Détenue avec plusieurs autres femmes dans un camps près de la frontière turque, Emilie König, qui a été une des principales recruteuses de Daech, a interpellé au travers d'une lettre adressée au Président de la République, sur les conditions de vie de ses enfants.
Au-delà du portrait de la jeune femme ou des conditions permettant aux membres de Daech de rentrer en France, Sputnik s'est intéressé aux arguments développés par les défenseurs et les opposants au retour d'Ummu Tawwab. En ressort un débat équilibré, entre sécurité et information, fermeté et compassion: un débat presque philosophique, où le droit des citoyens et les intérêts supérieurs de la France doivent nécessairement primer sur l'affect.
À l'image d'Éric Ciotti, qui s'inquiétait dès octobre du retour des djihadistes français, ils sont de plus en plus d'élus, au sein du parti Les Républicains, à réclamer que «ceux qui ont trahi» la France ne puissent pas rentrer au pays. Interrogé par Jean-Jacques Bourdin, le député des Alpes-Maritimes a estimé que le fait de rejoindre Daech revenait à répudier les valeurs françaises pour «une idéologie de mort». Nadine Morano est allée plus loin en se fendant d'un tweet dans lequel elle qualifiait Ummu Tawwab d'«ennemi de la France».
C'est d'ailleurs l'argument exposé par les avocats de deux jeunes femmes détenues. Comme le souligne Me Marie Dozé, «il faut que ces femmes soient jugées pour les actes qu'elles ont commis. Or il n'y a aucun système judiciaire en Syrie». En tant que citoyennes français, Ummu Tawwab et les autres détenues bénéficient de droits qui doivent s'appliquer, comme le soulignait le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, le 4 janvier:
«Quel que soit le crime qui a été commis, même le plus abject, il faut que la défense puisse être assurée pour des ressortissants français à l'étranger. Il faut en avoir l'assurance.»
Pour autant, M.Griveaux ne rejoint pas Me Dozé sur l'état du système judiciaire en Syrie. Il ouvre la porte à un jugement au Kurdistan syrien «s'il y a des institutions judiciaires qui sont en capacité d'assurer un procès équitable». L'avocat d'Ummu Tawwab, quant à lui, rappelle à l'AFP que «de l'aveu même du ministre des Affaires étrangères, il n'existe pas sur son lieu de détention d'autorités identifiées pour le faire» et que la justice française est de fait «bien légitime à la juger».
Les partisans d'un jugement sur place ajoutent, concernant le cas d'Ummu Tawwab, que son profil laisse apparaître une radicalisation progressive sur le long terme ainsi qu'une situation économique et sociale des plus précaires. Ce sont autant d'éléments à charge qui laissent douter de la capacité de la jeune femme à se réintégrer à la société française à plus ou moins long terme.
Pour répondre à cela, ses défenseurs mettent en avant la situation de la jeune femme. Me Bruno Vinay, l'avocat de la veuve détenue dans des conditions qu'elle-même estime «inadmissibles», souligne qu'elle «est la mère de trois enfants français» et que, par conséquent, «tout doit être mis en œuvre pour faciliter leur rapatriement».
Derrière cette volonté de fermeté absolue se cachent des inquiétudes quant à la sécurité des citoyens français. Ummu Tawwab est accusée d'avoir, en tant que recruteuse pour Daech, lancé des appels au djihad armé et à «s'en prendre aux institutions françaises» ainsi que d'avoir recruté près de 200 personnes pour le groupe terroriste. Considérée par l'Onu comme une combattante dangereuse depuis 2014 et inscrite sur la liste noire des terroristes internationaux par les États-Unis en 2015 pour avoir incité des personnes établies en France à frapper les institutions gouvernementales, la jeune femme est, selon Mme Guirous, une menace sérieuse alors qu'«aucun risque ne doit être pris avec la sécurité des français».
Pour Me Dozé en revanche, c'est en laissant ces individus aux mains des forces kurdes que la sécurité des français pourrait, paradoxalement, être la plus menacée. Elle l'explique par le fait que ces personnes et les informations qu'elles détiennent pourraient à l'avenir se retourner contre les intérêts français car cela laisserait «un moyen de pression diplomatique aux forces kurdes, ce qui serait dangereux pour tout le monde».
À contrario, Me Dozé estime que la justice française est tout à fait capable de juger ses ressortissants membres de Daech, sans mettre en péril la sécurité de ses citoyens et que c'est même de son devoir. Elle déclarait dans une interview à France Info que ces personnes sont «notre échec, notre histoire» et réitérait sa confiance en la justice pour démêler «ce qui relève du cinéma ou de la mise en scène et ce qui relève à un moment donné d'un vrai repenti». L'avocate conclut en disant:
«Si on considère que notre justice n'est pas capable de [juger Émilie König] et qu'il faut la laisser soit à l'obscurantisme, soit à une justice qui exécute en masse et qui ne respecte aucun droit, et bien nous avons perdu la guerre contre l'obscurantisme puisque nous lui faisons confiance pour juger ce que notre République a créé de pire.»
Un bémol cependant: en cas de retour en France, rien n'indique qu'Ummu Tawwab passerait beaucoup de temps derrière les barreaux et qu'elle ne redeviendrait pas, à sa sortie de prison, une menace pour les citoyens français. En effet, selon le Centre d'analyse du terrorisme, «d'ici 2020, 60% des condamnés seront libérables». Même condamnée, elle pourrait donc être libre relativement peu de temps après un hypothétique retour.
Cependant, et c'est peut-être l'argument le plus important que soulignent Me Dozé et Me Vinay, ces femmes «peuvent être des sources de renseignement très précieuses pour la France». De par son profil de recruteuse, Ummu Tawwab pourrait transmettre nombre d'informations sur les cellules présentes en France: lesquelles sont actives, quels sont leurs membres, leur taille, leur organisation et leurs moyens de communication. Autant d'éléments qui pourraient permettre d'identifier de nouvelles têtes, de clarifier les rôles des uns et des autres et d'améliorer la sécurité de tous les Français.
La quantité et la qualité des informations des Français de Daech en Syrie et en Irak seraient un bon moyen de mesurer la repentance de ces personnes et de définir «au cas par cas» les candidats au retour. Pourtant, de l'aveu même de Me Dozé:
«Il semblerait qu'aucune des Françaises n'ait eu de contact avec les autorités françaises — directement ou indirectement — pas plus qu'elles n'ont été interrogées par les services de renseignement français.»