100e anniversaire de l'Espagnole, cette grippe qui a fait plus de morts que la guerre

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Cette année, le monde commémorera le 100e anniversaire de la grande pandémie de grippe de 1918 qui a fait, selon différentes estimations, entre 50 et 100 millions de morts, soit environ 5% de la population mondiale à cette époque, tandis qu'un demi-milliard de personnes ont été infectées.

Tout semble avoir commencé aux États-Unis. En janvier 1918, un médecin de campagne travaillant dans le Kansas constate que plusieurs dizaines de fermiers sont frappés d'une forte fièvre, de courbatures, d'une toux sèche et violente, ainsi que de maux de tête. La maladie emporte trois hommes. Pourtant, personne ne pense à une grippe qui touche d'ordinaire les enfants et les vieillards. En effet, la grippe appelée espagnole a frappé surtout les jeunes adultes, majoritairement entre 20 et 40 ans. Les symptômes étaient si violents (saignements des oreilles, hémorragies, œdèmes) que les médecins ne croyaient pas toujours à la grippe et soupçonnaient une autre affection. La rumeur a même dit que la peste était de retour!

«On pense que la grippe espagnole est apparue d'abord au Kansas où elle a contaminé de jeunes soldats américains, qui étaient réunis trois mois dans des camps de formation militaire, à raison de 50.000 à 70.000 individus, avant de traverser le pays et de prendre la mer pour l'Europe», explique Patrick Berche, professeur de microbiologie à l'hôpital Necker, à Paris, puis directeur général de l'Institut Pasteur de Lille.

L'étrange épidémie de grippe se répand à travers la planète. Dans un premier temps, elle n'inquiète pas les populations européennes. En effet, elle n'entraîne pas beaucoup de décès. Les offensives allemandes préoccupent l'opinion davantage.

Mais la maladie ne lâche pas prise et gagne du terrain. Les malades deviennent toujours plus nombreux et leur état s'aggrave, notamment dans les armées au moment-même où se joue l'issue de la guerre. Au point que les journaux parlent de moins en moins des batailles et de plus en plus des malades qui décèdent.

En 1918, «la guerre a perdu la palme du massacre», constate Patrick Zylberman, professeur émérite d'histoire de la santé à l'École des hautes études en santé publique.

La première vague de la maladie est suivie d'une seconde puis d'une troisième et le bilan se révèle catastrophique. Le nombre de victimes est si élevé qu'il n'est toujours pas précisé définitivement. La pandémie a fait trois fois plus de morts que la guerre à l'échelle mondiale.

La grippe espagnole qui n'a jamais été originaire d'Espagne

C'est la grippe espagnole. Son surnom vient du fait que l'Espagne — pays resté neutre pendant la Première Guerre mondiale — publiait librement en 1918 les informations relatives à cette épidémie, tandis que les journaux d'autres pays, notamment français, parlaient d'une grippe qui faisait des ravages en Espagne sans mentionner les cas français tenus secrets pour ne pas faire savoir à l'ennemi que l'armée était affaiblie. Certaines rumeurs avaient même affirmé que la grippe était «espagnole» parce qu'elle était provoquée par des conserves venues d'Espagne dans lesquelles les Allemands avaient introduit des agents pathogènes. Seulement, les armées allemandes étaient tout aussi affaiblies par la mystérieuse maladie.

CC0 / Edward A. "Doc" Rogers / 1918 flu epidemicDes infirmières de la Croix-Rouge américaine soignent les patients atteints de la grippe à Oakland, 1918.
Des infirmières de la Croix-Rouge américaine soignent les patients atteints de la grippe à Oakland, 1918. - Sputnik Afrique
Des infirmières de la Croix-Rouge américaine soignent les patients atteints de la grippe à Oakland, 1918.

La grippe de 1918 s'est propagée très rapidement: 25 millions de victimes au cours des six premiers mois, ce qui a fait croire que la souche était particulièrement mortelle. Toutefois, le taux de mortalité élevé était dû dans une grande mesure à la concentration de personnes dans les camps militaires et les environnements urbains, ainsi qu'à la mauvaise nutrition et au manque d'hygiène. En outre, les malades avec des cas sévères étaient souvent entassés dans les hôpitaux, ce qui ne faisait qu'augmenter la transmission du virus.

Le taux de mortalité variait selon les périodes et les groupes, mais la plupart des personnes qui ont contracté la grippe de 1918 ont survécu. Toutefois, même si ce taux se situait aux alentours de 20%, le chiffre dépasse largement une grippe saisonnière qui tue moins de 1% des personnes infectées.
Pour soigner le mal, les médecins proposaient différents remèdes, allant de fortes doses d'aspirine à des fortes doses… de rhum. Aucune thérapie antivirale spécifique n'existait à l'époque. Aujourd'hui encore, outre la vaccination, la plupart des soins médicaux pour la grippe visent à soutenir les patients plutôt qu'à les guérir.

Et s'il est peu probable que la grippe ait influencé l'issue de la Première Guerre mondiale — les combattants des deux côtés du champ de bataille étant équitablement touchés — la guerre, elle, a sérieusement influencé la pandémie. La concentration de millions de troupes a créé des circonstances idéales pour sa propagation dans le monde.

La «Peste noire» du début du XXe siècle

La grande pandémie de 1918-1919 reste l'une des pages les plus dramatiques de l'histoire humaine. En effet, c'est l'une des épidémies les plus mortelles, comparable seulement à la Peste noire du XIVe siècle.

Et même si la grippe a disparu assez rapidement, certains moururent après 1918. Ainsi, le bilan humain est à considérer non seulement pour 1918 et 1919, mais sur le long terme, les conséquences de la pandémie se faisant sentir plusieurs années après 1919.

Pourtant, à quelque chose malheur est bon: c'est à cette pandémie que l'on doit l'apparition du Comité d'hygiène de la Société des Nations (SDN), ancêtre de l'Organisation mondiale de la santé (OMS).

Les scientifiques préviennent: les épidémies de grippe ne disparaîtront pas et resteront une caractéristique annuelle du rythme de la vie humaine. Selon le virologue russe Nikolaï Kaverine, le virus de la grippe subit des mutations permanentes. Une grippe reste toujours une grippe, mais c'est le mécanisme qui aide le virus à se faufiler à l'intérieur de la cellule qui change. Des pandémies sont probables tous les 30 ou 40 ans, lorsque la mutation est telle que le système immunitaire est incapable de reconnaître le virus. Les chercheurs estiment que ce phénomène se produit quand le virus passe de l'homme aux animaux et aux oiseaux avant de revenir en boomerang à l'homme.

Alors quand la grippe reviendra en force, serons-nous prêts à l'affronter puisque les spécialistes estiment que la prochaine grande épidémie, voire pandémie, n'est pas une question de «si» mais de «quand».

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