Vol supersonique, l’UE et la Russie s’attaquent au double-bang

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Malgré les sanctions, la coopération aéronautique entre l’UE et la Russie continue, comme le démontre le programme RUMBLE. Enjeu? Relancer le vol supersonique en réduisant son principal obstacle: le bruit causé par le passage du mur du son. Entretien avec Sergueï Tchernychev, directeur général du TsAGI, l’un des acteurs-clefs russes du projet.

L'avenir de l'aviation supersonique européenne est peut-être entre les mains de l'UE… et de la Russie. En témoigne le lancement à Paris de RUMBLE, un projet scientifique russo-européen. Financé à parité par la Commission européenne et le ministère russe de l'Industrie et du Commerce, il ne s'attaque à rien de moins que les lois de la physique… pour relancer le vol supersonique civil. RUMBLE, en anglais, c'est Regulation and Norm for Low Sonic Boom Levels, soit règles et normes pour des niveaux acoustiques bas du bang supersonique.

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Discussion de la coopération entre la Russie et la France dans le domaine de l'ingénierie aéronautique - Sputnik Afrique
Discussion de la coopération entre la Russie et la France dans le domaine de l'ingénierie aéronautique

L'UE et la Russie ne sont pas les seuls sur les rangs, puisque la NASA poursuit des développements analogues.

«Le bruit produit par un avion supersonique en vol ne se distingue pratiquement pas du bruit produit par une explosion. [Pour un observateur, nldr] ce bruit ne dure qu'un ou deux dixièmes de seconde, mais ce phénomène reste quelque chose de très désagréable», explique Sergueï Tchernychev dans une interview à Sputnik France.

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Le directeur général de TsAGI, l'Institut central d'aérohydrodynamique, le plus important institut de recherche aéronautique de Russie, est l'un des acteurs-clefs du projet RUMBLE. Il nous explique que l'une des causes de l'échec commercial du Concorde et du Tupolev Tu-144 soviétique tient au «bang supersonique», quand il franchit le mur du son et au bruit que génère le vol de croisière supersonique. C'est la raison pour laquelle les États-Unis et de nombreux autres pays ont interdit de vol ces avions au-dessus des zones d'habitation, ce qui a privé l'aviation supersonique de la majorité de ses itinéraires potentiels.

Le développement des technologies pourrait cependant radicalement changer cette situation:

«Les technologies de l'aéronautique se sont développées et aujourd'hui l'humanité —aussi bien les États-Unis que les pays européens ou la Russie, ou le Japon, ou la Chine- se demande s'il est possible de créer un avion qui pourrait voler à la vitesse supersonique au-dessus des zones d'habitation sans produire un bruit aussi fort. Il est clair que l'avion ne peut pas ne produire aucun bruit, mais il faut que ce bruit soit faible au point qu'il devienne admissible, comme le bruit d'une grande ville.»

Une réduction du volume sonore produit par un avion au moment du passage en vitesse supersonique permettrait donc aux futurs héritiers du Concorde et du Tu-144 d'emprunter les voies et dessertes aériennes classiques, ce qui pourrait sonner comme un nouveau départ pour l'aviation civile supersonique.

«Il s'agit en fait de créer un aéronef véritablement nouveau, qui fera évoluer l'idée de déplacement pour l'homme», s'enthousiasme Sergueï Tchernychev.

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Il a fallu presque six ans pour lancer le projet RUMBLE. La décision de créer une collaboration entre l'UE et la Russie s'explique en partie par la volonté de l'Europe de rattraper son retard accumulé par rapport aux constructeurs américains. Aux États-Unis, l'essentiel du financement pour des projets analogues passe par la NASA. En outre, le constructeur d'avions privés Gulfstream Aerospace, concurrent direct du français Dassault Aviation, dont un représentant occupe le poste de directeur technique de RUMBLE, participe également au projet américain.

Une concurrence technologique qui n'empêche pas une coopération transatlantique dans d'autres domaines: l'étude de pré-marché, qui n'est pas liée au développement d'un avion précis, sera ouverte et accessible à tous les intéressés. Toutefois, Sergueï Tchernychev tient à détailler l'originalité du programme RUMBLE par rapport à ceux de ses concurrents:

«Avec les Français, nous avons été l'un des initiateurs du projet Rumble et nous en sommes très fiers. Avant d'élaborer un cahier des charges pour ce projet, nous avons regardé ce qui avait été fait aux États-Unis et quelle était la niche où nous apporterions le plus d'expertise dans ce grand problème international commun. Et cette niche, nous l'avons trouvée. Nous ne sommes pas sur le même créneau que la NASA: RUMBLE s'inscrit dans le programme plus vaste de la NASA, il est complémentaire.

