Iran: les États-Unis peuvent-ils à nouveau nuire aux investissements européens?

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Donald Trump semble s’être montré conciliant vis-à-vis de la volonté des Européens de défendre leurs intérêts en Iran. Malgré l’isolement des États-Unis sur le dossier du nucléaire iranien et les propos de leur Président, les Européens sont-ils à l’abri de représailles judiciaires américaines dans les années à venir?

«Continuez juste à vous faire de l'argent. Ne vous inquiétez pas, nous n'avons pas besoin de vous là-dessus.» Tels sont les propos de Donald Trump dans une interview accordée à Fox News le 22 octobre dernier. Le Président américain y explique qu'il n'a pas besoin des Européens pour faire pression sur l'Iran et que ces derniers peuvent continuer à commercer avec Téhéran, malgré la position de Washington sur le dossier du nucléaire iranien.

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Un dossier sur lequel les Américains sont isolés, les Européens ayant décidé de ne rien lâcher à leur allié. Un isolement de Washington qui rend quasi impossible toute tentative américaine d'isoler l'Iran via la remise en cause de l'accord de Vienne. Signés à l'été 2015 entre l'Iran et les membres du Conseil de sécurité de l'ONU —auxquels s'était joint l'Allemagne- ils bénéficient de l'imprimatur des Nations unies (Résolution 2131), comme le rappelle Milad Jokar, analyste de l'Institut Prospective & Sécurité en Europe (IPSE), spécialiste de l'Iran et expert politique des États-Unis:

«La volonté américaine seule ne sera pas suffisante pour sortir de l'accord sur le nucléaire, étant donné qu'il s'agit d'une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies.»

Un cadre juridique qui devrait, selon l'expert, contrebalancer les «quelques incertitudes» qui persistent chez les investisseurs suite à la posture agressive adoptée par Donald Trump, notamment en matière d'extraterritorialité du droit américain en cas de rétablissement par le Congrès US des sanctions contre l'Iran, celles-là mêmes qui avaient progressivement été levées à partir de 2015.

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Des craintes d'investisseurs étrangers qui peuvent se comprendre: tous gardent en tête le cas de la BNP, épinglée par l'OFAC (Office of Foreign Assets Control), cet organisme, sous l'égide du Département du Trésor, chargé de faire respecter les embargos unilatéraux américains.
En 2014, sous peine de perdre sa licence aux États-Unis et donc son accès au marché américain ainsi qu'à toute opération libellée en dollars, la banque française avait été contrainte de régler une amende record de 8,83 milliards de dollars pour avoir facilité des transactions en dollars avec des individus et entités basés notamment en Iran. Bien d'autres banques françaises (Société Générale, Crédit Agricole) et européennes (ING, Crédit Suisse, Deutsche Bank) avaient suivi.

Hervé Ghannad, spécialiste de l'Iran et notamment auteur du livre «Identité et politique extérieure de l'Iran» (Éd. Studyrama, 2013) va plus loin. Pour lui, Donald Trump aura bien du mal à justifier auprès des entreprises américaines une interdiction d'accès à un marché iranien en pleine ouverture et sur lequel se sont déjà positionnés les grands groupes européens.

«L'Iran va créer un appel d'air, de grandes entreprises telles Boeing —car il y a Airbus-, de grandes entreprises métallurgiques, d'acier, d'automobiles, de chercheurs et pétrochimie… vous voulez que l'Amérique passe à côté de ça? Je n'en suis pas si sûr.»

Pour nos deux experts, les seules fenêtres de tir restantes pour Washington afin de sévir à l'encontre de Téhéran, sont le programme balistique et la politique étrangère menée par l'Iran au Moyen-Orient. Deux pistes à ne pas minimiser. En effet si Donald Trump n'a pas «déchiré» les accords de Vienne comme il l'avait promis, en ne les certifiant pas le 13 octobre il a laissé la main au Congrès sur un possible rétablissement des sanctions. Congrès, qui mi-juillet, votait déjà une nouvelle série de sanctions à l'encontre de la République islamique pour ses activités militaires jugées «pernicieuses».

Quant à la politique étrangère iranienne, Donald Trump n'a pas de mots assez durs pour la qualifier. Lors d'une allocution à Washington faisant suite à son refus de certifier l'accord de Vienne le 13 octobre, le locataire de la Maison-Blanche avait dépeint l'Iran comme «un régime fanatique», qui «répand la mort, la destruction et le chaos» et qu'il accuse d'être «le principal État soutenant le terrorisme dans le monde.»
Pour Milad Jokar, les premières têtes iraniennes pouvant retomber sous le coup de sanctions américaines sont celles liées aux gardiens de la révolution, les Pasdarans.

