«Tout le monde savait»,
constate tristement Rolland Lombardi, consultant indépendant et spécialiste du Moyen-Orient. Ce n'était pourtant évoqué qu'à demi-mot, durant des années: «On n'a jamais pu prouver concrètement que ces deux monarchies du Golfe influençaient, et surtout finançaient et soutenaient matériellement des groupes islamistes, notamment en Syrie et en Libye».
Pourtant, l'aveu est on ne peut plus clair. Le prince héritier d'Arabie saoudite Mohamed Ben Salman «s'est engagé à ce que nous puissions lui fournir une liste et qu'il cesse les financements», a déclaré Emmanuel Macron dans une interview à France 24 et RFI, en marge d'un sommet à Abidjan.
Louable initiative, mais comment contrôler un financement, tacite, qui fonctionne «par des moyens détournés, par des fondations, de manière indirecte avec des princes proches du pouvoir, ou par des associations proches du pouvoir»?
«La France n'aura peut-être pas tous les leviers, mais il y a de grosses instances internationales, notamment le Trésor américain, un des premiers à dénoncer en 2012 et 2013, certains agissements négatifs du Qatar, notamment le financement du Hamas et de certains groupes dans le Sahel», estime Rolland Lombardi.
Macron veut jouer le «franc-parler», d'après l'expert, car la situation au Moyen-Orient a changé depuis l'intervention russe en Syrie en 2015 et l'élection de Donald Trump aux États-Unis.
«C'était pour des raisons géopolitiques. Je ne sais pas encore quelle inflexion Macron va donner à notre politique dans le Golfe, mais jusqu'à présent, clairement, nos relations avec l'Arabie saoudite et le Qatar étaient basées sur une diplomatie économique, qui paralysait notre propre géopolitique dans la région. On l'a vu en Syrie, puisqu'on s'alignait sur les positions saoudiennes et qataries, et c'était assez préjudiciable».
La France a-t-elle suffisamment de poids pour faire pression sur les monarchies du Golfe?
«Elle suivra le mouvement: Russes et Américains mettent une très forte pression sur ces pays. Moscou et Washington seront écoutés». Parce que «dans les coulisses, tout le monde se parle, Russes, Américains, Iraniens. Donc, on peut voir un petit espoir d'amélioration dans la région.»
Difficile pour l'instant de savoir quels groupes seront visés dans cette fameuse «liste» que la France doit transmettre à l'Arabie saoudite et surtout avec quelles mentions, car les qualificatifs de «rebelles», «modérés», ou clairement «djihadistes», sont susceptibles d'avoir également évolué:
«Maintenant qu'il n'y a plus le soutien des pays les plus influents du Golfe qui jouent à ce jeu funeste, la France a toute liberté pour dénoncer certaines personnes, certains groupes. Les services de renseignement français ont fait remonter certaines notes qui n'ont pas été prises en compte, encore une fois à cause de notre politique, qui ne voulait pas gêner notre commerce et surtout l'influence de Ryad et de Doha.»
«Encore une fois, je pense que les diplomates français suivent le mouvement, déjà entrepris par les Américains et Moscou. […] Certains groupes ont accepté de négocier, déposer les armes, d'autres se sont fait laminer. Je rappelle que l'Arabie saoudite et le Qatar avaient donné un certain nombre de liste de katiba, des groupes armés en Syrie, susceptibles ou de négocier, ou, pour le côté russe, être clairement éliminés.»
La France devra organiser, en 2018, une conférence de lutte contre le financement du terrorisme. Un peu plus tard lors d'une conférence de presse, le président Macron a indiqué avoir eu «cette discussion également avec les présidents Recep Tayyip Erdogan et Hassan Rohani», sans préciser si les présidents turc et iranien s'étaient engagés en ce sens.