Erdogan accuse l’Allemagne de soutien au terrorisme: vers un divorce définitif ?

© AFP 2024 Turkish Presidential Press OfficeRecep Tayyip Erdogan
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Quelques mois après avoir comparé les Allemands aux nazis, le Président turc accuse l’Allemagne de «soutenir le terrorisme».

Des accusations et injures répétées, reflets d'un divorce politique entre la Turquie et l'UE, mais également du revirement de la politique intérieure et extérieure du Président turc dans une région du monde déchirée par la guerre.Devant les partisans de l'AKP (Justice et Développement) réunis lundi 7 août dans la ville de Rize —dans le nord-est du pays- Recep Tayyip Erdogan a ni plus ni moins accusé l'Allemagne de «soutenir le terrorisme». En cause, le refus des autorités allemandes de fournir des informations sur des suspects recherchés par leurs homologues turcs, qui auraient transmis près de 4.500 dossiers à Berlin, selon les dires d'Erdogan.

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Cependant, comme chacun sait, entre les nations la notion de «terrorisme» reste sujette à débat. Comme le rappelle Didier Billion, directeur adjoint de l'Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS), spécialiste de la Turquie et du Moyen-Orient, l'ONU elle-même n'est jamais parvenue à donner une définition unique du terrorisme, «certains États considèrent que telle ou telle organisation est terroriste et puis d'autres pas, au contraire.»

Dans le cas présent, les «terroristes» pointés du doigt par Erdogan ne sont donc pas forcément des islamistes radicalisés ayant projeté de commettre en attentat, comme nous pourrions l'imaginer. Un point que confirme notre intervenant, qui met en avant deux principales catégories d'individus dans le collimateur d'Erdogan, deux catégories symptomatiques de deux «dossiers singulièrement brûlants» entre l'Allemagne et la Turquie.

En premier lieu, les militants et partisans du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), vivant aujourd'hui au sein de la communauté d'origines turque et kurde en Allemagne. Le PKK est en effet en guerre ouverte contre le gouvernement turc depuis août 1984. Une organisation que la Turquie n'est d'ailleurs pas la seule à considérer comme «terroriste», c'est également le cas de l'UE et par conséquent de l'Allemagne.

Des militants de la cause kurde auxquels se sont plus récemment ajoutés ceux de l'Imam Fethullah Gülen, tout particulièrement depuis la tentative de coup d'État de juillet 2016. Erdogan estime en effet que son ancien allié en est le principal investigateur. Des individus dont Ankara exige l'extradition, pour l'heure sans succès. Notons par ailleurs que suite au putsch manqué, plusieurs dizaines d'officiers turcs de l'OTAN avaient demandé l'asile politique à Berlin.

«L'Allemagne s'y refuse, considérant que les uns et les autres n'ont pas d'activités délictueuses sur le territoire allemand et considérant aussi que vu la restriction des libertés démocratiques en Turquie, il serait bien dangereux d'extrader ses militants qui pourraient être immédiatement jetés en prison et éventuellement un peu maltraités,» explique Didier Billion, qui évoque un troisième point pour expliquer la fermeté de la position allemande: la tenue prochaine d'élections. Dans ce contexte, Angela Merkel n'entendant donc pas céder aux réclamations de son homologue turc afin de juguler la progression de l'extrême droite dans le pays.

«Monsieur Erdogan est dans une logique jusqu'au-boutiste- on le sait maintenant depuis plusieurs années —il y a une sorte de fuite en avant assez préoccupante et finalement tous ceux ou toutes celles des forces qui ne sont pas d'accord avec lui sont considérées comme terroristes ou complices des terroristes.»

En guise d'illustration de cette «absence de retenue», notre expert rappelle qu'il y a quelques semaines, c'était à Kemal Kiliçdaroglu, chef du principal parti d'opposition, le Parti républicain du peuple (CHP) fondé par Kemal Atatürk, père de la Turquie moderne, d'être accusé par le président truc de se «se ranger du côté des terroristes».

