Vladimir Poutine a annonçait lundi 11 décembre le retrait des troupes russes de Syrie. Il a précisé que si la guerre contre l'État islamique était gagnée, il laisserait cependant un contingent militaire sur les deux bases russes, celles de Tartous et de Khmeimim. Pourtant, les Russes ont déjà annoncé en mars 2016 et en novembre 2017 le retrait de leurs forces de Syrie. Quelle est donc la nouveauté de l'annonce du Président russe?
Si certaines raisons, comme les calculs électoralistes à l'approche des élections présidentielles russes en mars 2018, pourraient aisément expliquer la décision de Vladimir Poutine, celles qui touchent aux relations internationales et à la diplomatie méritent davantage d'attention.
Analyse du retrait annoncé des forces militaires russes présentes sur le sol syrien par Vladimir Poutine, avec Jean-Bernard Pinatel, général 2e section et expert des questions géopolitiques.
Sputnik: Qu'est-ce que cette annonce de retrait des troupes russes de Syrie a de différent avec les précédentes, sur le fond et sur la forme?
Jean-Bernard Pinatel: Tout d'abord, [cette annonce, ndlr] vient à trois mois des élections russes. Donc le retour des soldats au pays est toujours quelque chose d'important dans une campagne présidentielle.
Mais surtout, ce que d'après moi il faut souligner c'est que, pendant toute cette période 2017, la diplomatie russe a créé les conditions politiques d'une véritable désescalade en Syrie en faisant éclater l'alliance sunnite, qui était surnommée l'OTAN arabe, et qui regroupait l'Arabie saoudite, la Turquie, la Jordanie, le Qatar, les Émirats arabes unis et Bahreïn. […]
Et je n'en veux pour preuve que l'Arabie saoudite s'est engagée vis-à-vis de la Russie d'unifier les différents mouvements arabes non islamiques en vue de négociations pour un retour à la paix.
Donc à partir du moment où, les forces syriennes, appuyées par le contingent russe ont repris le contrôle de toute la Syrie utile, que Erdogan s'est entendu avec Poutine pour que les Kurdes syriens ne lui posent pas de problème, puisque les Kurdes syriens sont proches du PKK, tout cela fait que la situation en Syrie s'est grandement améliorée et permet le retrait de la majorité des forces militaires.
Mais en même temps, il garde la capacité d'une dizaine d'aéronefs et probablement de forces spéciales pour pouvoir intervenir dans les zones où il y a encore quelques problèmes.»
Sputnik: Qu'est-ce que ce retrait des troupes russes change-t-il sur le terrain?
Jean-Bernard Pinatel: Sur le terrain, aujourd'hui, les forces syriennes sont capables de conserver le terrain acquis. Donc le seul problème où on a toujours besoin de forces russes, c'est notamment dans la région d'Idleb, où je pense qu'il y a un certain accord avec la Turquie pour liquider encore les islamistes qui s'y trouvent et puis dans deux ou trois foyers de résistances.
Donc [ceux qui vont rester, ndlr], cela va être certainement un contingent de forces spéciales qui sont les conseillers des forces syriennes et qui sont aussi en charge de l'appui feu. Donc, il va rester quelques hélicoptères d'appui et quelques Sukhoï d'appui au sol.
Sputnik: Cette annonce est-elle réalisée avec un objectif de politique interne alors que les prochaines élections présidentielles russes sont organisées dans 3 mois?
Donc c'est toujours très bon de pouvoir annoncer le retrait de la majorité de ses forces qui montrent, quand même, que la situation s'est grandement stabilisée depuis l'intervention russe en octobre 2015.
Sputnik: Est-ce une annonce diplomatique en vue du d'accélérer les négociations de paix du prochain sommet d'Astana?
Jean-Bernard Pinatel: De toute façon, aujourd'hui, ce sont les Russes les maîtres de la situation en Syrie. Donc, ils n'ont absolument pas besoin des négociations de Genève pour maintenant réaliser le passage à une situation de paix ou en tout cas de non-guerre.
Et Israël, qui était partie prenante dans la déstabilisation de la Syrie n'a de raison de déstabiliser la Syrie que si la Syrie continue à être la voie de passage qui permet de soutenir le Hezbollah à ses frontières nord. Et donc c'est essentiel, la négociation et la capacité d'influence de Poutine vis-à-vis de l'Iran et vis-à-vis d'Assad de façon à ne pas continuer à ce que le Hezbollah menace Israël. […]
Je pense que Poutine défend les intérêts de la Russie. Et les intérêts de la Russie, ce n'est pas Assad, mais c'est deux bases militaires, sa base aérienne et la base navale de Tartous.
Donc je pense que Poutine est comme Trump et j'espère comme le Président français Macron, avec un souci de défendre d'abord les intérêts nationaux et avec aussi la volonté d'un multilatéralisme qui en tout cas n'est pas celui de Trump.