Les plaies sont toujours à vif depuis le discours du 13 juillet dernier. «Je suis votre chef… il n'est pas digne d'étaler certains débats sur la place publique» avait affirmé Emmanuel Macron, en réaction à des propos tenus dans le huis clos de l'Assemblée nationale par le Général Pierre de Villiers. Deux mois plus tard, cette allocution aux armées, «ressentie comme une humiliation» selon le Général Antoine Martinez, semble dans l'esprit de chaque militaire. Et sans doute davantage, dans un pays où 88% de l'opinion conserve un avis positif sur l'armée (selon l'IFOP en mai 2017).
La polémique semble ressortir à chaque détour: «il y a, a priori, une contradiction d'approche entre la ministre des Armées, pour qui l'incident est clos, et le Général Lecointre», nous explique notre interlocuteur. Le nouveau Chef d'État-major des armées (CEMA), que certains pensaient plus conciliant avec le pouvoir, déclarait en effet le 5 septembre dernier aux universités de la défense à Toulon qu'il portait «par fonction, des responsabilités en matière de cohérence générale, à la fois de la programmation et des engagements budgétaires». Pour le Général Antoine Martinez, l'interprétation ne fait aucun doute: «il a repris les arguments du Général de Villiers et accusé les gens de Bercy de vouloir gérer les armées comme une variable d'ajustement».
Solidaire du Général de Villiers, notre interlocuteur estime que l'ancien CEMA était «dans un rôle de lanceur d'alerte» et que «ses précédentes auditions n'avaient pas tenu compte de l'alerte». Plus profondément, «on ne peut plus considérer aujourd'hui que la grande muette est une société anonyme, aux ordres de façon passive, ne réagissant pas aux menaces qui pèsent sur notre pays», explique le Général Martinez, avant de poursuivre: «au niveau de la réflexion menée, ceux-ci doivent être entendus».
Des lanceurs d'alerte d'un nouveau genre
Pourtant l'absence d'écoute traduirait le divorce grandissant entre le politique et le militaire: «au niveau de la classe politique, il va falloir comprendre que les forces armées sont la première des missions régaliennes». Ainsi le Général Martinez plaide-t-il pour une «révolution des esprits»: il veut une reconnaissance du «devoir d'expression» de «ceux qui risquent ou ont risqué leur vie pour la défense de la France», afin d'admettre leur capacité de «lanceurs d'alerte».
D'autant plus que le bras de fer entre l'état-major et le politique s'inscrit dans une «tendance lourde» selon Martinez. En 2014, le Général de gendarmerie Bertrand Soubelet était placardisé pour des propos sur la politique pénale, tout comme Vincent Desportes en 2010 pour sa critique de la politique américaine et française en Afghanistan. Face à la menace de diminution des crédits militaires, les quatre chefs d'état-major (Armées, Terre, Air, Marine) avaient, en 2014, menacé de démissionner, une démarche inédite. En février 2016, le Général Piquemal était arrêté à Calais lors d'une manifestation contre «l'islamisation et l'invasion migratoire», et radié des cadres par François Hollande, alors que le tribunal de Boulogne l'avait relaxé.
Ces prises de parole éparses n'en sont pas moins cruciales selon le Général Martinez: «c'est peut-être notre rôle, nous autres généraux 2 S», déclare-t-il avant de conclure: «nous avons un peu de recul, c'est peut-être notre rôle d'appuyer là où ça fait mal, cela peut déranger mais cela peut être profitable à la Nation. Peut-être faut-il introduire un peu d'esprit militaire dans la gouvernance du pays».
Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.