C'est une affaire qui oppose un harceleur présumé à ses victimes. Si, dans le contexte découlant de l'affaire Weinstein, elle peut sembler jugée d'avance par le tribunal de l'opinion, la Justice fonctionne sur un tout autre rythme. La lenteur des procédures est dommageable tant pour les victimes présumées, qui doivent se reconstruire, que pour le mis en examen, souvent obligé de mettre sa vie en parenthèse le temps de l'instruction. Et notre affaire l'illustre bien.
Parmi les faits reprochés au responsable universitaire, détaillés dans la décision de la sanction disciplinaire figurent, entre autres, harcèlement moral et sexuel, comportements dévalorisants et/ou humiliants à l'égard de personnels et d'étudiantes, manquements graves à l'éthique et à la déontologie professionnelle, etc. Plus d'un an après, l'affaire n'en finit pas de faire couler de l'encre et la justice suit son cours… avec lenteur. Deux étudiantes russes et une ancienne employée de l'ESPE ont livré leur version des faits à Sputnik. De son côté, l'avocat de Stanislas H. n'a pas souhaité réagir, «n'ayant pas reçu de mandat de son client dans ce sens».
«Un comportement agressif et des messages déplacés»
Marina I., une étudiante russe, s'était inscrite en master 2 de l'ESPE à la rentrée 2014-2015 pour poursuivre ses études en médiation culturelle, le parcours dirigé à l'époque par Stanislas H. Une année d'études qui s'est rapidement transformée, selon ses propres mots, «en cauchemar».
«Dès le début de l'année universitaire, Stanislas H. a adopté une attitude bizarre et négative à mon encontre. Il a parlé de moi dans mon dos sans jamais me dire en face ce qui ne lui plaisait pas», a déploré la jeune fille au micro de Sputnik.
D'après elle, la situation aurait évolué au fil du temps. Elle assure avoir dans un premier temps été ignorée par son référent, l'empêchant de postuler à un stage au sein des structures muséales. Selon ses dires, trois autres étudiants russes auraient pâti du même problème. Marina explique que ces éléments ont eu des conséquences déterminantes sur ses notes au premier semestre et affirme que le «comportement [de Stanislas H.] a changé de façon spectaculaire vers la fin du second semestre».
«J'ai commencé à recevoir des messages de Stanislas H. presque chaque soir, aux environs de 23h. Je trouvais le contenu de ces messages abusif. Au début, j'ai pris cela pour une blague, mais ils sont devenus de plus en plus suspects.», explique l'étudiante.
«Dans ses messages, Stanislas H. se permettait de faire des blagues qui me paraissaient salaces. Je ne savais pas comment réagir. Au vu des problèmes que j'avais eus au premier semestre et comme j'avais peur de le fâcher, j'essayais de répondre de façon amicale», poursuit Marina I.
«Il m'a prise par l'épaule deux fois, puis a tenu son bras en disant qu'il voulait vérifier si j'avais froid. J'ai reculé et lui ai souhaité bonne nuit, puis je suis rentrée dans ma chambre pour m'apercevoir que j'avais déjà reçu un message de lui sur mon mail», se souvient l'étudiante.
Vu le comportement de son référent, la jeune fille s'est sentie obligée d'avertir la personne responsable du séjour des étudiants étrangers au sein de l'ESPE. Même si elle a fini par avoir son diplôme, elle avoue avoir gardé un «très mauvais souvenir de cette année».
«Rentrez dans votre pays, la porte est là»
Elena P., une seconde étudiante, déclare à Sputnik avoir vécu une situation similaire. Dans son témoignage, elle évoque les mêmes problèmes que sa camarade Marina. Elle nous explique que «durant tout le premier semestre, Stanislas H. m'écrivait des messages dans lesquels il me prêtait une attention particulière. Je trouvais cela bizarre, mais comme il était directeur et responsable de ma formation, je me sentais obligée de lui répondre.»
«Il me demandait si j'avais un copain, car j'étais, selon lui, "si intéressante". Tous ses messages arrivaient vers minuit, voire plus tard. Ça me rendait inquiète», ajoute la jeune fille.
Elle affirme par la suite que Stanislas H. se disait content de son travail au second semestre et qu'il l'avait rassurée en lui disant qu'elle n'aurait pas de soucis pour avoir son diplôme. Elle explique avoir été d'autant plus surprise en remarquant qu'il lui manquait toujours des points pour valider son année. «On ne contestait pas les notes, mais on avait besoin de savoir ce qu'il faudrait faire pour le rattrapage», ajoute-t-elle. «Nous sommes allées le voir avec une autre étudiante russe. (…) D'abord, il a commencé à nous expliquer, puis s'est mis à crier en agitant nerveusement les mains en l'air et en nous disant qu'on était indignes de bons résultats et du diplôme de master.»
