Les recettes officielles de l'islam modéré, qu'elles soient promues en Occident ou même dans les pays arabes, sont «absolument stériles», d'après Youssef Seddik, anthropologue tunisien et spécialiste des religions, qui s'exprimait dans une interview exclusive à Sputnik.
«Les institutions officielles poussent des cris d'orfraie à chaque fois qu'il y a un attentat pour dire qu'en fait l'islam, ce n'est pas ça. On part dans des justifications ou alors dans des concessions, comme ce qu'on voit en Arabie saoudite. Cela n'est qu'une échappatoire tactique qui montre un moment de crise qu'on doit contourner et contenir, sans se soucier d'envisager les choses dans le fond», regrette Youssef Seddik.
Le «fond», selon l'auteur de «Nous n'avons jamais lu le Coran» passe par «un autre rapport au texte». Il s'agit de la «lecture» dont le corollaire est de considérer que le texte fondateur, le Coran, est loin d'être figé, mais se prête, au contraire, à une interprétation continuelle. Ce qu'il reproche aux recettes de l'islam officiel, c'est notamment leur emprisonnement dans l'exégèse, source, à terme, de toutes les contradictions.
«Il nous faut une conception de la lecture où l'on amène le sens vers ce que le récepteur, c'est-à-dire le musulman, sait du sens du monde à une telle époque. Il faut tenir compte de l'évolution du monde, scientifique et sociale, et jusqu'à celle de la sensibilité collective. Et le Texte s'y prête tout à fait», a-t-il détaillé.
Un travail de longue haleine s'inspirant de ce qui s'est passé en Occident pendant la Renaissance, puis au XVIIIe siècle, doit ainsi être effectué dans le monde arabe et en Occident, où les musulmans constituent une très forte «minorité». Mais cet Occident est resté lui-même prisonnier d'une image figée de l'islam.
«En Occident en général, on manque d'imagination par rapport à l'islam! On croit que l'islam tel que perçu aujourd'hui, c'est l'islam indépassable. Or, il n'y a pas de religion qui ne soit dépassable. Le christianisme avant Copernic n'a rien à voir avec le christianisme après l'Encyclopédie ou Einstein. Il a évolué dans une quête de la foi pure», analyse le spécialiste des religions.
À ce titre, les jeunes qui se radicalisent en France, et qui sont très attachés à leur identité (maghrébine en l'occurrence), «doivent pouvoir profiter d'un véritable horizon de changement spirituel et les faire accéder à la philosophie, la rationalité, à ce qui leur permet d'écrire des romans, de faire des films, de la peinture. Si on ne propose pas cet horizon-là, ils restent prisonniers de ceux qui installent une célébration rituelle qui peut être séduisante, certes, mais à travers laquelle peut filtrer un discours dangereux», a mis en garde Youssef Seddik.
Le danger est d'autant plus grand que ce discours rétrograde prêche «cette impossibilité qu'est le retour à l'origine sous toutes ses formes.»
Youssef Seddik, qui avait été un élève de Lacan, établit une métaphore psychanalytique, comparant ce désir chez les jeunes «à la quête du retour au ventre maternel, source de toutes les schizophrénies.» Il prévient:
«Il en est de même en matière d'idéologie, avec un retour à l'origine où on se sent trompeusement dans la quiétude. C'est l'envers de la mort; retourner comme si on n'était pas encore né. Cette quête est autodestructrice et provoque jusqu'au suicide».
En Occident comme dans les pays arabes, on pointe souvent les facteurs socio-économiques comme principal ressort de la radicalisation. En France, le discours d'intellectuels, d'acteurs de la société civile, consistant à ramener la radicalisation entre autres choses, à la marginalisation, voire la ghettoïsation, trouve de plus en plus d'écho.
Pour Youssef Seddik, cette intégration est un processus particulier à chaque contrée, et l'histoire et la géographie ont leur rôle à jouer. En Russie, l'immensité géographique, cette idée que le pays s'est toujours faite de lui-même, sa prédisposition à être indépendant, y compris du reste de l'Europe, a fait qu'il
«a pu englober les tendances, les aspirations, les mouvements, les sentiments religieux différents de sa population. Ce qui fait qu'un Tolstoï a pu écrire un de ses plus beaux romans: Hadji Murad. Quand on le lit, on a l'impression que l'islam est une très grande religion russe. Ses personnages n'ont aucune autre particularité par rapport aux autres Russes que le choix d'un credo différent.»