«Des éléments troublants», «une ligne de défense habituelle», elle-même passée au crible.
Bien que les journalistes prennent la précaution de rappeler que la présomption d'innocence reste de mise, Nicolas Sarkozy, qui a été mis en examen le 21 mars dans l'affaire des soupçons de financements libyens qui pèsent sur sa campagne victorieuse de 2007, serait-il déjà coupable à leurs yeux?
Tout commence mardi matin, avec l'annonce du placement en garde à vue de Nicolas Sarkozy dans les locaux de l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF). L'info fait naturellement les choux gras de la presse et des chaînes d'information continue, il faut dire qu'une telle procédure est inédite concernant un ancien Président de la République.
Un caractère inédit qui choque à droite: «c'est le seul ancien Président de la République qui est traité de cette manière», souligne lors d'une interview accordée à Franceinfo, l'eurodéputée Nadine Morano, ancienne ministre de Nicolas Sarkozy. «Le juge pense-t-il sérieusement qu'il va quitter son pays…» lâche sur Twitter Pierre Charon, sénateur de Paris, ancien membre de l'équipe de campagne de Nicolas Sarkozy pour les primaires de la droite et du centre.
«Humiliant et inutile» estime pour sa part son successeur à la tête des Républicains, Laurent Wauquiez, qui, s'il «fait confiance à la Justice» sur le fond du dossier, désapprouve la forme.
Un sentiment d'«humiliation», que partage également Luc Ferry, ministre de la Jeunesse de l'Éducation nationale et de la Recherche dans les gouvernements de Jean-Pierre Raffarin. L'ancien Premier ministre de Jacques Chirac qui, d'ailleurs, réitérant sa confiance en Nicolas Sarkozy, déclare depuis le plateau de Franceinfo, que l'«on n'est pas obligé de donner le sentiment de les humilier pour les juger», regrettant que la Justice française cherche à donner un «sentiment de spectacle», de «tragédie», en traitant volontairement mal un ancien chef d'État.
Du côté des anciens députés, Georges Fenech, également ancien juge d'instruction et ancien député LR, ne mâche pas ses mots à l'encontre de ses ex-confrères après l'annonce de la mise en examen de Nicolas Sarkozy, confrères qu'il estime être les «héritiers directs des lieutenants criminels révolutionnaires».
«Il aurait été très facile, bien évidemment, d'entendre l'ancien Président de la République sans pour autant le mettre ostensiblement en garde à vue.», réagit, au micro de Sputnik, Jacques Myard, maire Les Républicains (LR) de Maisons- Laffitte (Yvelines).
«Je pense qu'à la sortie, le procès- s'il y a procès —va pouvoir sans doute dégonfler cette affaire,»
déclarait-il quelques heures avant l'annonce de la mise en examen de Nicolas Sarkozy. Quant au fond même de l'affaire, qui puise ses racines 11 ans en arrière, l'ancien député ne souhaite pas se prononcer, soulignant sa complexité, ainsi que le fait qu'elle fasse intervenir des protagonistes «dont la parole est parfois douteuse».
S'agit-il là d'une pique à Ziad Takkedine, sur la parole duquel se base l'instruction, et dont l'avocate refuse la confrontation avec Nicolas Sarkozy? Celui-là même que Luc Ferry écorche au micro d'Audrey Crespo-Mara: «à chaque fois que Takieddine ouvre la bouche, on a l'impression qu'il y a une version différente»? Celui-là même que des journalistes du service public présentent, peu après une tentative de fuite du territoire français, comme un personnage «haut en couleur» à la vie «fascinante» et «romanesque», allant jusqu'à s'ébahir devant les richesses de l'hôtel particulier de ce marchand d'armes dans le XVIe arrondissement de la capitale?
Si nous nous gardons de revenir sur le fond de l'affaire, force est de constater que la parole du principal accusateur ne fait pas l'objet des mêmes doutes, de la presse, que celle de l'accusé.
Mais les Sakozystes et les personnalités politiques de droite ne sont pas les seules à avoir relevé une forme d'«humiliation» dans ce recours au régime de la garde à vue. Alors que la presse s'interroge mercredi sur le traitement de faveur (ou «traitement VIP») dont aurait bénéficié l'ex-Président en ayant le droit de rentrer chez lui, entre minuit et huit heures du matin, quelques voix se font dissonantes. «Ce qui a été le plus humiliant, c'est le régime de garde à vue, quelque part», glissait dans son édito sur BFMTV Christophe Barbier -pas vraiment réputé pour sa bienveillance à l'égard de l'ex-Président-, alors qu'il était interrogé jeudi matin sur la possible «humiliation» de la mise en examen du chef de l'État.