Ces travaux ont été financés également par la FAA (Federal Aviation Administration), qui a accumulé énormément de données, lesquelles seront la base de ces nouveaux standards. Et le projet RUMBLE apportera sa contribution sur le plan des méthodes d'évaluation de niveau de bruit du bang supersonique, de mesures, de perception par l'homme. Ainsi, le même bruit est perçu différemment la nuit et le jour.»

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Même si aujourd'hui, le projet traite de questions qui sont pour la plupart d'ordre académique et administratif, il pourra évoluer vers des problématiques très pratiques, concrètement le développement d'un avion supersonique. Le fait que ce n'est pas un fonctionnaire, mais un représentant du géant industriel Airbus qui est devenu coordinateur du projet est à ce titre significatif.

Du côté russe il est emblématique qu'en décembre 2016 Mikhaïl Pogossian, aujourd'hui président de l'Institut d'aviation de Moscou, qui avait notamment créé le Soukhoï SuperJet 100, a rejoint le projet. M. Pogossian serait favorable à la transformation du projet Rumble en projet économique. Ce scénario est tout à fait probable, confirme Sergueï Tchernychev:

«Il est difficile pour nous de rivaliser avec les Américains en termes de financement et de ce fait, il serait rationnel de lancer un projet conjoint en Europe en partageant le financement et les risques. Ce serait plus admissible du point de vue des frais. Cette étude débouchera-t-elle sur un nouveau projet? On l'espère bien. Nous nous sommes rapprochés de la ligne derrière laquelle commencera la concurrence, le business: qui construira plus vite un tel avion et occupera une niche appropriée au marché, en premier lieu de l'aviation d'affaires.»

Le directeur général du TsAGI va même plus loin, il voit déjà se profiler le futur avion supersonique russo-européen:

«À l'issue de nos travaux préparatoires de six ans, nous constatons que nous nous rapprochons de la ligne derrière laquelle il y aura une coopération réelle. En parallèle, je n'exclus pas des efforts en vue de finaliser la conception, les schémas potentiels de prototype d'un tel avion.»

D'ailleurs, Sergueï Tchernychev a déjà une idée assez précise du créneau que pourrait occuper ce futur appareil:

«Ce seront des avions pas très grands: 8, 10, 16, 20 places. Un avion de petites dimensions pesant près de 60 tonnes, qui pourrait transporter 12-14 personnes serait un bon départ. Un business-jet [supersonique] ne coûterait qu'une fois et demie plus cher qu'un business-jet subsonique. Or, d'après les études de marché, de tels avions seront demandés et si on en avait déjà, ils auraient déjà été proposés à la vente.»

Que l'on ne s'attende cependant pas à voir des appareils d'apparence classique franchir le mur du son. Pour notre expert, les ruptures technologiques seront nombreuses… et visibles dès la cabine:

«Il n'y aura, probablement, pas de fenêtres dans l'avion, il y aura une vision artificielle. Le passager contemplera l'environnement comme il voudra, afin de se sentir bien à bord. Il verra ce qu'il aurait vu par le hublot et, peut-être même des paysages de montagnes ou de rivières, de chutes d'eau —quelque chose de plus relaxant et agréable.»

Mais bien sûr, c'est «sous le capot» que les évolutions les plus importantes sont à attendre:

«Le premier trait distinctif de cet avion sera un équipage d'un seul membre, secondé par des systèmes de bord intelligents de haut niveau.
Le trait suivant sera une construction foncièrement nouvelle. Les supports longitudinaux laisseront place à des anneaux transversaux.
Ce sera une tout autre construction faite de structures laminaires. C'est une innovation de l'aéronautique russe. La structure laminaire peut être faite en matériaux composites et résister à de grandes contraintes, tout en rendant l'avion léger.»

Reste bien sûr le problème central, celui de propulser l'appareil à une vitesse supersonique:

«Il est possible que les moteurs soient bientôt finalisés, mais pour le moment aucun d'entre eux ne convient à 100%. Ou alors, il y aura une percée dans la construction de moteurs: les moteurs à cycle variable. Le moteur changera de cycle pendant le vol, selon le régime.»

Revenant à des considérations plus politiques, le directeur de TsAGI attribue la coopération russo-européenne à une volonté politique des gouvernements nationaux, mais surtout à celle des autorités de l'UE:

«C'est quand même les autorités européennes [qui pilotent le projet]. Si les parties prenantes sont des gouvernements nationaux, l'UE coordonne une politique, qui est obligatoire au niveau national. Les pays participants ne peuvent annuler une décision adoptée par la Commission européenne.»

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Selon Sergueï Tchernychev, la Commission européenne soutient plus activement la coopération scientifique avec la Russie qu'avant l'introduction des sanctions, même si un expert français proche du dossier, qui souhaite conserver l'anonymat, rappelle que la Commission européenne a pris une pause en 2014-15, avant que la situation ne se normalise.

«De tels projets constituent un pont qui permet de maintenir des liens de travail en période politique compliquée et de les rétablir après la levée des sanctions.»

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