Médias & politiques: «la communion dans la communication»

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Le journaliste Bruno Roger-Petit devient porte-parole de l’Elysée. Une anecdote qui dévoile la «caste politico-médiatique» selon Edouard Chanot.

«Macron muscle sa communication»: tel était le bandeau de BFMTV pour annoncer la nomination du journaliste chroniqueur Bruno Roger-Petit comme porte-parole de l'Élysée. Une reconversion qui a beaucoup amusé notre éditocrate maison, Edouard Chanot.

Pour s'adresser aux journalistes, Emmanuel Macron a donc choisi un journaliste. Imaginez donc: Antenne 2, Télématin, Technikart, Envoyé Spécial, France 5, France 2, Touche Pas à Mon Poste, Le Petit Journal, BFM, Le Nouvel Obs, France Inter, Challenges, et même Europe 1 Sport.

Le journaliste Bruno Roger-Petit est de tous les plateaux, éditoriaux et micros depuis 1988. Se disant de gauche, il fut un partisan précoce d'Emmanuel Macron. On se souvient que la société des journalistes du magazine Challenges avait protesté contre le parti-pris trop explicite du titre en faveur du candidat Macron.

Il devait rejoindre Europe 1 mais le voilà qui s'est vu offrir un micro sous les ors de la république, à l'Élysée. Je cite: «aura pour mission de relayer la parole publique de l'Élysée et utilisera pour ce faire tous les moyens à sa disposition, notamment le compte Twitter de la présidence». Il pourra donc ressentir l'ivresse du pouvoir en 140 caractères.

Le modèle américain est d'ailleurs encore une fois assumé par l'équipe Macron, qui après le statut de First Lady, s'inspire du spokesperson de la Maison Blanche. Roger-Petit devient donc porte-parole de la présidence, et rejoint, accrochez-vous bien, la communication dirigée par Sibeth N'Diaye… qui avait donc déchaîné les passions pour avoir répondu par texto «yes la meuf est dead» pour confirmer le décès de Simone Veil.

Il prend en somme la suite de la peu regrettée Laurence Haïm, correspondante du groupe Canal+ et de l'agence CAPA à Washington, qui s'était mise en marche pour la communication de Macron avant que ses appétits démesurés (elle avait réclamé un poste d'ambassadeur à l'Onu) ne sonnent la fin de son aventure.

Un transfuge du journalisme au politique, donc…

Un transfuge et un prêté pour un rendu, tant sont nombreux les politiques à se recaser dans les médias. Un phénomène qui dépasse donc la simple anecdote d'une Roselyne Bachelot rejoignant D8. Admirez plutôt: l'ancienne ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, mais aussi Gaspard Gantzer, ancien conseiller com» de François Hollande, ont rejoint RTL, l'ancienne secrétaire d'État au numérique Axelle Lemaire a rejoint France Culture, Henri Guaino Sud Radio, Jean-Pierre Raffarin Europe 1, Julien Dray LCI, Raquel Garrido de la France insoumise C8 et Thierry Ardisson. Même le Front national est concerné, puisque l'énarque et économiste Jean Messiha est annoncé chez Europe 1, mais une pétition a été lancée contre ce transfert…

Joli spectacle de voir ces politiques défaits se recycler dans les médias. Des transfuges du politique au journalisme, principalement, mais c'était dans la logique des choses de voir l'inverse se produire…

La logique des choses?

La logique de la caste politico-médiatique… Deux clans idéalement ou initialement strictement définis, mais qui le sont de moins en moins. Deux clans qui se nourrissent l'un l'autre, qui se poursuivent l'un l'autre, dont l'existence dépend l'un de l'autre, et qui en fin de compte perdent la neutralité qu'ils revendiquaient pour eux-mêmes. Le politique atteint moins le Bien commun qu'il ne communique, et les médias mainstream informent moins qu'ils ne communiquent —en entonnant la rengaine des agences de presse, notamment. C'est la communion dans la communication.

Les clivages institutionnels disparaissent en conséquence, parce que les institutions disparaissent. Permettez-moi cher Clément, chers auditeurs, de sortir l'une de mes références: Patrick Buisson a bien expliqué l'érosion progressive de toutes les institutions depuis trois siècles, la dernière en date étant les partis.

Eh bien la société liquide, celle qui s'adapte aux instincts, aux désirs des individus, érode aussi l'institution médiatique. Quoi de plus naturel? Quand tout devient liquide, il devient aisé de se mouvoir et de fusionner.

Il n'est pas vain d'évoquer une connivence avec le pouvoir. On invoque les avis tranchants de ces nouveaux chroniqueurs, ou leur «liberté de ton», mais indéniablement, peut-on compter sur ceux qui bénéficient de l'ordre établi pour véritablement en percevoir les aspérités?

Et puis accessoirement, je n'ai jamais entendu dire quelqu'un «Il y a Roselyne Bachelot ce soir sur RMC, je ne dois pas rater ça»!

Quand même Édouard, n'est-ce pas un peu populo-populiste de parler de «caste»? Ne peut-on pas plutôt parler « d'élite », et lui intégrer par exemple les dirigeants de grandes entreprises?

C'est sûr, le concept «d'élite» est bien plus neutre que celui de caste! Ou plutôt plus Bourdieusard, n'est-ce pas?

Et certes, quand on pense à l'archétype indien des castes, on se doute bien que le concept de «caste politico-médiatique» est une analogie, ou n'est qu'une analogie. Bien sûr, il n'existe ni endogamie, ni hérédité, ni hiérarchie pure et parfaite. Et puis bien sûr, les financiers sont aussi partie prenante de cette caste.

Mais l'analogie est-elle abusive? Le concept de caste exprime mieux, me semble-t-il, la fragilité grandissante de l'ordre actuel.

Je parlais de communion dans la communication, de connivence, de liquéfaction. Mais dans l'absolu, cette caste est portée par un dogme commun, libéral-libertaire, dogme produit par l'entente de la droite libérale et de la gauche libertaire. Dogme qui sous-tend le «grand centre» contemporain.
Qui dit «caste» dit «esprit de caste». Alors figurez-vous, chers auditeur, j'ai appris aujourd'hui l'étymologie du mot, qui vient de l'espagnol et du portugais «casta»: pur, non mélangé, et du latin «castus», c'est-à-dire «chaste». Et si la caste contemporaine est bien plus fluide, elle aime sa pureté dogmatique. Elle aime exclure et condamner la pensée impure, la rejeter hors du cercle de la raison. Et comme tout dogme, elle a ses prêtres… ou ses brahmanes.

Nous attendons donc votre nomination, Edouard Chanot, à l'Élysée. Ou au Kremlin!

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