Cela pourrait fonctionner et dans 15 ans, nous nous trouverions alors face à une autre Arabie saoudite», a déclaré au journal Vzgliad l'islamologue Alexeï Malachenko, commentant la promesse révolutionnaire du prince Mohammed de renoncer à l'islam radical.
«Nous voulons aller là où nous étions, vers un islam modéré, ouvert au monde qui l'entoure, ouvert à toutes les autres religions», a déclaré l'héritier du trône sous un tonnerre d'applaudissements. Et d'ajouter que 70% de la population saoudienne avait moins de 30 ans et que l'État ne voulait pas perdre encore 30 ans à cause des idées de l'islam radical et de l'extrémisme, qu'il a promis d'éradiquer.
Ce n'est pas le seul message audacieux du prince. En présentant le programme de réformes économiques Vision-2030, le prince Mohammed a également annoncé le projet de construire «à partir de rien» une ville au bord de la mer Rouge appelée NEOM. Son coût est estimé au moins à 500 milliards de dollars et l'une des «cerises sur le gâteau» de la future ville pourrait être un pont sur la mer Rouge pour relier l'Égypte et l'Arabie saoudite. Et surtout, cette ville sera l'incarnation des rêves des futurologues: par exemple le nombre de robots, selon le prince, dépassera celui des habitants humains. Les robots effectueront tous les travaux physiques difficiles et monotones.
L'expert Alexeï Malachenko, membre de l'institut Dialogue des civilisations, explique pourquoi la cour royale d'État, jugée autoritaire, a décidé d'organiser une révolution par le haut.
- Monsieur Malachenko, cette déclaration révolutionnaire du prince Mohammed était-elle une surprise pour vous?
— Cela n'a rien d'étrange. Les Saoudiens avaient déjà préparé un immense programme en deux étapes pour moderniser l'État et la société — d'ici 2025, puis à l'horizon 2030 — prévoyant une restructuration de toute la société saoudienne avec, par exemple, la construction de centres de divertissement pour les jeunes et pour les touristes occidentaux.
Mais il y a un «mais». Je pense que cela entraînera une aggravation de la politique intérieure dans le pays. Les islamistes radicaux s'insurgeront pour dire que c'est un écart aux principes de l'islam.
La situation politique s'aggrave déjà. Elle n'a jamais été facile, et encore moins aujourd'hui en prévision de l'arrivée du nouvel héritier. Le roi Salmane, qui s'est récemment rendu en Russie et a visité le Kremlin avec une canne, est né en 1931: il n'est pas éternel. Il en est parfaitement conscient. Son successeur, qui a reçu une éducation occidentale, compte transformer le pays. Comme on dit: que Dieu lui vienne en aide. Mais la réaction sera très brutale. Nous assisterons prochainement à un affrontement violent. Ils s'y préparent. C'est pourquoi ils ont lancé une lutte acharnée contre Daech et contre d'autres éléments radicaux. La situation est extrêmement intéressante.
Des tentatives de libéralisation ont déjà eu lieu dans le royaume — deux fois pour être exact. Dans les années 1960 est apparue l'organisation Émirs libres — par analogie avec les Officiers libres en Égypte — qui ont également essayé de tout changer, d'organiser une révolution. Mais tout le monde a été jeté en prison ou fusillé. Puis une nouvelle tentative de réformes a été entreprise dans les années 1980, à nouveau en vain. Cette fois, les réformateurs pourraient réussir.
- Sur quelles couches sociales le prince peut-il s'appuyer?
— Sur la nouvelle élite jeune. C'est là que s'arrête la dynastie des enfants du roi Saoud. Ce n'est pas la deuxième, mais la troisième génération qui arrive. Le jeune Mohammed s'orientera sur l'Occident, tout en utilisant les relations avec la Russie comme levier de pression sur ce dernier. S'il y parvenait, c'est un tout nouvel État qui ferait son apparition. Sinon, ce serait un cauchemar. Et si le prince était assassiné? Il y a eu tellement d'attentats autour de la Kaaba…
- Dans quelle mesure les services spéciaux pourront-ils protéger le prince contre les attentats? Pourra-t-il trouver un appui auprès des militaires?
— Il y aura une scission sur toute la ligne: il y aura des fissures dans les renseignements, dans l'armée et même dans l'industrie pétrolière. Aujourd'hui les Saoudiens sentent qu'ils forment un grand État, protecteur de deux sanctuaires — la Mecque et Médine. Et tout à coup certains se mettent à construire des centres de divertissement. Il faut repenser, comprendre. Tout cela est très difficile.
- Vous avez mentionné la «nouvelle élite». Quelle est la puissance de cette couche sociale?
— Elle est très puissante. Mais une couche tout aussi solide lui sera opposée. Bien sûr, le pétrole est contrôlé par la dynastie. Mais au sein même de la dynastie certains croient sincèrement en l'islamisme. De plus, on comprend parfaitement à Riyad que si la modernisation se passe comme prévu, l'impression que donne l'Arabie d'être le pilier mondial du grand islam traditionnel pourrait faiblir.
Les Saoudiens pourraient perdre leur autorité. Leurs problèmes avec les pays du Golfe pourraient s'aggraver, sans parler des problèmes avec l'Iran. Quoi qu'il en soit, de grands changements arrivent. Et ils se refléteront sur tout le monde musulman.
- En Arabie saoudite vit une minorité chiite orientée vers l'Iran, précisément dans la province où sont concentrés les champs pétroliers. On dit qu'elle subit encore des discriminations. Si le pouvoir central faiblissait, les chiites ne tenteraient-ils pas de se venger?
— On assiste à une situation absurde et moyenâgeuse, dans laquelle les chiites et les sunnites entretiennent des relations hostiles. Mais si une telle restructuration était lancée, les nouvelles autorités se moqueraient de savoir qui est sunnite ou chiite. L'esprit de la modernité est plus proche pour eux. Supposons que la modernisation lancée en Iran par le président actuel se poursuive. Si les modernisateurs se retrouvaient au pouvoir dans les deux pays, ils pourraient s'entendre malgré toutes les difficultés.
- Dans l'ensemble, l'État saoudien ne s'effondrerait donc pas à cause d'une telle restructuration?
— Le temps s'accélère. Le conflit entre les conservateurs et les modernisateurs s'aggrave partout. Pour les Saoudiens ces changements seront encore plus douloureux que dans d'autres pays. Mais cette fois je pense qu'ils pourraient réussir quand Mohammed arrivera sur le trône. Je pense que cela pourrait se produire très prochainement car Salmane est très malade.
- Comment voyez-vous cet État à terme? Plus proche de la Turquie actuelle? Pourrait-il devenir une république parlementaire laïque?
— Il faut un nouvel Atatürk. Mohammed ben Salmane sera-t-il le nouvel Atatürk? Je l'ignore. Il en a certains traits. Mais en Turquie Atatürk est apparu quand l'Empire ottoman a été défait dans la Première Guerre mondiale et s'est effondré. L'État laïque est apparu comme réaction à la défaite de l'empire islamisé. J'ignore ce qu'il en sera. Mais cet homme est disposé très radicalement.
- Mohammed a également promis de construire NEOM — la ville fantastique du futur. Ces plans se réaliseront-ils?
— Ils la construiront. Commencer à servir du whisky aux passagers des avions saoudiens — voilà ce qui serait une vraie révolution.
Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur de l'article repris d'un média russe et traduit dans son intégralité en français.