Le ministère des Affaires étrangères de la Pologne a déjà durement critiqué cette décision.
Le vice-président de la Commission européenne Frans Timmermans a rappelé que depuis deux ans le parti polonais Droit et Justice (PiS) avait fait adopter 13 lois permettant au gouvernement de «s'ingérer systématiquement dans les processus de formation, de gestion et de fonctionnement» du système judiciaire.
«Aujourd'hui, après de nombreuses tentatives d'inciter les autorités polonaises à mener un dialogue constructif, la Commission européenne est arrivée à la conclusion qu'il existait en Pologne le risque d'une sérieuse violation du principe de primauté du droit», indique le communiqué de presse de la Commission européenne publié à l'issue de la réunion.
Frans Timmermans a souligné que Varsovie avait ignoré trois avertissements de la Commission européenne indiquant que les réformes judiciaires menées dans le pays étaient contraires au principe de primauté du droit.
De son côté, le ministère des Affaires étrangères de la Pologne s'est dit prêt à attaquer en justice la Commission européenne concernant la décision de décréter des sanctions. «La Pologne est prête à défendre ses droits au tribunal de l'UE en tant qu'organe indépendant et impartial et espère qu'elle aura une telle possibilité», a déclaré le ministère polonais des Affaires étrangères.
Pourquoi l'UE est remontée contre la Pologne
Le 15 décembre, le sénat polonais a approuvé la rédaction finale des lois sur la Cour suprême et le Conseil national judiciaire proposées par le président du pays Andrzej Duda. Elles impliquent la possibilité de contester la décision d'un tribunal de tout niveau devant la Cour suprême. De plus, la loi établit une limite d'âge pour les juges à 65 ans avec la possibilité de prolonger le mandat avec l'aval du président.
Les versions précédentes des lois sur la Cour suprême et le Conseil national judiciaire avaient été bloquées cet été par le président polonais sous la pression des manifestations, ainsi que d'une forte critique de l'opposition et de l'UE. Andrzej Duda avait alors proposé une alternative à ces projets de loi, qui ne convenait pas non plus à l'opposition et à l'UE.
Par contre, les lois sur le travail des tribunaux généraux et sur l'École nationale des juges — dont la Commission européenne affirme qu'elles sont une tentative du gouvernement d'établir le contrôle sur toutes les branches du pouvoir public et qu'elles torpillent l'indépendance de la justice en Pologne — ont été immédiatement signées par le chef de l'État.
Le conflit entre Bruxelles et Varsovie concernant la réforme judiciaire en Pologne dure depuis début 2016, quand Varsovie a commencé à apporter des amendements à la législation judiciaire.
En juillet déjà, la Commission européenne menaçait d'initier immédiatement le recours à l'article 7 après l'adoption par le parlement polonais d'une loi permettant au gouvernement d'envoyer à la retraite pratiquement tous les juges de la Cour suprême — c'est ce projet de loi qui a été bloqué par le président Duda.
Que signifie l'article 7 pour Varsovie?
L'article 7 du Traité de Lisbonne prévoit l'adoption de sanctions internes à l'encontre d'un pays qui «enfreint grossièrement les valeurs européennes». Ces valeurs, énumérées dans l'article 2 de ce même document, sont: le respect de la dignité humaine, la liberté, la démocratie, la primauté du droit et le respect des droits de l'homme, y compris les droits des minorités. Dans le cas de la Pologne il s'agit du non-respect de la primauté du droit.
Si le recours à l'article 7 était validé, la Pologne pourrait être privée de son droit de vote au Conseil de l'Europe.
Mais la recommandation de la Commission européenne sur l'article 7 devra d'abord être examinée par les États membres de l'UE. Le déclenchement du mécanisme de sanctions nécessite au moins 22 voix des 27 membres.
Tout dépend du nombre de membres de l'UE qui se prononceront pour le recours à cet article. D'après Sergueï Outkine, responsable du secteur des estimations stratégiques à l'Institut d'économie mondiale et des relations internationales de Moscou (IMEMO) affilié à l'Académie des sciences de Russie, la validation de cette initiative n'est pas garantie.
