Le directeur de l'ONG a tout de même nuancé l'accusation et admis que «des habitants et des sources médicales évoquent les effets du gaz de chlore, mais l'OSDH ne peut pas confirmer». Le régime a quant à lui fait état de 9 victimes civiles dues à des tirs d'obus rebelles. Une accusation qui tombe vraiment à pic, à la veille de l'ouverture de la conférence sur les armes chimiques de Paris, qui a pour principale cible le gouvernement de Damas.
Ce cas illustre par ailleurs les difficultés que rencontre l'ONU sur le dossier de l'utilisation d'armes chimiques en Syrie. Le mécanisme d'enquête conjoint ONU-OIAC en place depuis 2015 a cessé de fonctionner le 17 novembre dernier, faute d'accord sur un renouvellement de son mandat. Un arrêt dû au fait qu'il était devenu «l'otage de querelles politiques», selon le représentant français à l'Onu, François Delattre.
Les Occidentaux, États-Unis en tête, se sont empressés de condamner et de pointer du doigt le veto russe, synonyme pour eux de soutien coupable à Damas. Moscou a expliqué l'emploi de son veto en dénonçant «les lacunes systématiques entachant le travail des entités internationales chargées d'enquêter».
«Le rapport du mécanisme ne tient pas la route et regorge de termes comme "probablement", "on peut supposer", "sans doute" […] Pensez-vous que cette terminologie est acceptable pour une question aussi grave? N'auriez-vous pas pu simplement dire que le Mécanisme n'était pas en mesure de mener une enquête?», s'insurge M. Vladimir K. Safronkov, représentant de la Fédération de Russie à l'ONU.
«Même s'ils trouvent les mêmes composants, ils peuvent venir de Turquie, ce n'est pas personnalisé. On ne peut rien en conclure. On trouve des traces dans tous les cas. Tout ce que les enquêteurs peuvent en conclure, c'est que c'est le même procédé de synthèse et ce procédé est commun à beaucoup de pays, mais absolument pas d'en conclure que ça vient d'un dépôt de l'armée syrienne.»
Pour en revenir au blocage du mécanisme d'enquête conjoint ONU-OIAC, il est également intéressant de noter que ces mêmes pays occidentaux prompts à la critique ont également rejeté une proposition de la Bolivie soutenue par la Chine, la Russie et le Kazakhstan pour prolonger le mandat des enquêteurs tout en renforçant l'efficacité du dispositif.
La France semble d'ailleurs infléchir sa position vis-à-vis des propositions russes de modifier ce mécanisme, puisque François Delattre, a déclaré à New York que la France était prête à étudier la proposition de la Russie d'enquêter sur les attaques chimiques en Syrie.
Par ailleurs consciente du blocage au sein des Nations unies, la France veut tenter de prendre le leadership sur le dossier des armes chimiques en Syrie pour plusieurs raisons. D'une part, Emmanuel Macron a affirmé qu'il souhaitait faire de la défense des valeurs un axe important de sa diplomatie.
«Aujourd'hui, la situation est bloquée au niveau le plus élevé de la communauté internationale. Il faut que les auteurs d'attaques chimiques sachent qu'ils peuvent être poursuivis», déclarait un proche du ministre des Affaires étrangères.
D'autre part, l'enjeu majeur pour la France est de revenir dans le dossier syrien. Paris est en effet le deuxième contributeur à la coalition emmenée par les États-Unis et entend à ce titre peser sur l'avenir de la Syrie. Dans ce contexte, la tenue d'une «initiative» à Paris le 23 janvier, un jour après l'attaque de Douma est une heureuse coïncidence pour la diplomatie française.
Le rendez-vous diplomatique a débouché sur une conférence et un partenariat contre «l'impunité de l'utilisation d'armes chimiques». Ce dernier prendra la forme d'un meilleur partage de l'information entre les États, d'une liste noire des personnes impliquées dans l'utilisation des armes chimiques et comportera un volet de sanctions pouvant aller jusqu'à des poursuites judiciaires au niveau des États.
Au cours de cette conférence, le secrétaire d'État américain, Rex Tillerson, s'est montré véhément à l'égard de la Russie, qu'il accuse d'être responsable des attaques en tant que garant du démantèlement de l'arsenal chimique syrien. Ce que M. Tillerson oublie de mentionner, c'est que d'une part, les USA ont eux aussi certifié le démantèlement de l'arsenal chimique syrien, qui avait été validé par l'administration Obama et que d'autre part, le gouvernement syrien n'est pas la seule force présente sur le terrain à avoir la capacité de faire usage d'armes chimiques.
M. Le Drian a annoncé la nécessité de rendre publique une liste «unique et consolidée» des entités et des personnes en lien avec l'utilisation et la création d'armes chimiques «en Syrie et ailleurs». Dans le même temps, le ministre des Affaires étrangères a officialisé le gel des avoirs de 25 personnalités syriennes, libanaises, chinoises et françaises «soupçonnées d'avoir alimenté le programme [du gouvernement, ndlr] syrien de conception et de réalisation d'armes chimiques».
Là encore, si Moscou et le régime de Damas sont pointés du doigt, il n'y a paradoxalement aucune trace d'eux dans la nouvelle liste publiée sur le site NoImpunityChemicalWeapons. Damas déclare s'être soumise au plan de démantèlement voté par l'ONU. Le Quai d'Orsay reconnaissait d'ailleurs que les autorités syriennes ne sont pour l'instant pas inquiétées:
«Nous n'avons pas aujourd'hui d'éléments permettant d'engager cette démarche [d'inscrire sur la liste noire des personnes en lien avec l'utilisation d'armes chimiques] au niveau des autorités politiques syriennes.»
De fait, il n'existe pas de preuve que le régime de Damas a été impliqué dans une attaque à l'arme chimique depuis le démantèlement de son arsenal. Au total, sur 130 attaques chimiques avérées en Syrie depuis le début du conflit, les enquêteurs de l'ONU et de l'OIAC en ont attribué formellement au régime seulement quatre, dont la plus célèbre, celle sur la Goutha en 2013, a été démontée par une étude du MIT.
Quant au gazage de Khan Cheikhoun en avril 2017, si les Occidentaux ont immédiatement pointé du doigt l'armée syrienne, au point de la bombarder dès le lendemain, sa responsabilité reste controversée pour de nombreux experts indépendants. Ils soulignent le contresens tant militaire que politique que constituerait un gazage par l'armée syrienne au moment où elle engrangeait des victoires sur le terrain et où la présence d'Assad à la tête de la Syrie devenait de facto acceptable par la communauté internationale occidentale.
Difficile donc d'affirmer, comme l'a fait Rex Tillerson dans une invective qui ressemble plus au style de Donald Trump qu'au sien, que la Russie est responsable des victimes d'attaques chimiques en Syrie.