Le 31 janvier, Ahed Tamimi, 17 ans, a célébré son anniversaire derrière les barreaux. À la mi-décembre, les forces israéliennes ont pénétré chez elle dans le village de Nabi Saleh, en Cisjordanie, et l'ont arrêtée. Ahed, désarmée, avait giflé et donné des coups de pied à deux soldats de l'armée israélienne lors d'une manifestation.
Depuis lors, selon l'ONG Amnesty International, la jeune fille a été soumise à un interrogatoire arbitraire. Elle pourrait être condamnée à plus de 10 ans de prison pour les charges d'agression aggravée, d'obstruction au travail des soldats et d'incitation à la révolte sur les réseaux sociaux.
Ce n'était pas la première fois que cette fille se confrontait à l'armée israélienne. Des vidéos de ses manifestations se propagent sur internet et dans les médias. Ahed est un membre de la famille Tamimi, connue pour ses activités vigoureuses contre l'occupation des territoires palestiniens par Israël.
De plus en plus d'enfants derrière les barreaux
Dawoud Yusef, le coordinateur de la défense légale d'Addameer, a expliqué à Sputnik que le nombre total de prisonniers palestiniens dans les prisons israéliennes avait diminué «légèrement» au cours des trois dernières années. Mais en même temps, le nombre d'enfants et d'ados a augmenté de façon exponentielle: en 2014, il y en avait 156 tandis qu'en décembre 2017 ce nombre avait plus que doublé. Chaque jour, on estime que quelque 17 mineurs sont arrêtés par l'armée israélienne, bien que tous ne soient pas emprisonnés.
«Ainsi, [les forces israéliennes] sont en train de remplacer les adultes par des mineurs. C'est une tendance des dernières années», a déclaré M.Yusef.
La plupart sont arrêtés pour avoir jeté des pierres ou participé à des manifestations. Mais depuis octobre 2015, dans le contexte d'une escalade du conflit, «il y a eu une augmentation notable du nombre de mineurs qui sont jugés et condamnés pour incitation à la révolte, en particulier sur internet.»
Selon l'ambassadeur de Palestine en Uruguay, Walid Abdel-Rahim, Tamimi est le «symbole de résistance» d'une génération qui a grandi en voyant la destruction des communautés due à l'occupation israélienne et aux fouilles nocturnes dans leurs maisons en Cisjordanie, à Jérusalem-Est et dans la Bande de Gaza.
«Les enseignants exécutent leurs cours à côté des débris. C'est une expression de la résistance du peuple palestinien. Nous avons toujours été un peuple instruit et éduqué de toutes les façons. Les enfants palestiniens comme Tamimi sont une génération qui voit cette violence sioniste militariste, qui tue leurs familles devant leurs propres yeux», a déclaré le fonctionnaire.
Pour le diplomate, malgré les tentatives de répression des manifestations pacifiques par l'emprisonnement, «ces nouvelles générations n'auront pas peur» et ne cesseront de défendre leur droit à vivre dans les territoires occupés par Israël depuis la guerre des Six Jours en 1967, quand il a pris le contrôle de la Cisjordanie. Depuis lors, Israël a mené une politique d‘établissement de colons juifs et de contrôle de la population palestinienne, ce que M.Abdel-Rahim considère comme un «apartheid».
Un système judiciaire controversé
Une question clé pour comprendre la situation est le système judiciaire auquel les Palestiniens résidant dans les territoires occupés font face. «Le droit militaire et non le droit civil gouverne là», a noté à Sputnik Ruben Elias, membre de la Commission de soutien au peuple palestinien d'Uruguay.
«Les troupes d'occupation, les soi-disant Forces de défense [d'Israël] utilisent également ce système pour arrêter toute personne. Ahed n'est pas le seul mineur détenu et cela ne s'applique pas seulement aux jeunes», a-t-il ajouté.
