SNCF: Macron et les médias ciblent les cheminots, l’UE prépare la privatisation

© Sputnik . Alexandra Masaltseva / Accéder à la base multimédiaSNCF
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Depuis les annonces du Premier ministre, le débat sur la privatisation du rail se cristallise autour du sort des cheminots. Un traitement politico-médiatique qui éclipse totalement les enjeux derrière cette privatisation, exigée par Bruxelles, à savoir les questions de souveraineté nationale et d’un modèle de service public, aujourd’hui en sursis.

69% des Français favorables à la fin du statut des cheminots, à en croire le résultat d'un sondage Harris interactive pour RMC et Atlantico, publié le 27 février. Un constat sans appel qui contraste avec le discours des syndicats, qui dénoncent un «passage en force» depuis l'annonce des principales mesures de la réforme du rail par le Premier ministre et notamment le recours aux ordonnances et la suppression du statut de cheminots pour les nouvelles recrues de la SNCF.

«Il va sans doute falloir un mois de grève», déclarait au Parisien quelques heures après l'annonce des mesures, Laurent Brun, secrétaire général de la CGT-Cheminots. «Nous allons relever le défi. On est sûrement partis pour l'un des plus importants mouvements sociaux de l'histoire de la SNCF». «Je ne laisserai personne cracher à la figure des cheminots» avertissait le même jour dans une interview aux Échos Laurent Berger, Secrétaire général de la CFDT. Ce même Laurent Berger, qui le premier mai dernier appelait à «mettre un bulletin de Monsieur Macron dans l'urne» afin de faire barrage au Front national.

la gare, photo d'illustration - Sputnik Afrique
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La base semble aussi mobilisée, si l'on en croit cette jeune conductrice de train, interrogée par BFMTV: «on se battra pour défendre notre métier et défendre les conditions de travail!».

La mobilisation promet donc d'être massive et particulièrement lourde pour les usagers. Il faut dire que c'est une occasion en or pour les syndicats de montrer qu'ils ne sont pas en perte de vitesse, comme de nombreux observateurs ont été tentés de les présenter depuis la réforme du Code du travail —elle aussi passée à coups d'ordonnances sur fond de faible mobilisation.

Cependant, cette ultramédiatisation du bras de fer qui s'annonce, le recentrage de la couverture médiatique de cette fameuse «réforme du rail» autour de la seule question des cheminots provoque deux choses:

1) Elle crée un consensus autour de la réforme de la SNCF- et derrière elle de tout le rail français- via sa personnification en une catégorie de fonctionnaires mal-aimée d'une majorité de Français

2) Elle élude des points bien plus importants liés à notre souveraineté nationale, à savoir le poids de Bruxelles, ainsi que la survie du modèle des services publics dans notre pays, tous appelés à subir le même sort que la SNCF.

Ainsi, si beaucoup connaissent le nom de Bolkestein, l'ancien Commissaire européen au Marché intérieur, récemment décrié dans le cadre de la directive des travailleurs détachés (ou directive Bolkestein) à laquelle Emmanuel Macron a tenté de s'opposer, qui en France connaît le «règlement van de Camp-Dijksma»? Un directive qui porte le nom des deux eurodéputés néerlandais, Wim van de Camp, membre du parti Appel Chrétien Démocrate, ainsi que Sharon Dijksma, issue du Parti Travailliste néerlandais, qui ont «mené les négociations sur l'acte [sur l'ouverture du marché des services nationaux de transport de voyageurs par chemin de fer, ndlr] au nom du Parlement et du Conseil respectivement» comme le souligne le site du Parlement européen.

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Difficile en effet d'estimer la proportion de Français qui ont pleinement conscience que la «libéralisation du marché du transport des passagers» est une exigence de la Commission européenne, avalisée par le Parlement européen en décembre 2016. La France ayant donc, comme tous ses voisins européens, jusqu'en 2019 pour ouvrir son rail aux compagnies privées tant françaises qu'étrangères, ce qui devrait se traduire par la mise en circulation de trains de compagnies privées sur les lignes TGV dès 2020 et TER d'ici 2023.

Nous ne sommes, certes, encore qu'au début du processus devant aboutir à la réforme… Néanmoins, force est de constater que ces deux dernières semaines, rares sont les articles qui ont explicitement évoqué l'origine communautaire de cette réforme: Libération le 15 février, Le JDD le 22 février, ou encore Les Échos le 27 février, dans l'une de ses tribunes.

Pour autant, ce recentrage d'une actualité très européenne autour des seuls cheminots est-il injustifié? Si on peut y voir une occasion pour le gouvernement et le chef de l'État de faire avaler la pilule aux Français, c'est notamment parce que les cheminots ont mauvaise presse. En effet, qui n'a jamais eu des difficultés dans son travail- ou même d'embauche- à cause des retards et mouvements sociaux? Une exaspération visible lors de chaque mouvement social, face à laquelle les Français semblent faire preuve de beaucoup de résilience —voire de résignation.

