Annonce de Trump sur Jérusalem: en Afrique, «on ménage la chèvre et le chou»

© REUTERS / Ronen ZvulunAn Israeli national flag and an American one are projected on a part of the walls surrounding Jerusalem's Old City December 6, 2017.
An Israeli national flag and an American one are projected on a part of the walls surrounding Jerusalem's Old City December 6, 2017. - Sputnik Afrique
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Devant l’attrait croissant qu’exercent les Israéliens en Afrique, permis notamment par le déclin de l’influence des pays arabes sur le continent, la diplomatie subsaharienne se montre prudente sur les questions touchant au Moyen-Orient.

C'est un silence étonnant. Alors que le monde entier bruissait des réactions provoquées par l'annonce de Donald Trump de reconnaître Jérusalem capitale d'Israël, l'Afrique subsaharienne détonnait par son mutisme.

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On savait, certes, beaucoup de ses pays empêtrés dans des soucis autrement plus préoccupants, mais en Afrique subsaharienne, comme dans d'autres pays du Sud, la diplomatie verbale est en général particulièrement active. Rien de tel, en l'espèce, suite à l'annonce-choc de la Maison-Blanche. Prudence à contester une décision américaine en faveur d'un Israël de plus en plus présent sur le continent?

«On attendait bien une annonce, un rejet, pas forcément dans la virulence, mais qui s'aligne au moins sur le même ton exprimé par une large partie de la communauté internationale. Dommage qu'il n'y ait rien eu», se désole Aboulaye Adoum, journaliste tchadien, dans une déclaration à Sputnik.

Si le Tchadien Moussa Faki Mahamat a exprimé sa «profonde préoccupation», «c'est bien en sa qualité de président de la Commission africaine et pas en tant que Tchadien», poursuit Abdoulaye. De fait,

«se réfugier derrière une déclaration commune est bien confortable pour beaucoup de diplomaties ne désirant pas froisser les alliés américain et israélien, d'une part, et arabo-musulmans d'autre part. C'est à la fois une position qui les engage d'une certaine façon, puisqu'ils sont membres de l'UA, mais pas plus que cela, puisque ce n'est pas une position exprimée à titre individuel»,

a analysé Omar Shaban, spécialiste de l'Afrique subsaharienne et président du Think-Tank Palthink, basé à Gaza, dans un entretien accordé à Sputnik. Même si le Palestinien reconnaît que ce silence est «décevant» pour des pays qui ont traditionnellement été «des alliés indéfectibles de la cause palestinienne», il convient en même temps de ne pas leur demander de prendre une position plus catégorique que celle des pays arabes, jugée «insatisfaisante».

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Au lendemain des indépendances, beaucoup de pays africains ont fait le choix géostratégique du monde arabo-musulman, en même temps qu'ils s'inscrivaient dans un rapprochement avec Israël. Après la guerre des Six Jours, et celle de 1973, des pays à l'intersection des deux cercles, arabe et africain, ont pesé au sein de l'Organisation de l'unité africaine (OUA, ancêtre de l'Union africaine (UA)) pour s'opposer à ce rapprochement avec les Israéliens. Une certaine inversion de tendance a commencé à s'opérer à partir des années 90, à mesure que les pays arabes s'empêtraient dans des problèmes internes, politiques et économiques.

Aujourd'hui, celui qui se faisait appeler «roi des rois d'Afrique» n'est plus là pour continuer à inspirer des positions diplomatiques africaines propalestiniennes, en faisant miroiter des investissements considérables et durables. «Mouammar Kadhafi a depuis toujours exercé une influence considérable en Afrique subsaharienne. On se souvient déjà qu'il était à l'initiative de la conversion avortée de l'ancien président du Bénin, Mathieu Kérékou, et de celle aboutie d'Omar Bongo à l'islam. À partir des années 1990, il a accru sa présence sur tout le continent noir. Il a multiplié des investissements considérables dans divers secteurs et pratiquement tous les pays, notamment en ce qui concerne l'immobilier et l'hôtellerie», écrit le chercheur togolais Étienne Damome, dans un article publié en 2011 dans la revue «Outre-Terre» et intitulé «Pourquoi beaucoup d'Africains soutiennent Kadhafi».

«Si les pays arabes sont nettement moins présents sur le continent, les Israéliens, eux, aidés par les Américains, y multiplient les offensives économiques notamment dans l'Est du continent», a reconnu de son côté Omar Chaban.

En 2016, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu effectuait une tournée africaine inédite dans quatre pays du continent (Ouganda, Kenya, Éthiopie et Rwanda), ponctuée par la signature de conventions de coopération. Une initiative longuement préparée pour signer le grand retour d'Israël sur le continent. L'action, discrète, mais efficace, de l'agence israélienne de coopération internationale, Mashav, témoigne de cette dynamique.

