être proportionnée face à la menace que représente l'étranger.»
C'est là où le bât blesse. La fiche S, comme rappelée, n'est pas une preuve de culpabilité donc inutilisable pour intenter une action.
Un souci du droit qui doit alimenter le sentiment d'inaction du gouvernement. Ainsi, toujours d'après le sondage Elab, 58% des Français considèrent qu'Emmanuel Macron et le gouvernement d'Edouard Philippe ne mettent pas tout en œuvre pour lutter contre le terrorisme. Lorsque l'on sait que la Seine-Saint-Denis compte près de 900 personnes fichées S pour radicalisation islamique, le débat sur les moyens engagés et sur un possible changement de la Constitution va sûrement devoir s'ouvrir très prochainement. En effet, quelques voix réclament le retour de l'État d'urgence.