Une «prise en otage», systématique et assumée par les cheminots afin de faire pression en faveur de leurs propres avantages sociaux (dont la retraite à partir de 50 ans) et qui aujourd'hui pourrait bien leur avoir mis un pied dans la tombe.

On note en effet que la Commission européenne, dans la préparation du «4e paquet» de sa réforme- hormis les questions de performance relevant «des écarts considérables» entre «l'efficacité opérationnelle» des systèmes ferroviaires nationaux- s'appuie sur une étude d'opinion réalisée en 2012 (Eurobaromètre) auprès des citoyens de l'Union à l'égard de leurs chemins de fer nationaux et selon laquelle 54% des sondés «ne sont pas satisfaits de leurs systèmes de transport national et régional par chemin de fer».

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Autre point sur lequel s'alarme l'organe exécutif européen: le déficit de «nombreuses entreprises ferroviaires», ayant par conséquent des «besoins de financement public nettement supérieurs à ceux d'autres secteurs économiques (si on laisse de côté le financement des infrastructures).» Difficile de ne pas penser au 47 milliards d'euros de dette de la SNCF. Deux fois plus que l'italien Trenitalia, qui avec son gestionnaire d'infrastructure (RFI), culmine à 20 milliards d'euros, un niveau assez proche des espagnoles Renfe et Adif (16,5 milliards) ou que les 17 milliards d'euros de l'allemande Deutsche Bahn et de DB Netze Track. Des entreprises allemandes régulièrement érigées en modèle, tant au niveau de la reprise de dette par l'État ou de la séparation entre opérateurs ferroviaires et gestionnaires d'infrastructures. Bons élèves, les belges avec à peine 3 milliards d'endettement entre Infrabel et SNCB.

Un endettement —même des meilleurs- qui en dit long sur la nécessité de soutien par les pouvoirs publics à un mode de transport difficilement comparable —comme le fait la Commission- aux autres modes de transport, dont l'aérien. En effet, plus que la voiture ou l'avion, le train fait indéniablement figure de colonne vertébrale en matière d'aménagement du territoire. Un moyen de locomotion historiquement assuré par l'État et sur lequel des gens modestes peuvent compter lorsqu'ils n'ont pas les moyens de recourir à un autre moyen de transport. Un fait qui s'illustre dans la préconisation du rapport Spinetta —rejetée par le gouvernement- de couper dans les 200 «petites lignes.»

Ainsi, au-delà de la gestion budgétaire, s'il est pour l'heure hasardeux de s'avancer sur les conséquences concrètes qu'aura cette réforme européenne sur les tarifs ou la qualité de service pour les… clients (et non plus «usagers»), on peut toutefois s'intéresser à un autre de nos «voisins européens», qui n'apparaît plus depuis longtemps dans les comparatifs dressés par les journalistes.

En effet, un pays de l'UE —officiellement jusqu'en 2019- a précédé tous ses voisins en termes de privatisation du rail: le Royaume-Uni. Comme le soulignait un article de La Tribune en janvier 2017, depuis la privatisation du réseau en 2010 et l'apparition d'opérateurs ferroviaires privés, les Britanniques ont vu leur budget transports exploser de 27%. Comme le soulignait le journal économique et financier, pour se rendre simplement sur leur lieu de travail, les Britanniques dépensent «14% de leur revenu mensuel, très exactement, contre 2% pour les usagers de l'Hexagone.»

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Une augmentation des tarifs qui ne s'est pas accompagnée d'une augmentation de la qualité des services ou de la ponctualité des trains, bien au contraire. Le tout pouvant s'expliquer de manière tout à fait rationnelle d'un point de vue économique: la recherche d'une réduction des coûts afin de maximiser les profits. Des trains en partie opérés par des opérateurs étrangers, dont Keolis, filiale de la SCNF.

En conclusion, si la fréquence des trains et leurs tarifs risquent de changer pour les voyageurs dès 2020, pour les contribuables la situation restera la même. Avec d'une part une reprise par l'État de la dette de la SNCF (qui continuera d'exister en tant qu'entité publique et opérera sur le réseau au milieu de ses concurrents privés) et d'autre part l'entretien du réseau ferré dont la charge restera à l'État.
S'ajoute à cela les cheminots, car si la réforme de leur statut ne concerne potentiellement que les futures embauches, les pensions de retraite des cheminots d'aujourd'hui et d'hier demeureront logiquement à la charge de l'État.

Contrairement à ce qu'avait affirmé Philippe Martinez, patron de la CGT, le régime spécial des cheminots n'est pas «excédentaire». Comme le soulignait en septembre 2017 Géraldine Woessner dans une chronique au micro d'Europe 1, «l'État a du allonger l'an dernier 3,3 milliards d'euros pour payer les pensions des anciens cheminots et de leurs familles. Cela représente près de deux tiers de toutes les pensions versées. C'est simple, les cotisations ne représentent que 37% des recettes du régime, tout le reste ce sont vos impôts!» Un point qui n'est pas près de changer, privatisation du rail français ou pas.

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