1. Spéculation, politique et surproduction: la baisse de 2014-2015
La chute de ces prix dans le cours de 2014 doit être expliquée. Si l'on prend l'indice BRENT, les prix, supérieurs à 100 dollars le baril jusqu'en juillet 2014, baissent rapidement jusqu'à 50 dollars de la fin juillet 2014 à janvier 2015. Après un rétablissement provisoirement autour de 60 dollars de janvier à mars 2015, ils replongent pour atteindre le point le plus bas (32,18 dollars le baril) en janvier 2016. Ils remonteront entre 40-45 dollars dans le cours de l'année puis, commenceront une phase haussière en 2017, à la suite des accords de réduction de production signés par les pays de l'OPEP et les pays du groupe « non-OPEP ». Cette phase haussière les a conduit de 45 dollars en juin 2017 à, aujourd'hui, environ 70 dollars, soit une hausse de plus de 55%.
Prix du pétrole, indice BRENT
1. L'offre de pétrole était largement supérieure à la demande depuis la fin de 2012. La période de prix élevés, induite par les conséquences à long terme de la crise financière de 2007-2009 avait poussé à une très forte croissance de l'exploitation du pétrole de schistes. Les prix élevés rendait la production retable, même pour de petites compagnies opérant dans des conditions d'exploitation que l'on peut qualifier de marginales.
2. Cette montée des Etats-Unis dans la production globale s'accompagnait d'une concurrence importante sur les marchés, dans la mesure où l'Arabie Saoudite et les pays du Golfe maintenaient des niveaux de production élevés.
3. Le déséquilibre offre/demande, qui aurait dû provoquer une baisse des prix dès le début de 2013 était compensé par le stockage de quantités importantes de pétrole achetées par des sociétés financières qui l'utilisaient comme garantie dans le cadre d'emprunts. Ces achats ont artificiellement gonflés la demande. Tant que les prix étaient stables, voire à la hausse, ces sociétés financières avaient intérêt à ne pas revendre les quantités de pétrole qu'elles détenaient.
Quant aux pays producteurs, et à l'Arabie Saoudite en particulier, ils accordent des « dessous de table » importants à leurs principaux clients pour limiter l'entrée sur le marché des producteurs américains. Le pétrole saoudien était ainsi vendu dans la réalité à des prix bien plus bas que les prix (eux-mêmes en baisse) auxquels le pétrole se négociait officiellement. La combinaison du retournement d'une spéculation purement financière et d'une concurrence importante où certains des acteurs cherchent à tout prix à maintenir leurs « parts de marché » explique tant l'ampleur de cette baisse (de 114 dollars le 20 juin 2014 à 32,18 dollars le 22 janvier 2015) que sa rapidité, voire sa violence.
2. La stabilisation et les bases des accords de la fin 2016
Ce processus a donc entraîné les acteurs bien au-delà de là où ils voulaient aller. La crise a été brutale chez les producteurs de pétrole de schistes et le nombre de têtes de puits installées s'est effondré dans le courant de l'année 2015. Certaines de ces compagnies ont été rachetées par des « grandes compagnies » dont les moyens techniques et financiers permettent d'extraire du pétrole de schistes pour des prix compris entre 40 et 55 dollars. Pour les « petites » compagnies le seuil de rentabilité est plutôt au-dessus de 70 dollars. On constate aujourd'hui que la nature de ce secteur a très largement changé par rapport à 2013/2014.
Les producteurs classiques ont aussi été confrontés à des problèmes importants. L'Arabie saoudite a ainsi beaucoup souffert de cette baisse. Par ailleurs, l'épuisement de certains des gisements traditionnels (d'où l'on extrayait le pétrole à des coûts compris entre 1,5 et 5 dollars) obligeait ce pays à des investissements importants. Aussi, l'Arabie saoudite a progressivement mis fin à sa politique des « rabais » et elle a aligné les prix réels sur les prix officiels. Globalement l'industrie pétrolière a été très durement touchée par l'effondrement des prix de 2014-2015 et les investissements ont chuté, ce qui devrait d'ailleurs se traduire, dans les années à venir par une production moindre en raison de la mise en service de moins de « nouveaux » champs tandis que les champs considérés comme « matures » vont voir leurs productions diminuer. Il faut comprendre que la mécanique des investissements joue sur le moyen et le log terme. La chute brutale des investissements en 2015 et 2016 aura des conséquences qui se feront sentir sur les niveaux de production au-delà de 2020.
Ces accords ont dépendu d'un accord politique entre la Russie (qui entraîne avec elle des pays du groupe dit « non-OPEP ») et l'Arabie saoudite. Quelles que soient les frictions qui existaient, et qui existent encore, entre ces deux pays, le réalisme a prévalu. Il est clair aussi que, dans la crise syrienne, l'intervention de la Russie a changé les rapports des forces. Cela a été noté dans les capitales des pays du Golfe, même si cela n'a pas été pleinement compris par les pays occidentaux. On peut ainsi estimer que même si la nécessité d'un accord pré-datait l'intervention russe, cette dernière a construit la crédibilité de Moscou. La détermination du gouvernement russe a été saluée d'une certaine manière par le resserrement des liens diplomatiques entre les pays du Golfe et la Russie. Le rôle des autorités russes dans la conclusion de l'accord et dans le calcul des quotas de production a été important, ce qui tranche avec les accords précédents où l'Arabie saoudite jouait un rôle central. Cet accord de réduction de la production apparaît donc comme à la fois une nécessité pour tous, et donc le résultat d'un réel consensus, mais aussi une victoire spécifique pour Vladimir Poutine qui a mis la Russie au centre des négociations pétrolières et qui a fait de son pays un partenaire absolument incontournable. Les liens de la Russie avec l'Iran et avec le Venezuela lui ont permis de constituer une masse de manœuvre qui a pesée dans les négociations. En un sens, c'est bien la Russie qui émerge comme puissance dominante de la crise du marché pétrolier de 2014 à 2016, alors que l'Arabie saoudite s'enferre dans un affrontement stérile avec l'Iran (affrontement où la Russie pourrait bien jouer les médiateurs) et dans des problèmes internes qui sont aujourd'hui croissants.
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(1) Voir Sapir J., « Pétrole et diplomatie russe », billet posté sur RussEurope, le 13 décembre 2016, http://russeurope.hypotheses.org/5508