«Si les États-Unis empêchent toute transaction par rapport à l'accord sur le nucléaire, les États-Unis se retrouveraient en violation de l'accord et à partir de là ce sont eux qui se retrouveraient isolés, car l'UE, la Russie et la Chine se mettraient du côté de la résolution des Nations Unies et donc du côté de l'Iran, qui pour le moment respecte l'accord sur le nucléaire, cela a été vérifié par […] l'AIEA», précise Milad Jokar.

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Notons toutefois que cela ne serait pas la première fois que les États-Unis se mettent en porte-à-faux vis-à-vis des Nations Unies. Rappelons le cas de l'invasion de la Yougoslavie ou plus récemment de l'Irak. En dépit du désaveu de l'ONU et afin malgré tout de se prévaloir de multilatéralisme, les États-Unis s'étaient tournés vers leurs alliés de l'OTAN, incluant des partenaires improbables dépourvus d'armée, tels que les îles des Palaos (en Micronésie), l'Islande ou encore le Costa Rica (qui a aboli son armée en 1948), mais qui demeuraient liés à l'Alliance ou aux États-Unis par des traités de défense. Un cas de figure qui, dans le cas de l'Iran, semble pour le moment à exclure.

Dans une telle perspective, reste donc à savoir si la France et les Européens peuvent se permettre de laisser les faucons américains reprendre leur offensive diplomatique à l'encontre de l'Iran. La réponse est clairement non pour Hervé Ghannad, qui salue la posture du Président de la République face à son homologue américain:

«Le Président Macron a une posture intelligente à l'ONU, face à Donald Trump sur l'accord iranien: il s'est posé en garant des accords internationaux et que la France —car il met en avant la France dans un registre très gaullien- s'oppose [non] pas aux États-Unis, car c'est un ami [mais] à une attitude de refus d'aller jusqu'au bout des accords.»

Un avis que partage Milad Jokar, d'autant plus que les retombées positives de l'accord sur le nucléaire iranien ne se limitent pas, pour la France, à ses seuls intérêts économiques:

«On ne peut pas faire sans l'Iran et c'est pour ça que même sur des dossiers comme la Syrie ou l'Irak, Emmanuel Macron a réaffirmé qu'il faut discuter avec l'Iran et que l'Iran doit faire partie de la table des négociations, car c'est un élément puissant dans la région.»

En voulant isoler à nouveau l'Iran, l'approche de Donald Trump «renverse» celle de Barack Obama, qui avait vu dans la République islamique un élément stabilisateur au sein d'une région en proie aux conflits, à la guerre, explique Milad Jockar. Une ligne de Barack Obama que détaille Hervé Ghannad:

«L'Amérique a besoin des Iraniens, pour le Pakistan, pour stabiliser l'Afghanistan —premier producteur d'Opium-, pour stabiliser l'Irak —il y a 60% de chiites, 40% de sunnites- pour stabiliser toute la plaine du Moyen-Orient au niveau de la Syrie, pour gérer le problème du Kurdistan —qu'on avait promis en 1920, qui a été arrêté en 1923 par Atatürk.»

et c'est finalement dans cette ligne que s'inscrit la politique d'Emmanuel Macron, non par altruisme pro-américain, mais parce que cela correspond aux intérêts français et européens:

«Il y a des différences de vision entre l'Union européenne et les États-Unis, car les intérêts européens ne sont pas les mêmes que les intérêts américains lorsqu'il s'agit des relations avec l'Iran. […] La stabilisation du Moyen-Orient peut améliorer la situation pour l'Europe, en termes de sécurité, en termes de crise de réfugiés, ou économiques, mais cela va bien au-delà des intérêts économiques.»

On l'aura compris, plus que jamais l'Iran semble offrir aux Européens l'opportunité de s'émanciper diplomatiquement du giron américain. Cependant, l'effort devra s'inscrire à long terme et uniquement dans le temps de la présidence Trump afin de garantir aux entreprises européennes qu'aucun procureur américain ne viendra un jour leur demander des comptes. Et dans cette bataille, le meilleur allié des Européens pourrait bien être… les entreprises américaines. Elles gardent en mémoire la déconfiture du pétrolier Yankee Conoco.

En 1997, les Européens s'étaient élevés contre la tentative de Washington d'empêcher Total de se joindre à Gazprom et Petronas pour le développement d'un gisement de gaz dans les eaux du Golfe, en recourant à la Loi d'Amato-Kennedy (renommé depuis Iran Sanctions Act). Total avait alors pu prendre la place, à la fureur de l'administration Clinton… et surtout de l'américain Conoco, lui-même contraint de se retirer du projet suite aux sanctions décrétées par Washington contre l'Iran. Nommé South Pars, ce gisement de gaz naturel s'avère être aujourd'hui le plus grand au monde.

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