«On a un tournant national, sinon nationaliste, de la gauche radicale française. La position de la France Insoumise n'est plus du tout aussi orientée vers une action internationale comme elle l'était au début du mouvement altermondialiste.»
«Il y a un problème objectif. Pendant des siècles, la France a été l'un des centres du monde. Elle était l'un des centres du mouvement de globalisation, avec son empire colonial, sa force économique et militaire. Aujourd'hui, la France se transforme en une province.»
Dans un communiqué, Frédéric Michaud, directeur des études chez OpinionWay note que «Si, aux yeux des Français, l'Asie et l'Amérique du Nord sont, sans surprise, les grands gagnants de la mondialisation, plus d'un sondé sur deux (55%) juge que celle-ci a plutôt des effets négatifs sur tous les autres pays, y compris l'Europe». Des propos qui font sens avec les observations de M. Sintomer:
«Le statut de la France au XXIe siècle ne sera pas celui qu'elle avait au XXe, XIXe ou XVIIIe siècle. Ce statut ne pourra qu'être inférieur, économiquement, intellectuellement, militairement, politiquement.» En résumé: «il y a objectivement de quoi être inquiet. Mais ce n'est pas pour autant que le mouvement réussit à se renouveler.»
La forme même du mouvement est soumise à questionnement. L'altermondialisme, qui se veut un ensemble mouvements à l'échelle planétaire, un réseau qui regroupe un grand nombre d'acteurs (ONG, syndicats, collectifs de jeunes, etc.), n'a finalement pas de réelle structuration ni de porte-parole. «C'est un des débats qui agite le FSM depuis sa création. Faut-il se doter d'une organisation plus permanente?», note M. Sintomer.
«Le Forum doit —il lui-même engager des actions? Ce sont des débats stratégiques qui n'ont pas été résolus et continuent de se poser de façon récurrente. C'est sans doute une de ces limites.»
Le Forum social mondial, le 13e depuis sa création en 2001, a pour mot d'ordre cette année «Résister c'est créer; résister c'est transformer». L'un des enjeux de cette édition, c'est aussi de se renouveler et de «peser», car après une quinzaine d'années, le forum peine à «retrouver un nouveau souffle», qui s'explique aussi par le fait que les gouvernements de gauche latino-américains, qui ont longtemps porté et donné de la visibilité au forum, ont aujourd'hui «passé la main ou sont en grande difficulté». S'ajoute à cela une conjoncture très différente, et pas des moindres:
«La contestation de l'ordre néolibéral du monde est aujourd'hui moins crédible, ou moins populaire qu'elle ne l'était auparavant. Après la crise financière de 2008, les mouvements n'ont pas réussi à imposer d'alternative de façon forte.»
Des mouvements comme Occupy Wall Street, Podemos, Nuit debout sont pourtant les héritiers de cette première génération d'altermondialistes.
«Il y a des problèmes de transition […], constate M. Sintomer. Il a des générations différentes, mais aussi des temporalités différentes entre l'Europe et l'Amérique latine.»
Car si l'altermondialisme en Amérique latine a connu son point culminant au début des années 2000, c'est aujourd'hui en Europe que ça se passe: «mais ces partis ont, au niveau de leur thème en France en tout cas, mis en avant des axes qui n'étaient pas ceux de l'altermondialisme». La définition même du mot a évolué, note le chercheur:
«Ce n'était pas une antimondialisation. Aujourd'hui par exemple, le refus de la France insoumise de sortir des traités de l'Europe, exprime quelque chose de sensiblement différent».
En clair, l'altermondialisme est-il encore vivace, mais s'est essoufflé et l'enjeu de ce forum est aussi de tenter de réorienter ce mouvement. La pluralité des thèmes (montée de l'extrême droite, droits des peuples autochtones, violences faites aux femmes, migration, justice fiscale, etc.) est «une richesse», mais
«le risque de ne pas avoir des thèmes fédérateurs, qui soient plus au centre que les autres, contribue à faire perdre de la visibilité au mouvement. C'est un des débats.»