«Le système des tribunaux militaires a été établi avec l'occupation en 1967. La loi de ce système est un ensemble d'ordres rédigés et signés par les commandants de la région de Cisjordanie. Les lois sous lesquelles les gens sont jugés sont des abstractions complètement arbitraires de l'armée israélienne, et de plus, les juges militaires et les procureurs sont des soldats», a dénoncé le conseiller juridique.
Dans le cas des tribunaux composés d'un seul magistrat, il doit y avoir une formation en matière juridique. Mais quand il s'agit de tribunaux classiques, il suffit que l'un des trois magistrats ait une formation en droit.
Ces organes «administrent le processus à partir de l'arrestation et ont un pouvoir de décision dans les affaires qui leur sont présentées par le bureau du procureur militaire». Selon M.Yusef, alors que dans un tribunal commun «toute preuve recueillie sous la pression ou sans l'avis d'un avocat est inadmissible», dans ces cas, le contraire se produit fréquemment.
Dans le cas des enfants de moins de 16 ans, avant 2009 ils étaient jugés par les mêmes institutions que les adultes. Un ordre militaire émis «en théorie pour améliorer les conditions» des procès des enfants et des adolescents a établi certaines mesures, telles que l'assistance d'un avocat (dans les tribunaux pour les adultes cette option n'est pas «assurée à 100%») et «une certaine expérience dans le travail avec les enfants» parmi les juges.
«Au-delà de cela, les tribunaux pour mineurs n'apportent aucun niveau de protection supplémentaire», a déclaré le membre d'Addameer.
Une fois en prison, les enfants sont soumis à «une politique de négligence»: ils reçoivent «le minimum vital» concernant la nourriture. Ils ne peuvent suivre que des cours d'arabe et de mathématiques, mais aucun organisme officiel ne leur fournit un enseignant qualifié pour le faire.
Pourquoi Ahed Tamimi est «le sommet de l'iceberg»?
Le clan Tamimi est une «famille remarquable, activement impliquée dans la résistance pacifique et la sensibilisation» à la situation actuelle. M.Yusef a indiqué que toute personne liée à la situation palestinienne connaît les membres de cette famille.
Aujourd'hui, les villageois ont un accès limité à cette ressource, tandis que les colons peuvent ouvrir leurs robinets 24 heures par jour. La résistance du clan Tamimi a généré une prise de conscience internationale non seulement de cette situation particulière, mais aussi de celle vécue par toutes les localités des territoires occupés.
Ahed, selon M.Yusef, «est héroïque et courageuse», présente sur «la première ligne des manifestations» et sur les forums au-delà de la Palestine.
«Elle est photogénique, son apparence est proche de l'Occident, où il y a un préjugé envers les Palestiniens. Ce n'est pas juste une fille qui jette des pierres et s'associe à des questions telles que le terrorisme. Ahed frappe la perception occidentale d'un Palestinien par ses yeux bleus et ses cheveux blonds», a déclaré M.Yusef.
Tout en reconnaissant que cette hypothèse pourrait être «une théorie du complot», le diplomate a noté que l'enquête «n'a pas apporté de résultats». Cependant, selon lui, la diffusion d'informations sur les manifestations d'Ahed est une stratégie «armée», qu'il a appelée «Pallywood».
A 9-year-old is not a terrorist; he poses no threat to the heavily armed soldier; he is but a prisoner in an elaborate system of control, which has been used to suppress a people's' legitimate struggle for self-determination and dignity. https://t.co/MRr1q3gHj3 pic.twitter.com/pHCxgbw0L9
— Addameer –الضمير (@Addameer) 23 ноября 2017 г.
Initialement prévu pour le 31 janvier, pour l'anniversaire d'Ahed, le procès a été reporté deux fois. Ce mardi matin, Ahed Tamimi est apparue devant le tribunal de la prison militaire d'Ofer, près de Ramallah, pour une audience préliminaire. Son avocat, Gaby Lasky, a déploré que la presse n'ait pas été autorisée à rester dans la salle pour suivre les débats, sous prétexte que l'accusée est mineure.
L'audience a été suspendue jusqu'au mois de mars et Ahed Tamimi reste en détention préventive.