Les chroniques de voyage
Pendant l'âge d'or des récits de voyage, tout écrivain qui se respectait mentionnait forcément l'ours dans ses notes sur la Russie. Les uns racontaient des histoires amusantes avec des oursons, d'autres décrivaient les carrosses et les traîneaux décorés dans de magnifiques peaux d'ours. Le poète anglais George Turberville, qui a séjourné à Moscou en 1568-1569, écrivait qu'en signe de grand honneur pour un hôte on lui proposait, au lieu d'un lit, de se reposer sur une peau d'ours et une selle faisait office d'oreiller. «Il n'y a pas d'autres draps en Russie», assurait l'Anglais.
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— Teddy Bear (@StuffedTeddy) 28 февраля 2016 г.
Sans oublier la culture populaire russe, où les divertissements impliquant un ou plusieurs ours avaient la part belle. Des troupes sillonnaient ainsi les routes russes avec des ours domestiqués capables de danser, de faire des culbutes et même de mendier. Ainsi, Giles Fletcher, poète britannique, diplomate et voyageur, n'avait jamais vu ces animaux semi-sauvages se balader oisivement dans une capitale. Dans ses notes il écrivait: «Des ours sauvages, généralement attrapés dans des fosses ou des filets, sont maintenus en cage. Au jour et à l'heure convenue, la cour se réunit devant le théâtre où doit avoir lieu le combat. Une foule immense assiste au spectacle. Apparaît le combattant le plus audacieux avec un épieu, et on lâche l'ours qui, en le voyant, se cabre, rugit et se jette sur lui la gueule ouverte. Le chasseur ne bouge pas: il regarde, vise — et enfonce avec force l'épieu dans l'animal et appuie l'autre extrémité au sol avec le pied. L'animal blessé et enragé se jette sur le fer, l'arrose de sang et de bave, brise et ronge le bois, et, n'y arrivant pas, tombe sur le côté pour mourir en poussant un dernier soupir. La foule, jusque-là silencieuse, fait trembler la place de ses cris de joie et le héros est conduit dans les sous-sols du tsar pour boire à la santé du souverain…»
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— Subnews (@subnews_ru) 2 июня 2017 г.
Selon d'autres témoignages, à l'époque d'Ivan le Terrible on comptait à Moscou environ 1 ours pour 100 habitants. Les boyards et les marchands aisés abritaient généralement au moins un ours dans leurs chambres et maisons. En entrant dans un bistrot fréquenté de l'époque, vous auriez forcément vu un ours — souvent assis dans un groupe bruyant et en train de boire.
Les ours russes étaient exportés dans les pays européens essentiellement de Russie, jusqu'à devenir une véritable marque. Par exemple, en 1749, le journal Les Chroniques de Cambridge a publié une publicité invitant les Européens à voir de leurs propres yeux la persécution du «grand ours moscovite». Dans la troupe de chaque cirque nomade se trouvait forcément un ours, et même s'il n'avait pas été attrapé dans les étendues russes on affirmait aux spectateurs que le monstre poilu et sanguinaire était un authentique ours «moscovite». D'ailleurs, les Européens répandaient activement la rumeur selon laquelle les baladins avec des ours, devenus très nombreux, étaient des espions du grand prince de Moscou.
La naissance de «l'image d'Épinal»
La passion pour les ours en Russie a été reprise dans les caricatures occidentales. La première image allégorique de la Russie sous la forme d'un ours est apparue dans des chroniques de 1507, qui appartenaient très certainement à un certain Yan de Glogow. Sur le dessin, l'Europe-dragon est opposée à l'Asie-ours où la Moscovie occupe une place centrale.
La latitude, la longitude et l'ours
Un ours est également apparu sur la vignette de la première carte de Moscovie dessinée en 1544 par le sénateur de Gdansk Antoni Vid. Il participe également à une scène où une bande tente de l'attraper. Sur la carte de l'ambassadeur anglais Anthony Jenkinson, les ours se baladent tranquillement sur le territoire de la Moscovie. Par la suite sont apparues des cartes avec un nombre menaçant d'ours partout en Russie, ainsi que des illustrations de danses d'ours en compagnie d'hommes russes.
Des racines ancestrales
Il faut reconnaître que la contribution à ce totem russe est aussi venue de la part des Russes mêmes. Les escouades de Varangiens dans l'ancienne Russie de Kiev étaient les premières à se comparer aux ours. Les ancêtres païens russes, selon les historiens, considéraient l'ours non seulement comme un animal divin, mais également comme un parent en s'adressant à lui comme au «grand-père», au «vieillard». Autre exemple: dans la mythologie des Slaves les guerriers Vyrvi Doub et Vali Gora ont été nourris par une louve et une ourse — qui leur a donné la force et l'intelligence.
Même à la période chrétienne, en dépit des traits plus négatifs qu'on lui attribuait — la rage, la paresse, l'agression — l'ours est resté un animal vénéré. Ses images apparaissent dans les masques et les costumes de déguisement, et l'ours est aussi présent dans les objets artisanaux, dans la littérature, dans les contes de fées, les proverbes et les dictons.
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