France: retour des super-riches et classes moyennes en péril

© AFP 2023 Ludovic MARIN Emmanuel Macron
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La politique fiscale d’Emmanuel Macron porterait ses fruits et l’exode des «riches» serait endigué. Cependant, rien n’est fait pour stopper la déliquescence des classes moyennes prophétisée depuis des décennies dans notre pays. Retour sur la mort de cette classe sociale transformée en variable d’ajustement budgétaire et fiscale.

Les riches seraient de retour en France! C'est du moins le message véhiculé par BFM-TV dans un Grand angle diffusé mardi 10 octobre. Pour nos confrères, si le Brexit et la perspective d'une perte par le Royaume-Uni de son accès au marché européen aurait motivé nombre d'entrepreneurs et de professionnels de la finance expatriés à Londres à rentrer en France, l'élection d'Emmanuel Macron ne serait pas étrangère à ce retour des hauts revenus dans l'hexagone.

C'est à première vue une bonne nouvelle, sachant que la France était encore récemment la championne du monde en termes de fuite des millionnaires (hors capital immobilier): ils étaient ainsi 10 000 et 12 000 à quitter l'hexagone respectivement en 2015 et 2016 — plus qu'en Chine — d'après le cabinet de Conseil sud-africain New World Wealth. Et ce sont ces riches qui ont les moyens d'investir:

«Ce qu'Emmanuel Macron tente de faire, avec l'ISF recentré sur les valeurs mobilières — le capital qui peut circuler, car c'est ça sa philosophie sociale profonde — ce sont des gens qui pourraient créer des emplois.

Pour l'économiste et juriste Philippe Arondel, le nouvel exécutif français cible «un certain type de métiers bien identifiés». Auteur, notamment, en novembre 2014 d'une étude pour l'Institut de Recherches Economiques et Sociales (IRES) Classes moyennes, un modèle républicain en péril?, Philippe Arondel tient justement à faire cette différence entre les «super-riches» et les autres, tout particulièrement concernant les classes aisées qui demeurent partie intégrante des classes moyennes traditionnelles.

Il faut dire que parmi ces dernières, figurent en bonne position les retraités dits «aisés», qui pour reprendre ses mots sont «les grands perdants des réformes fiscales en cours» évoquant au passage le traitement médiatique réservés à ces ménages, souvent qualifiés de «riches» dès lors que leur pension dépasse les 1.400€. En guise d'illustration il évoque le cas d'un couple de retraités de l'enseignement touchant à eux deux 5.000€ de pension.

«Est-ce qu'on est riche, en France, dans un monde moderne développé, lorsqu'on est enseignant du secondaire et qu'on a cette retraite-là? Or aujourd'hui, dans la réforme fiscale de Monsieur Macron, ce sont ces gens-là qui sont finalement pointés du doigt, alors même que les super-riches sont détaxés. C'est ça la question!»

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D'ailleurs, remarquons que si la gauche pointe du doigt les mesures fiscales d'Emmanuel Macron, comme la suppression de l'ISF, il s'agit plus précisément d'un recentrage de cet impôt sur la Fortune sur les seules fortunes immobilières, exonérant ainsi les titres mobiliers, notamment les actions. Les propriétaires devront donc continuer à s'acquitter de cet impôt sur leur patrimoine foncier, qu'ils soient agriculteurs ou parisiens ayant vu la valeur de leur appartement tripler ces dernières décennies.

Facteur aggravant souligné par notre expert, le manque de volonté politique pour endiguer le «dumping fiscal» opéré par d'autres États dans un monde de plus en plus ouvert — notamment au sein même d'une Union européenne qui a érigé comme valeur fondamentale la libre circulation des personnes et des capitaux. «À partir du moment où on ne veut pas se poser la question d'une re-régulation, même modérée, en effet pour faire revenir les super-riches […] il n'y a pas d'autre solution que d'adapter notre fiscalité à la fiscalité moyenne en Europe voire même dans le monde», une équation à laquelle on tente de trouver une solution précaire par de « vases communicants» (baisse des charges, hausse de la CSG, etc.), un bricolage qui n'est pas sans mettant en péril notre système de protection social, faisant des classes moyennes de véritables variables d'ajustement des politiques budgétaires.

