«Cette décision jette certainement de l'huile sur le feu, d'autant plus que le contexte est particulier, avec la période préélectorale russe.»
André Filler, maître de conférences à Paris VIII et à l'Institut Français de Géopolitique, réagit à la décision du gouvernement canadien d'autoriser, le 13 décembre dernier, l'exportation d'armes automatiques vers l'Ukraine. Rappelant que la Russie souhaite clore le problème à l'Est de l'Ukraine en respectant l'accord de Minsk, il explique cette autorisation canadienne, en premier lieu, par un facteur de politique interne:
«La position canadienne dans le conflit ukrainien est absolument particulière. Il se trouve que le Canada abrite la plus importante communauté diasporique ukrainienne dans le monde […, qui, ndlr] pèse très lourdement dans le contexte électoral.»
Rappelons à titre d'illustration que Chrystia Freeland, ministre des Affaires étrangères canadienne, est elle-même d'origine ukrainienne par sa mère. André Filler précise son propos:
«Il s'agit soit d'une publicité à l'intention des lobbies internes [ukrainiens au Canada, ndlr], soit d'une maladresse tactique, voire stratégique, de la part du gouvernement Trudeau.»
«Le Canada a déjà des troupes qui sont déployées en Ukraine, avec des forces alliées. Nous travaillons en coopération avec le gouvernement et les forces ukrainiennes en Ukraine. [Cette décision] n'est pas du tout surprenante, qu'on puisse aider ou supporter, vendre, prêter ou donner des armes à ce pays.»
Trouvant cette autorisation normale, Michel Drapeau considère plutôt que le rôle de l'allié canadien est vital pour l'Ukraine, afin que ce pays puisse faire face à son voisin russe:
«Je ne pense pas que cette décision jette de l'huile sur le feu. Je pense que le feu est présent et en l'absence de troupes qui proviennent des forces de l'OTAN, dont le Canada et les États-Unis, à ce moment-là, la Russie aurait le champ libre pour envahir et exercer son pouvoir militaire contre le gouvernement ukrainien et le peuple.»
L'OTAN, par l'intermédiaire des troupes canadiennes et américaines présentes sur place, contribuerait donc à empêcher Vladimir Poutine de violer la souveraineté territoriale de l'Ukraine. Ainsi la frontière orientale de l'OTAN serait-elle la frontière qui sépare la Russie de l'Ukraine? Précisant que l'OTAN est actuellement dans une «posture difficile», André Filler évoque cette idée:
«Autant, il serait concevable et stratégiquement justifiable du point de vue des intérêts de l'OTAN de fixer sa frontière orientale dans les États baltes ou en Pologne, autant il me semble très dangereux pour l'OTAN de se lancer dans une sorte de renforcement de sa citadelle dans un pays aussi instable que l'Ukraine.»
Considérant que «les États de l'OTAN sont extrêmement circonspects [à propos de la vente], en tout cas directement, d'armement à l'Ukraine», André Filler espère que cette décision est propre à l'exécutif canadien et ne sera pas partagée, ni par le couple franco-allemand, ni par Wahsington:
«La position américaine est plutôt complexe et difficilement prévisible. […] Je ne pense pas que sur le dossier ukrainien, contrairement aux idées reçues des deux côtés de l'Atlantique, les États-Unis sont en tête de la politique "occidentale".»
Cette inflation de matériel militaire dans une région en guerre, le porte-parole adjoint du Quai d'Orsay signalant un «regain d'intensité des combats dans l'est de l'Ukraine, qui ont fait 17 morts et 37 blessés depuis le début du mois de décembre», éloignerait les perspectives de paix, selon André Filler:
«Donc plus il y a d'armes, a fortiori automatiques, moins il y a de possibilités de solutionner le conflit en respectant les accords de Minsk.»
Et il conclut son analyse:
«Donc j'ose espérer que cette décision canadienne soit unilatérale et non une position réfléchie et collégiale de l'alliance Transatlantique. À moins que cela soit une forme de pression sur l'administration Poutine à la vieille des élections présidentielles du 18 mars, ce qui pourrait être une hypothèse. Mais là encore, le procédé me semble, à la fois passablement grossier et surtout jouant sur un effet de poudrière.»
La vision de l'enseignant en géopolitique n'est cependant pas partagée par l'ancien officier de l'armée canadienne:
Alors les forces canadiennes, les forces américaines qui sont déployées en Ukraine, […] c'est avertissement, c'est une mise en garde envers, soit un ennemi ou un envahisseur potentiel, dans l'espoir qu'il va voir que c'est profitable pour tout un chacun de garder aux fins paisibles cette frontière-là, qui sépare la Russie et l'Ukraine.»
Alors qu'André Filler considère que la décision canadienne alimente le conflit dans l'est de l'Ukraine et les tensions possibles avec la Russie, Michel Drapeau y voit une aide à un pays allié et observe la présence de troupes militaires canadiennes en Ukraine devient une nécessité:
«Personnellement, je pense que la Russie a un caractère guerrier et un caractère qui vise, soit à un gain de territoire, ou certainement une présence territoriale hors de ces frontières et ceci met la paix de toutes ces régions du monde-là à risque.»