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Des accusations répétées du président turc, tant à l'encontre d'opposants internes que de chefs d'État étrangers, fussent-ils des alliés historiques. Au moins de mars, suite à l'annulation par les autorités allemandes de plusieurs meetings auxquels devaient participer des responsables turcs, Erdogan avait fustigé des pratiques «qui ne diffèrent en rien de celles de la période nazie». Une posture qui peut apparaître déplacée lorsqu'on repense aux «collusions» qu'avaient entretenues les autorités turques avec des groupes terroristes en Syrie dans l'espoir de faire tomber le gouvernement.

Si pour Didier Billion, on ne peut plus aujourd'hui accuser la Turquie d'entretenir des «complaisances» avec des organisations djihadistes en Syrie, ces liens demeurent néanmoins avérés jusqu'à son changement d'attitude vis-à-vis des djihadistes ainsi que son rapprochement avec Moscou en août 2016, opérant ainsi un «infléchissement considérable» de la politique turque en Syrie «dans cette situation, le minimum, c'est que monsieur Erdogan soit un peu plus modeste quand il accuse l'Allemagne ou quelques autres pays de complicité avec le terrorisme.»

Malgré ces signaux, ces menaces et ces «rodomontades» du président turc et la défiance d'une partie de son électorat, Didier Billion estime que la Turquie n'entend pas pour autant abandonner la perspective d'une adhésion à l'UE, notamment en raison de la forte part tenue par l'Union (40%) dans les importations et exportations turques.

Si cela n'exempte pas de critique le Président Erdogan- rappelant que depuis la tentative de coup d'État, 140.000 fonctionnaires ont été limogés, 50.000 personnes emprisonnées, dont 160 journalistes, estimant également «pas acceptable» la nature des accusations portées à un État européen, pour Didier Billion l'UE a également commis des erreurs. Il rappelle que la situation politique en Turquie n'a pas toujours été à ce point dégradée.

«Je considère pour ma part qu'au moment où de véritables progrès étaient réalisés dans les négociations entre la Turquie et l'Union européenne, qu'au moment où la Turquie était véritablement engagée dans un processus de démocratisation, d'élargissement des droits démocratiques individuels et collectifs, certains dirigeants européens- pour ne pas les citer Nicolas Sarkozy et Angela Merkel- n'ont pas trouvé mieux que d'expliquer que la porte de l'adhésion était de toute façon fermée et qu'éventuellement pourrait être envisagé un partenariat stratégique. À partir de là, évidemment, la situation a commencé à se dégrader.»

Si actuellement une adhésion de la Turquie, comme envisagée par le passé, n'a plus de sens, fermer définitivement la porte à la Turquie serait selon lui une «erreur politique», de part et d'autre du Bosphore. Il condamne la résolution du Parlement européen gelant les négociations avec l'UE.

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Tant en matière d'affaires intérieures qu'extérieures, la politique menée par la Turquie depuis plusieurs années est difficile à appréhender. Pour notre expert, cet «isolement relatif» du pays vis-à-vis de ses voisins et de ses partenaires résulte notamment de la dégradation de la situation en Syrie et en Irak. Pour lui, les espérances turques de tirer profit des révolutions arabes sur le pourtour du bassin méditerranéen- à travers les Frères musulmans- ou de se rediriger vers l'Asie centrale (où d'autres puissances lui font aujourd'hui compétition) sont deux illusions auxquelles il oppose deux lignes de force:

«La Turquie comprend bien que l'OTAN reste un élément déterminant de sa sécurité, pour le meilleur comme pour le pire, mais c'est ainsi. Donc je ne pense pas qu'il faille imaginer un seul instant que la Turquie partira de l'OTAN en tout cas dans le moyen-terme.»

Et bien entendu, empêcher à tout prix la formation d'un État kurde, ce qui amènerait à la sécession d'une partie de son territoire…

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