En entamant son témoignage sur le début des événements qui ont eu lieu en mars 2011, plongeant le pays dans la guerre qui dure depuis voilà sept ans, l’interlocutrice de l’agence qu’on appellera ici Houda* souligne qu’initialement elle, membre de l’élite syrienne, n’était pas opposée au changement du pouvoir, le clan Assad ayant été trop longtemps à la tête du pays. Toutefois, avoue-t-elle, c’est avec une profonde préoccupation qu’elle a appris les informations sur l’arrivée de ce qu’on a l’habitude d’appeler le «Printemps arabe».
«Je voyais déjà les choses venir, je suis de la génération qui a vécu le début des événements au Liban [la guerre civile libanaise, ndlr]. J’ai eu plusieurs conflits avec mes collègues français et syriens qui croyaient que dans un mois le régime allait tomber et puis ce sera la belle vie. Je leur ai demandé: "Mais vous allez où?. La livre syrienne va chuter, il y aura 36.000 partis comme au Liban, le pays va être démantelé. Ils vont nous créer cette guerre de religion". Tout de suite je me suis dit: "D’accord, on veut renverser le régime car on en a marre, mais on voit et on comprend que l’avenir de tous est menacé!"», explique-t-elle aujourd’hui.
Mais en vain, des gens, dont ses propres proches, étaient déjà emportés par l’euphorie des «changements démocratiques» qu’ils voyaient arriver du jour au lendemain.
«Les gens, surtout ceux qui se trouvaient à l’extérieur du pays et ne voyait rien de ce qui se passait en réalité, ce sont eux qui ont incité les ignorants à aller se révolter dans la rue. J’ai vécu dans le pays et je sais très bien comment les choses se passaient. Je ne voyais pas venir la démocratie. Lorsque votre femme de ménage qui habite en banlieue vous raconte que ses enfants étaient payés 5.000 livres [à l’époque équivalent à 100 dollars, ndlr] pour aller manifester dans la rue, à ce moment-là vous vous rendez bien compte que ce n’est pas le renversement du régime qui est demandé», poursuit-elle alors que sa voix commence à trembler de colère.
Scénario «préparé à l’avance»
«On voyait que le pays partait en catastrophe par un programme préparé à l’avance», relate Houda. Elle se souvient de l’annonce des premières «victoires» de l’opposition et rappelle qu’il s’agissait bel et bien de la «libération» des frontières avec la Turquie et l’Irak.
«C’est de là-bas que des flots de Daech** sont entrés dans le pays. Je ne le nie pas, il y a des Daechiens** qui sont syriens, ceux qui sont sortis des prisons, mais la majorité sont ceux qui sont entrés de l’extérieur», explique-t-elle.
Elle se souvient en outre du déplacement des ambassadeurs français et américain à Hama, à l’époque foyer de la contestation contre le pouvoir syrien, où le diplomate français est allé exprimer sa sollicitude aux citoyens syriens.
Réunis ensemble, ces parties du puzzle forment, selon elle, l’image de la mise en place d’un scénario dont l’objectif n’est point le départ d’Assad ou l’instauration de la démocratie en Syrie, mais la destruction du pays.
«J’ai vu la destruction de mon pays de mes propres yeux. Personne ne voulait rien faire, soit se sont des ignorants, soit ce sont des espions ou bien que l’affaire est plus forte qu’eux», lance-t-elle, sans cacher son indignation.
Silence des médias
Et puis Houda évoque les attentats qui commencent au début de l’année 2012 visant des bus, des gendarmeries, des marchés. «Qui en parlait?», s’interroge-t-elle, rappelant que les attentats visant les villes européennes étaient bien évidemment au centre de l’attention de la presse, quant aux Syriens qui les vivent «au quotidien», ils sont ignorés.
Selon elle, cette couverture sélective des événements se poursuit jusqu’aujourd’hui.
«Pourquoi on ne parle pas des roquettes qui tombent sur les têtes de civils damascènes et on parle des roquettes des Russes et du régime? La Ghouta orientale, on en parle au quotidien, qu’ils parlent des bus scolaires qui sont partis à cause des roquettes qui tombent sur la tête des enfants, rien n’est mentionné. C’est injuste», souligne-t-elle, ajoutant que pour se faire une idée sur la situation dans le pays qu’on ne connaît pas il faut au moins demander l’avis des deux parties.
Elle propose d’imaginer le scénario selon lequel n’importe quelle capitale du monde serait régulièrement pilonnée depuis sa banlieue. «Ce n’est pas au gouvernement de protéger les citoyens surtout que Damas est aujourd’hui peuplée de six millions d’habitants après l’arrivée des réfugiés? Mais c’est toujours ce qui se passe dans les endroits des opposants qu’on voit dans les médias», poursuit l’interlocutrice de l’agence.
«Assad n’a plus le droit de partir»
«Aujourd’hui, je n’utilise plus le mot "régime", c’est un gouvernement élu par son peuple», dit-elle, expliquant qu’elle n’est pas la seule à avoir révisé son attitude. «Il y a des gens qui me disent maintenant qu’ils s’étaient trompés, qu’ils ne savaient pas que ça allait dégénérer à ce point, qu’il y aurait 36.000 mains dans cette affaire».
À la question visant à savoir ce que pense son entourage de Bachar el-Assad et s’il juge que son départ est nécessaire pour arrêter l’effusion du sang en Syrie, elle se montre catégorique.
«Moi, je ne fais pas l’éloge des autorités, je suis pour les réformes. Mais s’il part maintenant, il sera un traître. Il n’a plus le droit de partir. Il trahira ceux qui le soutiennent, trahira les martyres et ce pour être remplacé par qui?», s’interroge l’interlocutrice de l’agence.
Elle est persuadée qu’un jour il quittera le pouvoir, mais avant il faudra au moins «sécuriser les plus grandes villes du pays» et stabiliser la situation dans le pays.
* Le nom a été changé à la demande de l’intéressée.
** Daech, organisation terroriste interdite en Russie