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Aujourd'hui, l'idée que l'État hébreu est «le partenaire idéal pour résoudre certains problèmes pressants en Afrique», d'après le Jerusalem Post, commence à germer dans l'esprit de nombre de dirigeants africains. Parmi ces pays, le Togo, qui devait accueillir, en octobre dernier, un premier Sommet Afrique-Israël, annulé en dernière minute en raison des agitations politiques que connaît ce pays hôte.

Néanmoins, même si l'Afrique ne représente pas plus de 2% du commerce extérieur israélien,

«Tel-Aviv a une stratégie sélective et extrêmement ciblée. Comme c'est un petit pays qui ne peut se permettre de s'éparpiller, il a développé des niches sur le continent africain. Son intervention touche aux domaines de l'expertise technologique, agronome et énergétique. Il ne faut pas oublier la vente d'armes pour des pays comme le Togo ou le Cameroun, et qui se trouve facilitée par la proposition de services de conseil en sécurité», a précisé à Sputnik un ancien diplomate maghrébin en Afrique subsaharienne, désirant garder l'anonymat «en raison de la sensibilité de la question».

Témoigne de cette pénétration l'invitation inédite du président rwandais, Paul Kagame, à prendre part en mai dernier à la convention annuelle de l'AIPAC, le lobby américain pro-israélien. Le chef de la diplomatie togolaise, Robert Dussey, également présent à cette manifestation annuelle, y déclara qu'«Israël a la solution pour le développement en Afrique».

Selon l'ancien diplomate approché par Sputnik, Israël a su, avec le développement du terrorisme en Afrique, vendre ses arguments sécuritaires à des leaders africains, au profit desquels il fait également du lobbying en leur permettant, parfois, d'accéder à des soutiens, appuis ou services américains ou européens.

«En retour, l'Afrique s'annonce pour les Israéliens comme une terre fertile de renseignements en tous genres, notamment pour quadriller l'action des Libanais chiites, très présents sur le continent. A un autre niveau, on aspire, côté israélien, à pouvoir contrer ou neutraliser, au niveau des organisations internationales, toutes les mauvaises surprises qui pourraient provenir d'un bloc africain qui lui est traditionnellement hostile»,

a ajouté l'ancien diplomate maghrébin, en allusion au vote sur des résolutions internationales.

De fait, le Sénégal a fait partie des pays qui ont demandé une réunion urgente du Conseil de sécurité de l'ONU à la suite de la décision de Trump. Le Sénégal a été l'une des (très) rares voix africaines à exprimer sa désapprobation, et pour cause: Dakar préside depuis plus de quatre décennies le comité des Nations unies pour l'exercice des droits inaliénables du peuple palestinien. C'est également, dans la région ouest-africaine, le principal allié du Maroc, un pays qui a choisi, tout comme la Tunisie, de procéder à un geste fort en convoquant l'ambassadeur des États-Unis pour lui faire part du refus de cette décision unilatérale américaine.

«C'est loin de se réduire à l'influence du Maroc. Le Sénégal c'est le pays géostratégique par excellence. C'est le lieu d'influence des monarchies du golfe, des grands pays d'Asie. C'est la plateforme africaine de la finance islamique et le point d'entrée dans l'islam noir», a déclaré à Sputnik Hichem Ben Yaïche, éditorialiste spécialiste de l'Afrique subsaharienne.

Mais il n'y a pas qu'Israël qu'il faudrait ménager. Bien que toujours opposés à une large implication de l'ONU dans le soutien de la force africaine antiterroriste au Sahel, les Américains ne lui ont pas moins octroyé, en octobre dernier, une aide directe de 60 millions de dollars (50,9 millions d'euros). En outre, les investissements directs américains en Afrique sont récemment passés à plus de 57 milliards de dollars, soit plus de 48 milliards d'euros. Le tout, sans compter les aides au développement qui se chiffrent, tout de même, à quelques milliards de dollars.

«Là où il y a une présence américaine en Afrique, il y a Israël», poursuit l'ancien diplomate interrogé par Sputnik,

en illustrant ses propos par la prochaine intégration israélienne du programme Power Africa, développé par l'agence américaine USAID et qui dotera 60 millions de ménages africains de l'électricité avant 2030.

Entre-temps, les Africains continueront sans doute de «ménager la chèvre et le chou», en attendant leur inscription durable dans une dynamique de décollage économique. À économie sous perfusion, diplomatie sous influence… et parfois sous pression.

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