Il nous a alors dit:
«C'est clair? Nous sommes au marché? Non! Et je ne vends pas de diplômes, je ne vends pas des notes. Vous voulez rester en France? Je ne vous le conseille pas! Vous ne le méritez pas avec les résultats que vous avez. Dégagez, rentrez dans votre pays. La porte est là. Je vous souhaite bonne chance pour les rattrapages»,
«Plus tard dans la journée, ma collègue a reçu un mail de Stanislas H. nous indiquant que nous pouvions aller chercher nos nouveaux relevés de notes à la scolarité, ce que nous avons fait aussitôt. Dans mon nouveau bulletin j'ai vu qu'il m'avait mis 14 pour mon portfolio (au lieu du 12 obtenu précédemment). Nous n'avons reçu aucune explication ni aucune excuse pour ce comportement. Le même jour, nous avons reçu toutes les deux un mail du secrétariat de l'université avec les félicitations de Stanislas H. nous indiquant que nous avions réussi notre master», a conclu Marina P.
«Il est temps que cela cesse. Il m'est insupportable de ne pas réagir…»
À son tour, une ancienne employée de l'ESPE, qui a souhaité garder l'anonymat, a confirmé que l'ambiance dans l'établissement, où elle travaillait depuis 1996, était devenue insupportable. Elle a d'ailleurs porté plainte contre son ancien directeur.
«Stanislas H. est arrivé en tant que directeur adjoint chargé du 1er degré à l'IUFM [devenu ESPE, ndlr]. Puis il a été nommé directeur. Il a très vite fait savoir qu'il comptait se débarrasser de l'équipe de son prédécesseur, ainsi que de toutes les catégories A. Petit à petit, il a donc fait en sorte que certaines personnes concernées demandent leur mutation. Pour d'autres, la sanction a été plus radicale: elles se sont retrouvées affectées sur un autre poste du jour au lendemain et en dehors du mouvement du personnel de fin d'année. (…)» explique l'employée, avant d'aborder son cas personnel:
«J'ai vite compris que je ferais partie des personnes éjectables. Mais avant cela, il avait besoin de mes services et de mes connaissances. Il fallait également qu'il réussisse à mettre en place sa nouvelle équipe. Je n'étais pas entièrement dupe, mais j'aimais mon travail et espérais, peut-être naïvement, que cela s'arrangerait.»
Espoir déçu, puisque selon ses dires, la situation aurait continué à se dégrader, malgré quelques lueurs d'espoir. Peu à peu, elle se serait fait évincer de l'équipe et de ses fonctions. Elle pense également que le directeur aurait été calomnieux et qu'il aurait tenu des propos mensongers à son égard. À cause de cela, le personnel avec lequel elle avait travaillé depuis presque deux décennies aurait commencé à la regarder d'un autre œil:
«Je me cachais de plus en plus, ne sortais presque plus du bureau, évitais mes collègues… Honteuse! C'est moi qui avais honte! Je me disais que j'étais certainement nulle et incapable…»
Démoralisée, presque à bout, psychologiquement fragile, elle explique que, pour elle, chaque jour de travail était devenu insupportable.
«Tous les matins, je me faisais violence pour aller au travail, car je savais que la journée allait être longue. Je n'avais quasiment plus rien à faire», ajoute-t-elle.
C'est à ce moment-là qu'elle décide de quitter cet établissement pour se protéger et travailler ailleurs, dans de meilleures conditions. «Bref, difficile de résumer plus de cinq ans de souffrance vécue… Ceci est vraiment un condensé. (…) Il est temps que cela cesse. Il m'est insupportable de ne pas réagir», résume-t-elle, expliquant pourquoi elle a accepté de se joindre à la plainte collective à l'encontre de son ancien employeur.
Et maintenant?
Bien que la décision de la section disciplinaire ait été prononcée le 3 juillet 2017 et qu'il ait partiellement reconnu les faits, cette affaire est loin d'être close. La section disciplinaire souligne que Stanislas H. «a reconnu avoir un management brutal inapproprié», qu'il ne nie pas «avoir eu des échanges déplacés et/ou à connotation sexuelle» avec des étudiantes, reconnaissant «le caractère anormal de ces échanges».
Ainsi, il a soutenu sa thèse, intitulée «Histoire et mémoire dans l'enseignement secondaire en France: les modes de pensée de lycéens face à la Shoah. Expérience muséale, émotion, conscience historique» le 6 novembre 2017 à l'Université de Lille III. Comme l'indique le portail www.theses.fr, le document qui a justifié la délivrance du diplôme est en cours de traitement par la bibliothèque de l'établissement de soutenance.