Une garde à vue «clairement pour l'emmerder», lâchait la veille l'avocate Marie-Anne Soubré, bien loin d'être une fervente Sarkozyste, sur le plateau des Grandes Gueules de RMC. Elle souligne qu'une garde à vue «n'est jamais levée, sauf raison médicale», le fait qu'elle l'ait été pour permettre à Nicolas Sarkozy de rentrer chez lui pour la nuit «prouve l'inutilité et la vacuité de cette procédure de garde à vue.» Sur le plateau, un autre invité dresse un parallèle entre l'audition libre de Brice Hortefeux et la garde à vue de Nicolas Sarkozy, estimant que l'on joue sur «des mots qui ne changent strictement rien à l'enquête.» Des mots qui, cependant, plaisent beaucoup à la presse…
Une presse qui, mercredi soir, ne tarissait pas d'éloges concernant ce «discret» Serge Tournaire, le juge à l'origine de la mise en examen de Nicolas Sarkozy. Un homme «taiseux», «minutieux» et «hyper organisé» expliquait-on au micro de RTL, allant jusqu'à dire que le juge Tournaire, c'est «Eliot Ness dans le costume de l'inspecteur Harry». Véritable «bête noire des politiques de droite comme de gauche» expliquait-on dans un reportage de BFMTV, où un avocat parisien décrivait un juge «totalement à l'abri des pressions».
Une «nouvelle trempe de juges», qui «affranchissent des règles» déclarait quant à lui l'avocat Eric Dupond-Moretti sur le plateau de CNews. Un juge, «sévère, mais juste», soulignait RTL, déterrant les propos de Bernard Tapie, dans une interview accordée au Monde en mars 2017 «il est simplement à charge, c'est un justicier, qui préfère se tromper au détriment de quelqu'un que de rater un coupable,» résumait l'homme d'affaires…
Un juge qui «tape fort», comme le décrit François Pupponi, ancien maire socialiste de Sarcelles, aux journalistes de BFMTV, qui fut dans le collimateur de la Justice dans le cadre d'une enquête sur le grand banditisme corse et parisien, «Quand il s'est aperçu qu'on avait rien à me reprocher il m'a lâché, mais psychologiquement, moralement, le mal était fait»
«On a vu que dans l'affaire Fillon, la Jjustice effectivement a réagi avec sévérité et qu'aujourd'hui, pratiquement une année après, nous n'avons rien. C'est quand même un peu étonnant…»
Un juge dont le «tempérament offensif» fut clairement un élément déterminant dans le choix du Parquet National Financier (PNF) de le placer à la tête de l'enquête sur les soupçons d'emplois fictifs de la famille Fillon. Un magistrat que, aujourd'hui, beaucoup à droite fustige. Il faut dire qu'il instruit également le dossier Bygmalion et serait «réputé proche du Syndicat de la Magistrature», comme l'évoquait en février 2017 le journaliste d'Atlantico Benoît Rayski.
Ce syndicat marqué à gauche, connu pour son «mur des cons», où Nicolas Sarkozy faisait figure de vedette et contre lequel le syndicat avait pris parti durant la campagne présidentielle de 2012, appelant- dans une tribune publiée dans le journal Le Monde- à voter contre lui.
Pourtant, ce n'est pas le juge d'instruction qui se saisit des dossiers ou décide d'ouvrir des enquêtes. C'est là, le travail du procureur, en l'occurrence le travail d'Éliane Houlette, une juge «discrète» propulsée — sur proposition de Christiane Taubira — à la présidence du Parquet National Financier lorsque celui-ci est créé dans la foulée de l'affaire Cahuzac.
Un choix au détriment de Catherine Pignon, «plutôt marquée à droite», initialement pressentie par l'exécutif afin de «couper court à tout soupçon de partialité», mais qui ne plaisait pas à tout le monde…
Au même moment que le PNF était créée la HATVP à qui la direction ira, elle, à Jean-Louis Nadal, ancien procureur général près de la Cour de cassation. Un magistrat, également décrit comme «discret», qui depuis sa retraite s'était publiquement engagé en faveur du Parti socialiste, proche de Martine Aubry (qu'il avait publiquement soutenu lors de la primaire socialiste en 2011) et qui s'était fait remarquer pour sa déférence envers les majorités qui s'étaient succédées au pouvoir.