Loi anti-fake news, la presse française se réveille-t-elle face à Macron?

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La presse française s’inquiète de la manière dont Emmanuel Macron entend légiférer contre le phénomène des «fake news» sur internet dans un contexte électoral. Nombreuses sont les rédactions à s’inquiéter d’un renforcement possible du contrôle de l’État sur l’information. Une presse, qui elle-même, s’érige de plus en plus en fact-checkers.

«"Fake news": la fausse piste de Macron» titre vendredi 3 janvier Libération, «"Fake news": l'Élysée, quartier général de la censure» trouve-t-on du côté de l'hebdomadaire Valeurs Actuelles, ou encore «Loi contre les "fake news": attention, danger!» dans la revue de presse du Point. Des titres de presse auxquels s'ajoute la Une du quotidien La Croix, qui s'inquiète «qu'une telle loi puisse être instrumentalisée par un pouvoir en place pour assurer sa propre préservation», les tribunes de Marc Baudriller, dans le magazine Challenges, et de Olivier Auguste dans le quotidien L'Opinion, qui mettent respectivement en garde contre la tentation «illibérale» et «liberticide» du Président,
sans oublier le Figaro et le Monde, qui mettent en avant la difficulté de légiférer sur un tel sujet, un «chantier complexe», une «ambition législative périlleuse», estiment-ils.

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Le moins que l'on puisse dire, c'est que deux jours après l'annonce par Emmanuel Macron de sa volonté de légiférer contre le phénomène dit des «fake-news», le projet législatif du Président ne fait pas l'unanimité des rédactions en sa faveur. D'autant plus que, comme le rappelle Olivier Auguste, rédacteur en chef adjoint de L'Opinion, «en France, la puissance publique serait par nature garante de la vérité», évoquant à l'appui les affaires du Rainbow Warrior ou du nuage de Tchernobyl. Une opinion visiblement partagée au sein de sa rédaction.

Mercredi 3 janvier, lors de ses premiers vœux à la Presse, le Président de la République a annoncé son souhait de voir promulguée une loi anti-fake news qui permettrait, en période de campagne électorale, de «saisir un juge à travers une nouvelle action en référé», «d'accorder plus de pouvoirs au Conseil Supérieur de l'Audiovisuel» ou encore «d'imposer» aux plateformes des «obligations de transparence» quant à leurs contenus sponsorisés, au risque de se voir appliquer «des sanctions extrêmement lourdes».

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Une loi qui viendrait ainsi s'ajouter à l'arsenal juridique français déjà existant en matière de diffusion de fausses nouvelles. Une notion qui apparait en droit français depuis 1849. L'article 27 de la loi du 29 juillet 1881, relative à la liberté de la presse, sanctionne d'une amende de 45.000 euros «la publication, la diffusion ou la reproduction, par quelque moyen que ce soit, de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers lorsque, faite de mauvaise foi, elle aura troublé la paix publique, ou aura été susceptible de la troubler.»

Depuis le début des années 2000, sont également punis d'un an emprisonnement et de 15.000 euros d'amende, ceux qui, d'après l'article L97 du Code électoral, «à l'aide de fausses nouvelles, bruits calomnieux ou autres manoeuvres frauduleuses, auront surpris ou détourné des suffrages,» sans oublier les différents types de sanctions que réserve le Code pénal à ceux qui font circuler de fausses informations, comme par exemple visant à faire croire à un attentat, à un détournement d'avion ou pour influencer sur les cours d'entreprises en bourse.

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Un projet de loi jugé, par conséquent, «inutile» voire «contreproductif» par ses détracteurs, dont le principal grief reste le possible renforcement du contrôle de l'État sur l'information. Et notamment sur la manière dont une information pourrait être jugée «fausse» par des tiers assermentés. Il faut dire que le terme de «fake-news» lui-même est un terme particulièrement ambigu dans l'utilisation que l'on en fait en France. Et ce, malgré une définition claire: il s'agit d'une information sciemment falsifiée et communiquée afin d'induire en erreur une personne ciblée, en imitant par exemple la mise en page d'un site d'information. Les pratiques de l'Américain Paul Horner, mort en septembre, qui disait avoir fait élire Donald Trump, en sont l'illustration parfaite.

