La politique et la géopolitique en 2017 fait écho aux guerres au Moyen et Proche-Orient, à la Corée du Nord ou encore au terrorisme. Et, alors qu'en France, on connait plus l'Asie du Sud-Est par le tourisme, la rédaction de Sputnik a souhaité mettre en avant cette région du monde regroupant 11 pays et 685 millions d'habitants avec Sophie Boisseau du Rocher, docteur en sciences politiques et chercheur associé au Centre Asie de l'Ifri.
Sputnik: Quel est, pour vous, l'événement marquant de la zone Asie du Sud-Est?
Sputnik: Quelle serait votre personnalité politique de l'année 2017?
Sophie Boisseau du Rocher: Je dirais qu'en positif, le Président indonésien Jokowi mérite des applaudissements. On parle assez peu de l'Indonésie et quand on en parle on l'évoque, c'est généralement dans des termes assez alarmistes, tant le pays est complexe, ample et que chaque évènement a des répercutions majeures sur la région. Mais on en parle assez peu quand les choses vont bien: faire naviguer sereinement un tel bateau n'est pourtant pas chose aisée. Le Président Joko Widodo tente de pérenniser les mécanismes démocratiques en Indonésie mis en place depuis une quinzaine d'années. En dépit de certains vents contraires: la montée, là-aussi, d'un certain radicalisme religieux, une classe politique peu soucieuse de respecter ces normes et ce débat démocratiques, et l'envie de certaines factions militaires de revenir sur le devant de la scène politique de pouvoir, une corruption endémique. Le Président Jokowi tente de mettre en œuvre les réformes afin de durablement consolider le développement politique et économique du grand archipel.
Et puis Najib Razak, [Premier Ministre, mdlr] en Malaisie, qui d'une façon très discrète, remet en place un système politique autoritaire dans la Fédération.
Donc je crois qu'il s'agit là de deux personnalités qui auront sur la suite des évènements des conséquences assez lourdes pour les équilibres politiques dans la région.
Sputnik: Quel pays souhaiteriez-vous mettre en avant?
Sophie Boisseau du Rocher: J'aurais tendance à reprendre les deux mêmes pays. En négatif, les Philippines. Les Philippines, on en parle beaucoup à cause des coups de volants radicaux impulsés par l'Administration Duterte: distanciation avec l'allié américain, rapprochement avec la Chine, vision à court terme de l'ASEAN présidée cette année par Manille et lutte contre les trafiquants. Et finalement, une croissance qui semble se conforter autour de 6,5 % pas tant en raison des réformes structurelles qu'en raison des rapprochements avec la Chine, beaucoup moins regardante que les pays occidentaux sur les évolutions politiques internes. En fait, les pesanteurs et limites qui handicapent les Philippines ne sont pas traitées sur le fond. Duterte fait beaucoup parler de lui mais les maux intrinsèques à l'archipel ne sont pas corrigés et c'est toujours la classe moyenne et les moins favorisés qui en font les frais. Depuis fort longtemps, la société civile est ignorée et elle pourrait d'ailleurs, dans les prochaines années, donner des signes d'exaspération violents —: les Philippines sont un des rares pays au monde où le parti communiste progresse.
Et puis deux pays plutôt encourageants:
Le Laos est un autre pays, me semble-t-il, qu'il faudrait suivre dans les prochains mois. Le Laos est le premier pays d'Asie du Sud-Est véritablement confronté au déferlement attendu des investissements chinois avec les Routes de la soie. La construction d'une ligne de TGV de 480 km — avec toutes les compromissions que cela suppose à l'égard de Pékin —, en fait un pays témoin, un pays d'observation qui sera très utile de suivre de près.
Sputnik: Quels pourraient être les enjeux politiques et géopolitiques de l'année 2018 pour cette zone de la planète. À quoi doit-on s'attendre selon vous?
Sophie Boisseau du Rocher: Je suis relativement prudente parce que les quelques scrutins électoraux auxquels nous allons assister en 2018 ne seront pas des scrutins démocratiques. Qu'ils s'agissent des élections législatives en Malaisie (probablement printemps 2018), des élections au Cambodge (été 2018), des élections en Thaïlande qui ont été annoncées d'ici l'été 2018, tous ces scrutins seront très probablement des scrutins « fermés », à l'avantage des partis en place. D'une part parce qu'ils vont être décrétés avec des temps de campagne très courts qui ne vont donc pas permettre à l'opposition de s'organiser et de faire valoir ses arguments, d'autre part parce qu'il y a un déséquilibre entre les ressources des partis d'opposition et celles des partis au pouvoir qui disposent évidemment de relais très puissants et très bien huilés sur l'espace national, à commencer par une presse sous contrôle. On devrait logiquement (et malheureusement) assister à une déclinaison plus ou moins autoritaire, avec la caution chinoise et l'échec des pays occidentaux qui, en dépit des efforts prodigués ces vingt dernières années, n'ont pas réussi à convaincre de l'intérêt de mettre en œuvre des mécanismes démocratiques.
Et puis évidemment, derrière la Chine, l'ombre des États-Unis. Comment Washington et l'Administration Trump vont-ils réagir aux rapprochements entre la Chine et l'Asie du Sud-Est? Est-ce qu'ils vont laisser faire, comme finalement l'Administration Obama avait laissé faire? Ou est-ce qu'ils vont, au contraire, tenter des parades et de contre-manœuvre pour regagner un terrain qui a été largement perdu depuis dix ans par les États-Unis dans la région? Ce qui est sûr, c'est que l'Asie du Sud-Est redevient une région déterminante pour les équilibres globaux.