«No Woman, No Fly!»: la compagnie Emirates refuse les Tunisiennes dans ses avions

© AFP 2024 LEX VAN LIESHOUT / ANPla compagnie aérienne Emirates
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Justifiée par «des raisons sécuritaires», la décision de la compagnie aérienne Emirates de refuser aux Tunisiennes l’accès à ses avions a été aussitôt «suspendue» après l’intervention de la diplomatie tunisienne. Mais l’opinion publique tunisienne n’entend pas en rester là.

Une bien étrange décision, prise et suspendue le jour-même par la compagnie aérienne émiratie, interdisant aux Tunisiennes d'emprunter ses avions, a suscité un tollé sur les réseaux sociaux tunisiens.

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Alors qu'elles étaient devant le guichet d'enregistrement, des Tunisiennes, titulaires d'un visa en bonne et due forme, se sont vues opposer, vendredi, un refus d'embarquement, sans préavis ni autre forme d'explication. Seules celles disposant d'un permis de séjour ou d'un passeport diplomatique y étaient autorisées.

Tollé aussitôt sur la toile, avec le lancement d'un hasthag en arabe «interdiction aux femmes tunisiennes de se rendre aux Emirats». La journaliste Naïma Charmiti n'y va pas de main morte. Elle appelle carrément au boycott de la destination (uniquement accessible via la compagnie Emirates, depuis que Tunisair a cessé de desservir Dubaï en 2015)

Certains internautes ont eu dans la foulée l'idée de détourner le logo de la compagnie émiratie, en parodiant la fameuse chanson de Bob Marley, «No Woman, No Cry»

Dans une Tunisie où la femme jouit d'un statut privilégié comparé aux autres pays arabes, ce sont les hommes, aussi, qui montent au créneau pour dénoncer cette décision «arbitraire». Et ils ne se privent pas de recourir à des comparaisons, même les plus cruelles.

«Savez-vous que les Émirats Arabes Unis ont été fondés en 1971, alors que la première femme médecin arabe est Tunisienne? C'était en 1936, soit 35 ans avant la naissance officielle de la Fédération des Emirats.

(…) Savez-vous que la première femme arabe pilote d'avion est Tunisienne? C'était en 1962, soit 9 ans avant la naissance officielle de la Fédération des Emirats», s'insurge l'avocat tunisien Toumi Ben Farhat.


«On aurait demandé au Président tunisien (âgé de 92 ans, ndlr) de prendre position sur ce sujet, mais il aurait rétorqué: est-ce que c'est convenable de discuter avec un État qui est plus jeune que moi?», abonde dans le même sens Alaeddine Chaouachi.

​Et le hastagh a fait des émules en s'étendant à d'autres pays du Maghreb. Des internautes algériens et marocains ont cru bon de marquer le coup en affichant leur «solidarité» avec les femmes tunisiennes.

​Plus diplomatique, le Marocain Mohamed Becheur, transmet son «respect au peuple frère émirati. Nous vous saluons en tant que peuples maghrébins et vous informons que la politique de votre gouvernement est inacceptable. Nous, Marocains, sommes solidaires de nos sœurs tunisiennes. Peut-être auriez-vous le droit de les refouler, mais n'oubliez pas que nous conservons le même droit à votre encontre.»

​Alors qu'elle devait emmener son fils visiter le Louvre Abu Dabi, fraîchement inauguré, Boutheina Chihi, médecin nutritionniste, s'est vue opposée le même refus d'embarquer. «Votre fils, par contre, peut embarquer. Mais sans vous», lui aurait-on dit.

«La décision a été suspendue peu après, mais le mal est fait. C'est pour ça que j'ai carrément refusé, par la suite, de prendre leur avion», a-t-elle déclaré à Sputnik.