Une nuance de «faux», au sens d'«imitation», que la reprise de l'anglicisme par les locuteurs francophones ne facilite pas. «La langue anglaise distingue en effet ce qui est false (faux au sens d'erroné) de ce qui est fake (faux au sens d'une imitation),» comme l'expliquait le Monde il y a déjà près d'un an. Une ambiguïté et une utilisation du terme à tout bout de champs, qui a laissé pour l'heure la porte ouverte à toutes les subjectivités quant à son interprétation. Une ambigüité du terme «fake-news», dans le discours politique français, également soulignée par des confrères anglo-saxons.

​«Qu'est-ce qu'une fake news? Parle-t-on de nouvelles non confirmées? (Pénélope Fillon dans le Canard Enchaîné?) Parle-t-on d'informations qui se révèlent erronées par la suite? (Le cas typique de la fausse étude, ou du hoax) Parle-t-on de la lecture d'un événement?» S'interrogeait Nicolas Vanderbiest au lendemain des déclarations d'Emmanuel Macron. Ce doctorant à l'Université Catholique de Louvain et spécialiste des réseaux sociaux dressait le constat que «la simple réaction de nombreux journalistes français et belges plaidant pour un conseil de déontologie journalistique illustre bien le fait qu'Emmanuel Macron, les récepteurs, les journalistes et autres acteurs ne parlent pas de la même chose.»

Tout semble donc dépendre de ce qu'entend exactement Emmanuel Macron par «fake-news». Un terme que le Président, de l'aveu même de nos confrères, associe à RT et Sputnik. Les rédactions des «"médias" russes» seraient donc ciblées implicitement, comme le souligne l'AFP.

«Dans une allusion à peine voilée aux médias russes RT et Sputnik, M. Macron a fustigé "cette propagande articulée avec des milliers de comptes sur les réseaux sociaux" qui, "en un instant, répandent partout dans le monde, dans toutes les langues, des bobards inventés pour salir un responsable politique, une personnalité, une figure publique, un journaliste".» Marc Baudriller, dans sa tribune parue dans Challenges, n'hésite pas à évoquer «une loi anti Russia Today

De manière encore plus explicite, l'interview jeudi 4 janvier, de Benjamin Griveaux, Secrétaire d'Etat auprès du Premier ministre et Porte-parole du gouvernement, au micro de Jean-Jacques Bourdin sur BFMTV-RMC,
— «[…]Qui sont des médias de propagande et non pas de journalisme, on pense à certains médias détenus par des gouvernements étrangers.»

— «Oui, vous parlez des russes,» réplique Jean-Jacques Bourdin.

— «Oui» acquiesce Benjamin Griveaux.

Emmanuel Macron qui, rappelle-t-on, avait été la cible de «fake-news» durant la campagne présidentielle et n'avait pas hésité à tirer un portrait au vitriol de RT et Sputnik devant son hôte et homologue russe, Vladimir Poutine, lors de sa visite officielle à Versailles, en mai dernier.

«Russia Today et Sputnik ne se sont pas comportés comme des organes de presse et des journalistes, mais ils se sont comportés comme des organes d'influences, de propagande et de propagande mensongère,» avait déclaré le nouveau Président en répondant à la question de Xenia Fedorova, Présidente et directrice de l'information de RT France.

Mais si certains évoquent un «paradoxe» dans cette mesure présidentielle, n'en est-il pas également au sein même de certains médias qui dénoncent aujourd'hui la possible intervention d'un tiers dans la vérification des informations? En effet, on apprend dans la foulée de ces vœux présidentiels que Le Monde, l'Agence France-Presse (AFP), BFM-TV, France Télévisions, France Médias Monde, L'Express, Libération ou encore 20 Minutes «s'allient» à Facebook dans l'optique de «réduire la présence de fausses informations sur le réseau social», des médias qui en somme s'érigent en «fact-checkers».

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