On observe ainsi que s'il y a de plus en plus de millionnaires (en dollars) en France — 580.000, en 2016 selon une étude de Capgemini — il y a aussi de plus en plus de pauvres — 8,9 millions, en 2015 — et prise en étau entre les deux, la classe moyenne semble inéluctablement s'amenuiser, se paupériser, d'où cette question centrale: va-t-on vers leur disparition, comme cela avait été théorisé, il y a plus de deux décennies en France et par la suite dans les pays anglo-saxons par sociologues et économistes? Tous dressent un même constat: dans les vieux pays développés, les classes moyennes sont appelées à subir un phénomène de déclassement et à tirer un trait sur leurs espoirs d'une vie trépidante que seul le 1er décile de la population pourra encore connaitre.

S'il ne croit pas en leur disparition, le pronostic de Philippe Arondel n'en est pas pour autant moins pessimiste, «elles ne disparaissent pas, mais ce qu'elles étaient auparavant est en train de disparaitre». Il décrit une «explosion» du «peloton» des classes moyennes, la cohésion qui faisait d'antan sa caractéristique n'étant plus de mise.

«Vous en avez qui sont déclassés et qui rejoignent les classes populaires — ce sont les classes moyennes inférieures […] vous avez les classes moyennes — moyennes qui résistent encore, mais difficilement et vous avez une fraction des classes moyennes supérieures qui rejoint les plus aisés.»

Exemple flagrant, mis en avant par l'économiste pour symboliser ce déclassement social: l'impossibilité à l'heure actuelle pour des classes moyennes d'acquérir des biens immobiliers dans les centres villes, comme elles en étaient capable il y a encore 20 ans. Des classes moyennes remplacées par une nouvelle classe sociale, qui ne s'est pas imposée via la méritocratie républicaine: les bobos. Une nouvelle classe, encore peu étudiée, issue d'un nouveau corpus de métiers tels que ceux du spectacle, des médias ou du numérique.

Si rien ne semble être fait pour endiguer ce délitement, c'est selon Philipe Arondel principalement par manque de vision politique. En effet, pour celui-ci, «enrayer, endiguer, ce mouvement, supposerait que l'on ait une confiance assez aigue, précise, très fine, du pacte social que l'on veut mettre en place».

Une absence de vision qui aujourd'hui se traduit par la disparition du pacte social, républicain, en vigueur dans les années 50-60 et de son fameux ascenseur social, faisant que tous pouvaient progresser. Un ascenseur social aujourd'hui «bien grippé», Philippe Aronsel insistant sur cette évidence que non seulement nul n'est plus garanti de monter dans la hiérarchie de son entreprise, mais surtout que cette progression sera bien plus longue et fastidieuse:

«Dans les années 60, il fallait à peu près 10 à 12 ans pour quelqu'un qui était au bas de la hiérarchie pour accéder au statut des plus aisés. Aujourd'hui, il y a des calculs qui disent que c'est 35-40 ans, c'est une carrière…»

En cause, notamment, la «dévalorisation rampante» des diplômes nationaux, tels que le baccalauréat, condamnant les candidats à la réussite à prétendre à des cursus particulièrement élitistes. Ainsi, l'économiste craint que la qualité du

«On peut penser que la crise des classes moyennes est aussi le fait qu'il y a un retour sur le marché du travail des héritiers, des gens qui ont "de bonnes origines", et qui vont se confronter à ceux qui sont dans le lot commun de tous les étudiants et avoir un avantage nouveau, alors que dans les années 60, par la méritocratie républicaine, par les postes offerts par l'État providence, dans le secteur public notamment, des gens issus de couches sociales dites défavorisées pouvaient accéder à une certaine hiérarchie.»

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Les conséquences de ce déclassement social seraient notamment politiques. «Il va y avoir une alliance de fait, couches populaires — classes moyennes, c'est l'un des débats que l'on a aujourd'hui en France autour de la recomposition politique». Une alliance qui se concrétise par un attrait à l'égard des courants dit «populistes», lesquels pourrait défendre l'idéal de l'État providence, impliquant une forme de protectionnisme, comme le précise notre expert:

«Je pense que la crise que nous vivons aujourd'hui, c'est une crise de la mondialisation: libre circulation des hommes, des capitaux et des marchandises, avec dumping social et fiscal. Cela a un impact à la fois sur les classes populaires et sur les classes moyennes. Lorsque vous perdez votre industrie, vous perdez tout une gamme de savoir-faire où l'on trouve notamment des gens des classes moyennes.»

Une nouvelle force politique peu favorable à la globalisation sauvage et dont l'émergence ferait peur aux «libéraux de droite comme de gauche», d'après Philippe Arondel. N'en n'aurions-nous pas vu les prémices lors du référendum sur le Brexit ou de l'élection présidentielle américaine?

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