«On a été humiliées dans notre propre aéroport, sur notre propre sol. C'est une décision qui a été prise à l'encontre de tout bon sens. Une décision qui est offensante pour la femme tunisienne, qui a sa fierté. Si l'État n'a pas été en mesure d'exiger des excuses publiques, nous, société civile, on va faire le nécessaire. Une plainte sera déposée contre cette compagnie et un sit-in organisé devant leur ambassade à Tunis», a-t-elle ajouté.

Cette contestation serait d'autant plus «justifiée», selon Chihi, que des médias tunisiens ont fait état du refoulement, samedi, de l'écrivaine tunisienne, Maha Jouini, alors qu'elle était sur le point d'embarquer dans un avion de la compagnie depuis l'aéroport de Rafik Hariri à Beyrouth. Un rebondissement qui interroge le caractère définitif de la suspension.

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Par un hasard du calendrier, l'affaire a éclaté à Tunis le jour où le chef du gouvernement, Youssef Chahed, recevait l'ambassadeur émirati. Selon une source au sein de la présidence du gouvernement, «contrairement à ce qui a circulé dans les médias, cette rencontre qui était prévue depuis un moment, n'avait rien à voir avec ce qui s'est passé. L'ambassadeur demandait à voir le chef du gouvernement pour discuter de questions en rapport avec la coopération bilatérale», a rapporté cette source à Sputnik.

C'est d'ailleurs, quelques heures après cette rencontre, que l'incident a éclaté, a ajouté la source.

«Tout a été joué au niveau du ministère des Affaires étrangères pour lever l'interdiction», assure de son côté le directeur de la communication et de l'information publique du département, Bouraoui Limam, à Sputnik.

«Peu après l'incident, l'ambassadeur émirati a été convoqué par le secrétaire d'État aux Affaires étrangères qui lui a demandé des explications. L'ambassadeur a alors déclaré que la décision était motivée par des considérations sécuritaires ponctuelles. Notre ambassadeur à Abu Dhabi a également déployé beaucoup d'efforts, entre temps, en rencontrant les autorités émiraties au niveau le plus élevé», a détaillé le porte-parole de la diplomatie tunisienne qui a assuré que le cas échéant, «la Tunisie était en mesure de prendre les mesures idoines pour défendre la dignité des Tunisiennes»

Selon une autre source diplomatique, «c'est sur la base d'informations de dernière minute faisant état d'un risque terroriste imminent impliquant un sujet tunisien de sexe féminin que cette décision a été prise. Nous avons trouvé, tout de même, que sa gestion était exagérée, dans la mesure où elle n'a épargné ni femme ni enfant de sexe féminin», a déclaré cette source à Sputnik.

Quand bien même elle serait «exagérée», c'est en la mettant en perspective avec des précédents jugés «vexatoires» que le tollé provoqué sur les réseaux sociaux doit s'interpréter.

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Les procédures d'octroi de visa aux ressortissants tunisiens obéissent, depuis 2015, à une logique très restrictive et arbitraire. Le verrouillage, sans explication officielle, a concerné des professionnels, des hommes d'affaires ainsi que de simples touristes. En dépit d'un assouplissement relatif observé depuis le début de l'année, la procédure est loin d'être normalisée.

C'est que peu après l'élection du président tunisien Béji Caïd Essebsi, en décembre 2014, les relations bilatérales ont enregistré une certaine tension. En cause, l'association des islamistes tunisiens au pouvoir, que les Émiratis ne voient pas d'un bon œil, sans qu'ils l'avouent pour autant. La tournure que devaient prendre les événements, avec la crise du Golfe, devait confirmer ce positionnement anti-islamiste, désormais de notoriété publique.

Au mois d'août 1985, sur fond de relations détestables entre Bourguiba et Kadhafi, celui-ci avait expulsé des milliers de travailleurs tunisiens. En pleine crise économique, la Tunisie veut s'épargner aujourd'hui, avec des Émirats comptant plus de 17000 ressortissants tunisiens, la reproduction de ce scénario douloureux.

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