Le soulèvement de 2011 remonte déjà à presque 7 ans et l'entrée en jeu d'anciens et nouveaux partenaires également. En tête, l'Allemagne qui a su surfer sur nombre d'atouts, ou des insuffisances du modèle Outre-Rhin, pour renforcer sa présence en Tunisie sur plusieurs tableaux.
Que ce soit à travers ses opérateurs économiques en Tunisie, ou ses différentes aides touchant au développement ou à la sécurité, Berlin est perçu, aujourd'hui, par les autorités tunisiennes comme «le» partenaire stratégique.
C'est que la présence allemande se conforte, surtout, par une originale «diplomatie de fondations», qui constitue son troisième axe, à côté des opérateurs économiques et de l'allocation de dons ou de la contraction de prêts. Affiliées, chacune, à un parti politique allemand, tout en tirant leur budget de fonds gouvernementaux, elles sont principalement une demi-douzaine à s'activer en Tunisie où elles ont pignon sur rue, et à allouer des fonds à la société civile locale en fonction des thématiques chères à leur couleur politique.
Si la fondation Heinrich Böll, qui «partage les mêmes idées que le mouvement politique vert» accorde une priorité à l'écologie, le développement durable, la fondation Friedrich Ebert, associée au SPD, le parti social-démocrate allemand, s'intéresse plutôt au renforcement du mouvement syndical et de la politique sociale. Autant de stiftungs (fondations en allemand, ndlr) qui interviennent le plus souvent comme des bailleurs de fonds, pour financer des projets, s'y associer ou les piloter.
C'est qu'au-delà des particularités, la promotion de l'État de droit s'analyse comme une thématique constante et partagée par toutes ces fondations.
Plus classique mais non moins conséquent est en revanche le cadre de la coopération économique et celui des aides au développement. «Le montant global de l'aide que le gouvernement allemand a fourni depuis 2011 à la coopération tuniso-allemande et en concertation avec les différents gouvernements tunisiens provisoires, s'élève, après l'augmentation de cette enveloppe en 2015, à environ 950 millions d'euros», indique l'ambassade d'Allemagne en Tunisie.
«Constante et soutenue», la présence allemande en Tunisie est aussi multiforme, allant de l'Agence allemande de la coopération internationale (GIZ), dotée d'une enveloppe de l'ordre de plusieurs dizaines de millions d'euros, à l'Office allemand d'échange universitaire (DAAD), qui octroie depuis 2012 des bourses d'études en Allemagne, en passant par l'Académie tuniso-allemande de la bonne gouvernance, qui offre des cycles de formations à Berlin destinés à des cadres et des experts des instances gouvernementales et administratives tunisiennes, ou encore la Banque de Développement allemande (KFW), qui finance à tour de bras des projets de développement, des institutions de micro-crédit et des infrastructures.
Un engagement qui a fait prédire au journal tunisien «Réalités», que «l'Allemagne deviendra le premier partenaire de la Tunisie, avant même la France notre partenaire privilégié et historique.»
Et la France? «Indétrônable», juge sans ambages un diplomate tunisien qui relève tout de même que les chancelleries allemande et française «s'observent de près» depuis la révolution de 2011.
«Au niveau de leurs ministères respectifs, on observe avec attention laquelle de Paris ou de Berlin sera la première destination d'un nouveau chef du gouvernement», a-t-il révélé.
Pour ce diplomate, le positionnement des Allemands au lendemain du soulèvement de 2011 a été plus constructif que celui des Français, dans la mesure où ils ont vite compris que la Tunisie avait besoin d'expérimenter d'autres modèles. «C'est d'ailleurs tout le sens du programme de coopération tuniso-allemande (le partenariat pour la transition démocratique, ndlr)» initié et soutenu depuis 2012 par les Affaires étrangères allemandes.
Pour Smida, la particularité de la présence allemande en Tunisie, par rapport à celle française, tient au fait que «la bureaucratie y est moins contraignante, qu'ils (les Allemands) sont plus ouverts au financement de divers projets, alors que sur les structures françaises restent encore malheureusement sous l'emprise de la bourgeoisie culturelle en Tunisie.»
En revanche, il existe bien une «complémentarité franco-allemande» en Tunisie, mais qui n'est opérante qu'en matière de coopération sécuritaire, dans le cadre du G7+6 (mise à niveau, fourniture de matériel, etc.), relève le diplomate tunisien.
«Le domaine de la coopération française concerne la sécurisation des ports et aéroports, alors que celle allemande se rapporte à la protection des frontières terrestres. La coopération avec les Britanniques prend pour objet, quant à elle, la sécurisation des sites touristiques», explique ce diplomate.
Ce «lien privilégié avec les appareils sécuritaires», illustré par une coopération étroite qui était envisagée dans le cadre de l'ex-future agence des renseignements et de la sécurité, projet aujourd'hui mis en veilleuse, renseigne sur le potentiel d'influence qu'escompte l'Allemagne en Tunisie.
Par ailleurs, à travers une politique d'accompagnement et de soutien économique, faite entre autres de dons et de crédits, «c'est autant de soutiens financiers avancés dont bénéficieront, en priorité, leurs sociétés», renseigne une source au sein du ministère de la coopération internationale.
Ce sont aujourd'hui plus de 260 projets auxquels prennent part des investisseurs allemands en Tunisie, dans des domaines aussi divers que l'industrie (204), le textile et l'habillement (112), l'électrique et l'électronique (40). Ces projets, qui se font souvent en association avec des entreprises tunisiennes, correspondent à un investissement dépassant les 770 millions d'euros et ont généré la création de quelque 62 000 emplois, a renseigné dans une déclaration à Sputnik, Saïda Kahouli, cadre de l'agence tunisienne de promotion de l'investissement extérieur (FIPA).
C'est dans le même esprit que la construction d'une nouvelle centrale électrique dans la banlieue de Radès, d'un coût de 270 millions d'euros, a échu au constructeur japonais Mitsubishi, après un financement de la GIZ japonaise, la JICA (l'agence japonaise de coopération internationale). Mais le Japon, c'est une autre histoire d'ancienne-nouvelle présence.