«Rapport du Kremlin» de Washington, annuaire des autorités russes et du classement Forbes

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Le ministère américain des Finances a rendu public le «Rapport du Kremlin» préparé conformément à la loi adoptée l'été dernier sur la lutte contre les ennemis de l'Amérique par les sanctions. Rossiïskaïa gazeta analyse son contenu.

Au lieu d'un impact ciblé sur l'«entourage proche» de Vladimir Poutine — ce qui avait été suggéré par de nombreux consultants volontaires et engagés — la liste est plutôt globale, écrit Rossiïskaïa gazeta. Elle ressemble à un répertoire téléphonique des autorités russes et du classement Forbes. Aucune mesure concrète visant les personnes figurant sur cette liste n'a été annoncée.

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A première vue, ce document attendu avec une telle tension paraît bâclé ou ressemble à une tentative de trolling. En réalité la démarche de l'administration est bien plus réfléchie qu'il n'y paraît. Tout se déroule dans la lignée de l'idéologie de Donald Trump en conformité avec laquelle la mondialisation, sous sa forme néolibérale actuelle, ne correspond pas aux intérêts des USA et doit être modifiée. Selon cette vision, la Russie représente un cas particulier. Bien qu'il soit le plus révélateur d'une approche très logique.

L'objectif des sanctions pourrait n'être pas univoque: soit faire entrer la Russie dans une ligne acceptable pour les États-Unis, c'est-à-dire l'inscrire à nouveau dans le paradigme du «bon» développement, soit, au contraire, dresser une barrière définitive de restrictions pour un refrènement global et à long terme. La loi sur les sanctions adoptée l'été dernier semblait accorder la priorité à la première tâche, ce qui correspondait aux notions dominantes depuis la fin de la Guerre froide. Les partisans de cette approche pensaient que tout était allé de travers en Russie, en grande partie par sa propre faute mais également à cause des erreurs de l'Occident, mais qu'en principe la situation pouvait être renversée, que le Kremlin pouvait être «corrigé» par une combinaison de différents outils et que, si cette stratégie réussissait, il pourrait être intégré à la «bonne société».

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Cependant, Trump et ses acolytes ne partagent pas cette vision. Le président américain a déclaré plusieurs fois qu'il ne changerait pas de régime et n'imposerait pas des règles et des normes aux autres parce que l'Amérique n'en a pas besoin. Que tout le monde vive comme il veut, et les USA feront aux autres ce qui est bénéfique et utile pour eux. Cela implique un éventail d'actions allant de l'ignorance à une forte pression, selon la conjoncture du moment.

La doctrine de défense adoptée il y a deux semaines recrée à part entière l'esprit de la Guerre froide en proclamant officiellement la Russie et la Chine en tant que rivaux militaro-politiques (d'ailleurs, la loi sur les sanctions qualifie clairement la Russie d'ennemi). Et puisqu'il s'agit d'une guerre froide, alors il ne pourrait être question d'une intégration — seulement d'une séparation totale.

La liste y contribue. L'absence de mesures concrètes ne signifie pas qu'il n'y en aura pas. Une base a été mise en place pour, en cas de besoin, décréter des sanctions contre tout individu russe mentionné dans le document rédigé à la demande du congrès. Si les intérêts commerciaux des USA et les paramètres de la concurrence l'exigeaient, tout sujet économique serait soumis aux restrictions. Le principe préféré de Trump? Rien de personnel, seulement les affaires. Mais les affaires avant tout — tout comme l'Amérique.

Les idéologues derrière cette loi au Congrès partaient du fait (du moins c'est ainsi que leurs intentions ont été interprétées dans la sphère publique) que les sujets touchés s'indigneraient en exigeant des changements de l'autorité politique. La polémique (publique également) battait son plein pour savoir comment toucher au maximum l'entourage de Poutine tout en contournant les représentants de l'élite et les hommes d'affaires qui avaient fait fortune avant qu'il accède à la présidence. En d'autres termes, on a misé sur la scission interne. Aujourd'hui la situation est inverse. On ne propose aucun choix pour savoir de quel côté du mur des sanctions rester. Les hommes d'affaires russes sont forcés, de facto, à être russes et non multinationaux. Une fois de plus, cela reflète comment Washington envisage aujourd'hui l'ordre mondial tel qu'il doit être. Une fois de plus: il ne s'agit pas de la Russie.

Le succès de la mondialisation néolibérale de la fin du XXe-début du XXIe siècle se basait sur le fait que la société civile n'avait pas d'argent. Cela ne signifiait pas un omnivorisme total, mais le principe fondamental résidait dans l'implication d'un montant d'argent de plus en plus élevé dans la circulation globale et la fusion des classes dirigeantes nationales en une société cosmopolite.

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Mais cette dernière a été confrontée au rejet des citoyens qui exigeaient de revenir sur leur terre natale. C'est pourquoi il faut passer d'urgence à la «patrie avant tout», c'est-à-dire déterminer ses propres intérêts en opposition à ceux des autres. Ce n'est pas fait par patriotisme, mais plutôt par instinct de survie. Et même l'argent pour lequel tout le monde se battait il y a encore peu de temps devient «notre» et «votre», c'est-à-dire désirable et indésirable.

Objectivement, les sanctions contribuent au démantèlement de l'espace cosmopolite et catalysent le processus de fragmentation. Jusqu'à présent, la rivalité interétatique, qui n'avait pas disparu avec l'arrivée de la mondialisation, était combinée à une profonde interdépendance commerciale et un enchevêtrement réciproque au niveau entrepreneurial et privé. Cette période s'achève entre autres parce que le rôle de l'État dans l'économie augmente partout. Et l'intérêt privé fusionne avec l'intérêt de l'État selon la même philosophie du «Nous avant tout». L'Amérique a choisi son chemin. Aux autres de décider comment se comporter dans le nouveau monde.

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur de l'article repris d'un média russe et traduit dans son intégralité en français.

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