«Il est tout à fait possible qu'en dépit de l'inquiétude avec laquelle certains pays de l'UE observent la transformation de la politique polonaise, la condamnation formelle de la Pologne suivie de l'adoption de sanctions puisse ne pas obtenir le nombre de voix nécessaire», estime l'expert.
Le politologue polonais Jakub Korejba a souligné que le premier ministre hongrois Viktor Orban avait déjà promis publiquement à Kaczynski (chef du PiS) d'opposer son veto à l'article 7. «Il s'agit donc d'un coup de com', affirme le politologue. La Commission européenne tente de créer un précédent et d'obtenir des pouvoirs supplémentaires, alors que l'Allemagne et la France testent traditionnellement les limites de leur influence informelle.»
Kirill Koktych, maître de conférences de la chaire d'histoire politique à l'Institut des relations internationales de Moscou (MGIMO), admet que l'UE pourrait décréter des sanctions contre Varsovie, mais souligne qu'elles ne nuiraient pas significativement aux intérêts de la Pologne.
«Le Conseil de l'Europe n'est pas un organisme qui prend des décisions: c'est une tribune pour les discussions — la privation du droit de vote ne nuirait pas considérablement à la Pologne, or à part ça elle ne risque rien d'autre», rappelle-t-il.
Dans un certain sens, ces sanctions sont même bénéfiques pour Varsovie parce qu'elles justifient son droit de ne pas honorer ses engagements européens et de ne pas respecter les consignes de Bruxelles qui lui sont défavorables, estime Kirill Koktych.
«L'adoption de sanctions serait politiquement vexante mais inefficace. Bruxelles n'a a plus de carottes, et le bâton ne suffit pas», conclut l'expert.
Pourquoi aller au conflit avec Bruxelles?
Varsovie va au conflit en sachant bien que ce dernier pourrait redorer la popularité des autorités, estime Jakub Korejba. «Au lieu d'un orage sur la colline, l'UE s'est transformée en homme noir: aux yeux de la population polonaise elle est devenue une source de menaces et non d'espoir, et le gouvernement se positionne comme un protecteur des gens ordinaires contre l'oligarchie transnationale», souligne l'expert.
Le PiS s'appuie sur les électeurs eurosceptiques qui soutiennent dans l'ensemble l'intention du gouvernement de ne pas se faire mener par Bruxelles. Autrement dit: du point de vue des électeurs il s'agit d'un renforcement de la souveraineté du pays, et du point de vue du groupe dirigeant cette posture lui permet de renforcer ses propres positions.
Cette attitude de Varsovie pourrait également être liée à la réduction significative des dotations de l'UE pour tous les pays d'Europe de l'Est, y compris la Pologne, à partir de l'an prochain.
Le pays se retrouvera dans une situation où les privilèges se terminent alors que les obligations sont maintenues. «C'est pourquoi la Pologne va de son plein gré vers une confrontation avec Bruxelles», affirme Kirill Koktych.
Au vu des divergences entre Varsovie et l'UE, la question des perspectives de développement des relations entre la Pologne et la Russie redevient pertinente. Le directeur de l'Institut d'évaluations stratégiques Sergueï Oznobichtchev pense que les processus observés en Pologne laissent espérer une amélioration de ses relations avec la Russie dans la mesure où Varsovie est déçu par la voie «occidentale pure». «On peut espérer que Moscou en profitera pour améliorer ses relations avec Varsovie — quelque chose de similaire s'est déjà produit avec la Hongrie et la Tchéquie, maintenant c'est au tour de la Pologne», remarque l'expert.
Mais Kirill Koktych avertit que le processus de rapprochement entre la Pologne et la Russie ne sera pas rapide. «Le rapprochement avec la Russie serait spéculatif pour la Pologne, pour intimider Bruxelles», explique-t-il.
Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur de l'article repris d'un média russe et traduit dans son intégralité en français.