La stratégie militaire française réside dans 111 pages au format PDF. Le document sobrement intitulé «Revue Stratégique de défense et de sécurité nationale» a été rendu public dès vendredi midi (quelques extraits ont toutefois été conservés secret défense). Mais l'on y décèle assez clairement la direction qu'est supposée prendre la France dans ses affaires extérieures durant les prochaines années. Ses priorités stratégiques sont le Sahel et le Moyen-Orient. Le texte appelle aussi à «la fermeté et au dialogue» face à «l'affirmation de la puissance russe».
Revue stratégique sur Russie, page 42, «Revue Stratégique de défense et de sécurité nationale»
À ce propos, Emmanuel Dupuy, président de l'IPSE (Institut Prospective & Sécurité en Europe) déplore notamment chez Arnaud Danjean, député européen et dirigeant du comité de rédaction de la Revue Stratégique «une sorte d'obstination, de fascination pour le Front de l'Est comme un élément stratégique tout simplement parce qu'un certain nombre d'experts ou de responsables politiques ont focalisé leur attention sur cette région. Il me semble que la Revue Stratégique fait trop état de cette question.»
«La menace russe est prise en compte mais n'est pas une priorité […] Il y a un décalage entre la perception de la menace de la part des pays comme la France qui regardent plutôt au Sud et de la part des pays d'Europe orientale qui regardent plutôt à l'Est parce que, eux, voient toujours dans la Russie qui est sur leur frontière, l'ancien occupant qui était chez eux pendant 45 ans. Donc il y a un décalage entre les deux. La France a un rôle essentiel à jouer là-dedans que le Président Macron a très bien illustré en invitant le Président Poutine à Versailles. C'est à la fois de la fermeté pour marquer qu'il y a un certain nombre de choses qui ne seront pas acceptées, mais aussi du dialogue parce que je ne vois pas une agression russe contre ces pays européens. »
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Mais de façon plus globale, la Revue Stratégique de Défense et de Sécurité nationale insiste davantage sur les priorités sahéliennes et moyen-orientales dans un contexte de diminution du nombre d'hommes sur les opérations extérieures. La France doit ainsi prendre conscience de ses limites et comme l'admet Emmanuel Dupuy: «nous ne sommes pas une puissance globale, nous sommes une puissance régionale».
C'est pourquoi le document s'inscrit également dans le cadre européen. Y est mentionné explicitement le Fonds européen de Défense, mécanisme financier et logistique de l'Union européenne évoqué dès 2013 (mais présenté au conseil européen qu'en juin 2016) pour améliorer la coordination des troupes des pays membres. Le président de l'IPSE définit bien le dispositif: «le Fonds européen consiste de manière solidaire à faire payer aux pays qui n'auraient pas les moyens ni l'envie d'intervenir en opérations extérieures, pour leur permettre de soutenir l'action des pays qui, eux, ont décidé de se mobiliser.» Emmanuel Dupuy développe ainsi son propos:"le Fonds européen n'est que la première étape afin d'harmoniser les moyens budgétaires et ambitions capacitaires des Etats pour garantir une prise dé décision collective des acquisitions en équipement." C'est alors la volonté d'Emmanuel Macron de relancer ce projet. Mais pas question toutefois de parler d'armée européenne.
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Si l'on devait résumer ce texte de 111 pages, nous pourrions ainsi qualifier la stratégie militaire dans les années à venir comme sans doute plus qualitative et moins dispersée. La preuve en est, le rehaussement du budget de la Défense qui doit atteindre en 2025 les 50 milliards d'euros. Bonne nouvelle aussi pour la rémunération des 300.000 militaires et leurs familles.