Derrière les élections, le spectre des «réformes» Macron

© AFP 2024 Christophe EnaMacron
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Le premier tour des élections législatives annonce une large majorité au Président et à son parti La République en Marche. Si ce résultat se confirme, Emmanuel Macron pourra mettre en œuvre sa politique.

Diverses fuites concernant les réformes sociales qui pourraient être décidées cet été commencent à soulever une légitime émotion. En effet, outre la méthode utilisée — les ordonnances — c'est bien le contenu de ces réformes qui pose aujourd'hui problème. Mais, ces réformes ne peuvent qu'être cohérentes avec les choix européens, et mêmes européistes, du Président. En fait, ce qu'il y a en surplomb au-dessus de ces réformes, c'est bien tant la question de l'Union européenne que celle de l'Euro. D'ailleurs, une partie de ces réformes n'est que la transposition en France de recommandations de l'Union européenne. Les adversaires du président Macron et de son parti seront confrontés rapidement à une réelle question de cohérence. Soit ils acceptent les présupposés du Président, et ils seront en difficultés pour contester ces futures réformes, soit ils s'opposeront de manière cohérente et conséquente aux prémices de ces dernières, et ils pourront, alors, articuler une véritable critique du programme social d'Emmanuel Macron.

Les réformes qui viennent

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Ces réformes, quelles sont-elles  ? Le point principal en est certainement l'abandon des règles nationales, voire des règles de branches dans un certain nombre d'activité, pour donner la priorité aux accords d'entreprises. Ces accords d'entreprises pourraient décider des motifs de licenciements, du niveau des salaires, du temps de travail ( et donc des heures supplémentaires  ) ou encore laisser le choix à l'entreprise d'user des CDD. De fait, cela aboutirait à créer une Code du Travail «  à la carte  » pour l'employeur. Par ailleurs, les indemnités de licenciements seraient plafonnées. De même, une grande réforme de l'assurance chômage est prévue conduisant à une couverture dite «  universelle  ». Mais, c'est une réforme qui, pour l'OFCE, aboutira dans les faits à baisser les indemnités chômage. Cette diminution pourrait ainsi potentiellement concerner de 20% à 50% des demandeurs d'emplois, son ampleur dépendant alors des paramètres retenus, paramètres qui ne sont pas encore fixés. Enfin, le gouvernement prévoit de supprimer une partie des cotisations sociales ( ce qui augmenterait techniquement les salaires  ) en recourant à une augmentation importante de la CSG, augmentation qui est évaluée aujourd'hui à environ 21 milliards d'Euros, soit 1  % du PIB, et qui serait payée par les retraités au-dessus de 1200 euros de pension de retraite.

Si la procédure des ordonnances est utilisée, alors ces réformes pourraient être adoptées dès le mois de septembre 2017. Ces réformes, on peut le constater à travers les projets qui ont «  fuité  » depuis ces derniers jours, aggravent considérablement la déjà très néfaste loi «  Travail  » dite aussi Loi El-Khomri.

Des réformes qui ne règleront rien

La fragilisation de la position des salariés provenant de l'émiettement des négociations entreprises par entreprises aura des implications importantes sur les conditions de travail. Or ces dernières se sont déjà dégradées depuis ces dernières années. La possibilité pour les entreprises de déterminer dans les faits la durée légale du travail entrainera une baisse des heures supplémentaires, qui — à son tour — entrainera une perte de salaire pour les employés. La possibilité pour les entreprises de fixer les motifs de licenciements et le plafonnement des indemnités en cas de licenciement abusif vont donner aux entreprises la possibilité d'exercer un chantage et à la baisse des salaires ( compte tenu de l'existence d'une important volant de chômeurs  ) et à la dégradation des conditions de travail.

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Ces mesures, qui seront évidemment profitables pour les entreprises et leurs actionnaires, se traduiront par une compression de la demande solvable en France. Or, la demande solvable est aussi comprimée chez nos voisins, de l'Allemagne à l'Espagne, en passant par l'Italie et le Portugal. Si les profits des entreprises vont profiter de ces réformes, le niveau général d'activité va quant à lui décliner. En effet, le volume de production dépend des anticipations quant à la demande, et de leur mouvement soit à la hausse, soit à la baisse. Si les entreprises anticipent une stagnation, voire une contraction de cette demande, elles utiliseront les moyens crées par ces réformes pour licencier encore un peu plus. Ce que va provoquer cette vague de réformes que le gouvernement et le Président entendent rapidement mettre en œuvre, ce sera donc une hausse des profits, une baisse de la demande entraînant de nouveaux licenciements qui, à leur tour feront baisser la demande, entraînant encore plus de licenciements. Le gouvernement, confronté à cette situation, proposera certainement des nouvelles réformes, aggravant encore plus la situation, au début de 2019…

Derrière ces réformes, l'ombre de l'Euro et de l'Union européenne

Il n'en reste pas moins qu'en apparence, ces réformes ont une justification. Les écarts de salaire minimum au sein de l'Union européenne sont énormes  (1): de 9 à 1 entre la France et la Roumanie et la Bulgarie, de 3,5 à 1 entre la France et la Pologne, la Hongrie, la République Tchèque et la Slovaquie, de 2 à 2,5 pour 1 par rapport à l'Espagne, au Portugal  ; Le salaire minimum français est supérieur de 10  % au niveau de celui du Royaume-Uni et de l'Allemagne mais de plus ces derniers pays ont des dispositions qui permettent aux entreprises, sous certaines conditions, d'embaucher sous le plafond légal. Et ceci ne concerne que les pays qui ont une loi fixant un salaire minimum, ce qui n'est pas le cas de l'Italie et de la Finlande. Bien entendu, le fait que la productivité du travail soit particulièrement élevée en France compense, en partie, ces écarts. Mais en partie seulement. Aves le «  marché unique  », mais aussi la liberté totale des capitaux, les grandes entreprises peuvent développer dans les pays où le coût du travail est très bas des usines dont la productivité se rapproche rapidement de celle des usines en France. Dès lors, une première constatation s'impose  : le «  marché unique  », qui est l'un des piliers de l'Union européenne, produit une logique de course au «  moins disant/moins coûtant  » qui se propage dans l'ensemble de l'UE. Si les entreprises bénéficient de cette course, les salariés sont bien entendu les premiers perdants.

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La logique du «  marché unique  » aurait cependant pu être compensée par des mouvements de taux de change, produisant une réévaluation des pays où les coûts sont bas, et une dépréciation des monnaies des pays où les coûts (corrigés par la productivité) sont hauts. Mais, un tel mécanisme ne peut exister à partir du moment où existe la «  monnaie unique  », c'est à dire l'Euro. L'Euro interdit toute modification des taux de changes. Par ailleurs, les taux d'inflation sont assez différents entre les pays de la zone Euro ( l'Union Economique et Monétaire  ). De ce fait, on constate, de plus, que l'Euro à conduit à l'existence d'un écart de 20  % à 25  % entre l'Allemagne ( qui est la grande bénéficiaire de l'Euro  ) et la France ou l'Italie.

Le résultat est là  : quand on ne peut pas jouer sur le taux de change pour corriger des déséquilibres importants il ne reste plus qu'à faire baisser les salaires. Telle est la logique, à peine cachée, des réformes que proposent Emmanuel Macron et son Premier-ministre Edouard Philippe.


1. Je cite ici des chiffres d'Eurostat en salaire brut.

 

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