«L'étude dit deux choses. D'abord qu'il existe un lien assez marqué entre les dégradations de l'environnement dans les pays du sud et l'afflux de demandeurs d'asile vers l'Europe au cours de ces 15 dernières années. La deuxième chose que dit cette étude est que si le réchauffement climatique n'est pas maîtrisé, à l'avenir, ces flux migratoires pourraient augmenter substantiellement.»
Sans contester ce lien qui existe entre ces deux phénomènes, Yvette Veyret, géographe et professeur émérite à l'université Paris Ouest —Nanterre La Défense met en doute cette corrélation et son aspect quantifiable:
«Mesurer l'impact du réchauffement climatique sur le déplacement des populations me paraît extrêmement difficile, parce que les migrations sont soit liées aux guerres, soit économiques, mais il y a bien d'autres facteurs que le réchauffement climatique et les migrations ont existé bien avant que le réchauffement climatique ne se manifeste.»
Et d'ajouter:
Donc le réchauffement peut être un facteur qui aggrave, bien entendu, mais le mesurer me paraît quelque chose de tout à fait farfelu, pour employer un terme un peu vulgaire et excessif.»
Si Yvette Veyret se montre extrêmement méfiante quant à cette étude, en contestant notamment les modèles de calcul, François Gemenne, même s'il apporte une nuance non négligeable quant aux prévisions apportées par ces deux chercheurs américains, souligne l'importance de la relation entre changement climatique et migrations:
Je pense que la deuxième partie de cette étude est à prendre avec des pincettes. Elle est trop déterministe et ne prend pas suffisamment compte des conditions politiques. Par contre, la première partie, la corrélation qui est observée entre les flux migratoires de ces 15 dernières années et les variations climatiques dans les pays d'origine, est tout à fait importante.»
François Gemenne, poursuit en expliquant la plus-value de cette étude:
«Elle permet de mettre en lumière le fait qu'un grand nombre de ceux qui arrivent en Europe et qu'on appelle des migrants économiques sont aussi des migrants climatiques.»
Après que l'Europe a connu ces dernières années une crise migratoire sans précédent, cette étude avance que l'économie et l'environnement sont totalement liés et qu'une personne quittant sa terre d'Afrique ou du Moyen-Orient, principalement, pour s'installer en Europe, pourrait autant être qualifiée de migrant économique que de migrants climatiques. François Gemenne l'explique:
«Dans les pays d'origine, très souvent l'environnement et l'économie sont la même chose. C'est-à-dire que la source de revenus d'un très grand nombre de populations dépend directement des conditions environnementales et climatiques simplement parce que l'agriculture de subsistance est la source première de ces revenus des populations. Et c'est le cas environ de la moitié de la population africaine.»
«Il est certain que la France n'est pas le pays d'Europe le plus affecté par les flux migratoires. Il est certain que ces dernières années, des pays comme la Suède, comme l'Allemagne ou comme la Hongrie ont été beaucoup plus affectés que la France.
La France a été très très peu touchée parce qu'on a appelé la crise des réfugiées ou la crise des migrants.»
François Gemenne considère que le territoire français n'a pas été celui qui a été le plus touché en Europe par les migrations de ces dernières années. Yvette Veyret rejoint son collègue:
«La France est très peu concernée par les migrations, parce que si on regarde les chiffres par rapport à l'Allemagne ou par rapport à d'autres pays de l'Europe, la France a reçu très très peu de migrants, malgré les apparences. Il n'y a pas de crise au sens d'excédent notamment.»
Si nos deux experts estiment que la France a été peu touchée par ces migrations, François Gemenne convient que:
«Cela étant dit, il est certain que la France reste un pays de destination ou de transit pour un certain nombre de migrants, venu notamment d'Afrique de l'Ouest, c'est-à-dire des migrants qui subissent de plein fouet les effets du changement climatique dans ces pays.»
L'étude se portait sur l'Europe. Mais la France est géographiquement plus qu'européenne. Par ses nombreux territoires éparpillés sur toute la planète, elle pourrait être aussi touchée par ces migrations dont la cause est le réchauffement climatique, et notamment par les DOM-TOM. Yvette Veyret apporte quelques précisions à ce sujet:
«Je ne vois pas du tout de migrations accentuées par ces réchauffements. Pour le moment, je n'ai pas de données là-dessus. Le réchauffement peut avoir des effets importants, accompagnés de grand épisode de sécheresse, cela peut être le cas au Sahel, dans des régions où, traditionnellement, la sécheresse existe et qui peut être aggravé par des processus dus au réchauffement.»
Et elle ajoute:
«Quant aux Antilles, à la Réunion et à la Guyane, qui sont en milieu tropical à deux saisons ou tropical humide, ne me paraissent pas faire partie encore de ces domaines. Par contre, il y a des poches de pauvreté, qui sont liées plutôt au système capitaliste et au système ultra-libéral, et ces poches de pauvreté peuvent entraîner des migrations, éventuellement.»
Yvette Veyret exclut que les DOM-TOM puissent être affectés par ces migrations en expliquant que le climat de ces territoires, par leurs emplacements, n'entraîne pas de réchauffement fatidique, donc pas de migrations. François Gemenne partage aussi son avis sur cette question en mettant cependant en avant une raison différente:
«Je pense que dans les DOM-TOM, même si l'agriculture reste plus importante qu'en Métropole, la proportion de personnes qui dépendent de l'agriculture comme principale source de revenus est beaucoup plus faible que dans les pays du Sahel et l'Afrique subsaharienne.»