Claude Blanchemaison: «Poutine a fait le job, mais à sa manière, la manière forte»

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La campagne électorale russe incite à tirer le bilan des années de Vladimir Poutine au pouvoir. Ancien ambassadeur de France à Moscou, Claude Blanchemaison a bien connu le Président, il a été un témoin privilégié de l’évolution du personnage et de sa politique. Entretien.

Les réseaux sociaux, ces derniers jours, se sont délectés d'images pour le moins surprenantes. Un dirigeant occidental, son épouse et ses deux enfants sont sortis de l'avion qui les déposait en Inde, vêtus comme les Indiens s'habillent pour les mariages, alors même que les Indiens qui les accueillaient étaient habillés de manière un peu plus… discrète. Justin Trudeau, puisqu'il s'agit de lui, a d'ailleurs été jusqu'à esquisser (toujours en tenue traditionnelle) quelques pas de «bhangra», une danse pendjabie.

​À n'en pas douter, voilà une approche diplomatique que ne tenterait pas un autre dirigeant contemporain. Car forcément, Vladimir Poutine n'est pas aussi exubérant… et même plus «énigmatique».

«Énigmatique», c'est d'ailleurs l'épithète qui ouvre l'essai d'un diplomate français, ancien ambassadeur à Moscou, qui a donc connu le dirigeant russe, et qui vient donc de publier Vivre avec Poutine, aux éditions Temporis. Un ouvrage très personnel, qui fourmille d'anecdotes diplomatiques.

Extraits:

«La Russie est notre voisine, ce qui s'y passe ne peut pas nous laisser indifférents. Finalement, on m'a dit "oui, [Poutine] est assez énigmatique". Bien sûr que non, je n'ai pas percé l'énigme. Monsieur Poutine reste énigmatique, pas toujours assez prévisible dans ses réactions. Le Général de Gaulle disait dans ses mémoires: "le pouvoir ne va pas sans mystère"…»

UE/Russie: l'échec d'un rapprochement

«À l'époque, nous nous demandions ce que nous pouvions faire pour faire franchir à la relation franco-russe une nouvelle étape. Peut-être le temps était-il venu de faire négocier un espace économique commun. Vladimir Poutine était parfaitement d'accord. Cette négociation a été engagée en 2003 dans des conditions difficiles: la Commission disait que Gazprom était un monopole. Très souvent, c'était une fixation de la Commission européenne de vouloir répandre des règles de concurrence un peu partout. Mais il y a eu d'autres difficultés: en 2004, l'UE a changé de dimension avec l'adhésion de nouveaux membres. Des pays de l'Europe de l'Est, ou baltes, étaient peu favorables au développement aussi rapide à un accord d'union économique entre la Russie et l'UE. Ça n'a pas été possible, parce que les parties ont perdu le goût, du côté russe aussi […] des pronationalistes, panslaves pensaient que ce n'était pas une bonne idée. Cette tendance a pris la main, car la négociation s'enlisait. C'est très dommage. La suite n'aurait peut-être pas été la même, notamment en Ukraine.»

«Un Président au-delà de toutes les espérances»?

«L'expression doit être mise dans son contexte: c'est par rapport à ceux qui l'avaient choisi! Ceux qui ont dit à Eltsine qu'il avait donné entière satisfaction, comme patron du FSB. Berezovsky, d'autres oligarques, qui avaient des intérêts très précis à sauvegarder et ne voulaient pas un retour en arrière […] par rapport aux espérances placées en lui, il a "fait le job": écraser la rébellion tchétchène pour signifier qu'il n'y aurait plus scissiparité à l'intérieur de la Fédération de Russie, deuxièmement en mettant les oligarques au pas.»

Un tournant entre la Russie & l'Occident

«[Le discours de 2007 à Munich] est le tournant, en tout cas public: "à partir de maintenant, la Fédération de Russie entend défendre ses intérêts". Après avoir testé la possibilité de coopérer avec l'Occident, avec l'OTAN —au début de mon séjour à Moscou, un certain nombre de stratèges Moscou jouaient avec l'idée d'une adhésion de la Russie à l'Alliance atlantique. Peut-être pas l'organisation militaire, mais au moins l'Alliance atlantique. Il y a eu une tentative de s'intégrer aux institutions occidentales. Sans parler du G8: M. Poutine a participé à toutes les réunions jusqu'en 2014. La première application de ce tournant, ça a été la guerre de Géorgie, en août 2008.»

Le défi multipolaire

«C'est vrai que le Président Chirac en a souvent discuté avec le Président Poutine. Ils étaient d'accord en faveur d'un monde multipolaire. La période d'un monde bipolaire était terminée avec la fin de la Guerre froide, et il y a peut-être eu un monde unipolaire, qui a été le bref moment de quelques années où les États-Unis ont eu le sentiment de dominer le monde. Ça n'était plus le cas, on était dans un monde multipolaire, ce qui rend le jeu beaucoup plus difficile, car imprévisible, mais en même temps beaucoup plus fluide…

Dans ce jeu, on peut se demander quels pays ont une véritable stratégie à long terme. C'est clair que la Chine a une stratégie à long terme. Il est probable que les États-Unis ont une stratégie à long terme, quel que soit le Président: maintenir leur influence sur les affaires du monde. Et peut-être est-ce une faiblesse, mais je suis pro-européen: et je pense que l'expérience européenne est une expérience très innovante qui bouleverse un peu le jeu traditionnel des États-nations du XIXe siècle et qui au fond joue un rôle…»

Russie 2025?

«J'espère qu'on aura conclu un accord qui établira une coopération entre l'UE et la Russie. Peut-être qu'il faut se concentrer sur des sujets sur lesquels on peut obtenir des résultats: peut-être aussi arriver à un assouplissement du système des visas, améliorer la circulation des jeunes, multiplier les échanges de jeunes. […] Je pense qu'Emmanuel Macron a pris une très bonne initiative en invitant le Président Vladimir Poutine à Trianon […] ils se reverront à Saint-Pétersbourg.»

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