«L'accord nucléaire tel qu'il est, dans la vision du Président Macron, et d'ailleurs dans la vision de l'ensemble des Européens, ne doit pas être retouché, il doit être conservé tel quel, parce que c'est trop compliqué d'y toucher. C'est un point d'équilibre très précis, très délicat qui a été atteint, et essayer de modifier ce point d'équilibre risquerait de faire écrouler tout l'accord.»
L'ancien ambassadeur de France en Iran, François Nicoullaud, affirme sans aucun doute les intentions du Président Macron. Rappelons qu'après s'être déplacé aux Émirats arabes unis, le Président français a rendu de manière inopinée une visite à Riyad et évoqué le deal nucléaire passé avec l'Iran en 2015. Thierry Coville, chercheur à l'Iris et spécialiste des questions iraniennes, soutient la même opinion:
«Je pense le Président français cherche surtout à calmer le jeu. En fait, ce qui compte beaucoup pour les Européens et pour les Français, c'est vraiment de préserver l'accord sur le nucléaire avec l'Iran.
Et d'ajouter:
«Donc, je trouve que c'est une manière intelligente de calmer le jeu en disant aux Saoudiens et finalement aux Américains: Écoutez, de toute façon, l'accord sur le nucléaire, il ne faut pas y toucher. Par contre, des discussions sont ouvertes sur ce qui les inquiète, qui en font effectivement les deux points, qui sont le programme balistique iranien et — les Saoudiens parlent d'hégémonie — la politique régionale de l'Iran.»
Thierry Coville expose la seconde partie des propos qu'a tenus Emmanuel Macron devant les Saoudiens. Le Président français semble demander aux réfractaires américains de maintenir leur adhésion à l'accord conclu en 2015, tout en ajoutant de nouvelles demandes qui les satisferont. Cette déclaration fait écho à celle du chef de la diplomatie américaine, comme le souligne notre chercheur:
«Frédérica Mogherini l'a rappelé au Congrès américain il y a quelques jours, en disant: "Ne changez rien à l'accord". Parce qu'on sait très bien que, si jamais le Congrès américain propose une nouvelle version de l'accord, c'est fini, les Iraniens ne renégocieront pas. Donc, l'idée, c'est vraiment de ne pas revenir sur l'accord mais effectivement d'ouvrir les négociations sur les thèmes qui occupent les Saoudiens et les Américains.»
Cet ajout rassure évidemment les principaux partenaires français mais expose aussi le nouveau rôle diplomatique qu'Emmanuel Macron entend donner à la France. Après des décennies de faux pas et d'ingérence diplomatique, le Président français semble vouloir donner un virage important au traitement des affaires étrangères. En rappelant l'histoire récente de la région du Proche-Orient et de ses nombreuses guerres, Tierry Coville explique la volonté du chef de l'État:
«C'est plus qu'une posture. La France reprend son rôle traditionnel. […] Je pense que la politique de la France, et à mon avis, c'est tout à fait pragmatique, rationnel et bienvenu. On a vraiment besoin d'un pays [la France] qui tient un discours de sagesse […] qui est de dire: s'il y a des problèmes, négocions. D'où l'idée de discuter de ce programme balistique iranien et du rôle de l'Iran dans la région.»
Bien qu'il ne faille oublier la realpolitik, François Nicoullaud affirme aussi qu'Emmanuel Macron implique une dimension individuelle dans la diplomatie de son pays en se servant des relations interpersonnelles pour faire influer les positions de ses homologues et les rallier aux aspirations de la France:
«Je pense que le Président Macron est intéressé à connaître les Saoudiens, à connaître notamment ce fameux Mohammed ben Salmane, qui est l'étoile qui monte. […] C'est quelqu'un qu'il est important de connaître et avec lequel il est important d'avoir un lien direct. C'est manifestement la première idée de Macron. […] Salmane est un acteur important en ce moment dans la région, donc Macron ne veut pas passer à côté.»
Mais cette nouvelle diplomatie pose tout de même question. En refusant de choisir un camp et en essayant de prendre de la hauteur afin d'apaiser les tensions, le Président pourrait aussi oublier les intérêts français. En effet, alors qu'il insiste sur la nécessité de maintenir l'accord nucléaire iranien, Emmanuel Macron propose deux nouveaux sujets qui comblent Donald Trump et Mohammed ben Salmane mais pourraient fortement déplaire à Hassan Rohani. L'ancien ambassadeur français à Téhéran semble affirmer le contraire:
«Non, là je ne suis pas du tout inquiet. Tout d'abord, il y a une partie de la doctrine Macron qui convient tout à fait aux Iraniens, c'est-à-dire: on ne renégocie pas l'accord nucléaire existant, […] on n'y touche pas. Et là, cela correspond exactement à ce que souhaitent les Iraniens. Donc, là-dessus, l'entente est parfaite.»
Avant de nuancer:
«Il faut s'expliquer. Les Iraniens considèrent que le balistique est une affaire de défense. La défense, cela ne se négocie pas, parce que c'est un élément de souveraineté déterminant et [quant à l'hégémonie dans la région] l'Iran considère qu'il a joué un rôle très positif et déterminant, un rôle premier même au maintien de l'équilibre, de la situation politique. […] Donc, l'Iran aura des choses à dire à Monsieur Macron à ce sujet.»
Les explications de François Nicoullaud affirment donc que ces deux enjeux, évoqués par le Président Macron, pourraient devenir d'importantes sources de conflit entre la France et l'Iran, parce que touchant à la souveraineté de l'État et pouvant s'interpréter comme une nouvelle ingérence de Paris.
Si Thierry Coville confirme les nombreux intérêts, notamment économiques, que la France souhaite développer en Iran, il analyse la déclaration d'Emmanuel Macron comme une annonce diplomatique raisonnable, à l'instar du Président Trump «qui a vraiment choisi son camp et qui [finalement] augmente les tensions»:
«Si la France veut garder son crédit, dans les deux pays, il ne faut surtout pas avoir l'air de prendre parti pour l'un ou l'autre. Mais c'est important de garder cet équilibre. Donc, effectivement, il ne s'agit pas de vexer l'Arabie saoudite, mais il ne s'agit pas également de montrer qu'on est hostile à l'Iran.»