La deuxième raison est que l'Unesco n'est visiblement pas favorable à Israël, qui s'est immédiatement dit prêt à suivre l'exemple de Washington, écrit le quotidien Vzgliad. Est-ce que les Américains seront en mesure de se passer de la culture mondiale, et cette dernière de vivre sans les USA?
En échange, le département d'État est prêt à créer une mission permanente d'observation auprès de l'Unesco pour maintenir ses contacts avec l'organisation sur plusieurs questions, notamment le patrimoine mondial, la liberté de la presse, la science et l'éducation.
Irina Bokova a déjà exprimé un profond regret. «Il s'agit d'une perte pour l'Unesco, d'une perte pour l'Onu», a reconnu la directrice générale, en ajoutant que la décision de Washington violait le principe de coopération multilatérale de règle dans la culture mondiale.
En 2011, quand Washington a suspendu le versement de ses contributions, elle avait rappelé que l'«Unesco était plus que jamais importante pour les États-Unis, tout comme les États-Unis pour l'Unesco». «Le travail de l'Unesco est la clé pour renforcer les liens et l'héritage humain commun face aux forces de la haine et de la discorde», souligne-t-elle encore aujourd'hui.
Une plateforme de paix en pleine Guerre froide
Henrikas Juškevičius, conseiller d'Irina Bokova, reconnaît qu'il regrette la décision américaine, qui met l'organisation dans une «position financière assez difficile». Il affirme que de nombreux intellectuels américains ne sont pas ravis de ce choix qui pourrait nuire aux liens entre les scientifiques de différents pays.
«Même à l'époque de la Guerre froide l'Unesco était une plate-forme de rencontre pour les scientifiques de différents pays, explique-t-il. Elle était une véritable fenêtre sur le monde, notamment pour les chercheurs soviétiques. La revue Courrier de l'Unesco était très populaire en URSS».
«Beaucoup de personnes estiment que l'Unesco reçoit des fonds énormes. En réalité, son budget sur deux ans se chiffre à environ 560 millions de dollars, ce qui équivaut à celui d'une université américaine moyenne», souligne Henrikas Juškevičiusen, qui rappelle que les finances de l'organisation laissent à désirer ces dernières années, depuis que la Palestine l'a rejointe. A l'époque, les États-Unis avaient gelé leur contribution déjà planifiée de 80 millions de dollars. «La somme est proportionnelle aux dimensions d'un État concret et de sa population, tout comme à l'Onu», explique-t-il.
Selon lui, cette décision est purement politique et pourrait nuire aux USA-mêmes. Elle remet en cause des projets non seulement dans le domaine de la culture et de l'éducation, mais aussi dans le secteur politique et militaire. Cela concerne notamment le programme d'entraînement des policiers afghans mené sous l'égide de l'Unesco, qui semble répondre aux intérêts des États-Unis.
Claquer la porte, une habitude américaine
L'Unesco, ou Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture, siège à Paris. Ce n'est pas la première fois que les États-Unis quittent l'organisation: Ronald Reagan l'avait déjà fait en 1984 sous prétexte d'une mauvaise gestion des finances de l'organisation et d'une politique «anti-américaine». En 2003, Georges W. Bush avait fait revenir les USA à l'Unesco.
Le budget de l'Unesco en 2010-2011 atteignait 653 millions de dollars, alors que ses assignations extra-budgétaires se chiffraient à 462 millions de dollars. Les donateurs principaux étaient à l'époque les États-Unis (22%), le Japon (12,5%), l'Allemagne (8%), la Grande Bretagne (6,6%) et la France (6,1%).
«Israël doit aussi quitter l'organisation», a annoncé jeudi Carmel Shama, représentant de l'État hébreu à l'Unesco. Selon lui, «ces dernières années, cette organisation s'est transformée en structure virtuelle ayant changé ses orientations professionnelles au nom des intérêts politiques de certains États».
Quelques heures après, le premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a chargé le Ministère des Affaires étrangères de préparer la sortie du pays de l'organisation.
Le dossier israélo-palestinien existe depuis longtemps, mais la question financière a également joué son rôle, estime Alexeï Borissov, président du comité exécutif de la fédération mondiale des associations de l'Onu et chef de la chaire de l'Onu du MGIMO. «Il s'agit évidemment du programme de Trump. Il a promis de réduire le financement des organisations internationales par les USA lors de sa campagne présidentielle. Il ne fait donc que suivre son slogan électoral: America First», souligne-t-il.
«Il s'agit d'une décision irresponsable, qu'il faudra annuler comme cela a déjà été le cas par le passé, estime Borissov. C'est un choix néfaste pour les USA et l'Unesco. Il est difficile d'obtenir des résultats tangibles sans un acteur aussi important que les États-Unis. C'est dommage, mais nous, la communauté internationale, serons en mesure de surmonter cet obstacle, D'un point de vue financier, il n'y a pas vraiment de problème car l'Unesco s'est déjà adoptée au manque de paiement américains depuis 2011. Par ailleurs, les USA ont déjà perdu leur droit de vote en 2013».
Les USA exclus de la culture mondiale?
Les deux parties pourraient faire face à des conséquences considérables, estime Vladimir Bortko, premier vice-président du comité de la Douma pour la culture. Le budget de l'organisation sera fortement impacté «car la contribution américaine à l'Unesco reste la plus considérable». Par ailleurs, cette décision nuit aux USA-mêmes «parce que vivre hors de la culture mondiale est improbable. Ils peuvent essayer s'ils le veulent».
Djabarov compare cette démarche aux autres initiatives extravagantes de Washington, comme sa sortie de l'Accord de Paris sur le climat. Le sénateur n'exclut pas que l'équipe de Trump puisse changer d'avis d'ici l'année prochaine, car elle est «imprévisible».
Cela correspond parfaitement à la logique générale de Trump, estime Eleonora Mitrofanova, ambassadrice spéciale du ministère russe des Affaires étrangères et ancienne représentante de la Russie auprès de l'Unesco. Elle ajoute qu'à l'Unesco les USA ne faisaient que soutenir Israël et faire pression sur les pays dont le régime était «indésirable» selon Washington.
«C'est une triste nouvelle», a commenté Dmitri Peskov, porte-parole du président russe.
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