Quelle sera la future politique extérieure française? La question fait débat, non seulement depuis l'élection d'Emmanuel Macron et sa ligne pro-européenne pleinement assumée, mais également depuis l'annonce du premier gouvernement d'Édouard Philippe, dans lequel certains changements ont frappé les esprits. Des changements qui indiquent clairement une réorientation — sur l'Europe — de la politique étrangère française.
Autre point marquant, malgré la réorientation sémantique de ce ministère clef, la création d'un ministère spécialement dédié aux « Affaires européennes », tenu par l'eurodéputée centriste Marielle de Sarnez. Une nouvelle organisation qui laisse présager un travail en tandem des deux ministres. Emmanuel Dupuy, évoque même un trio avec Sylvie Goulard, une autre eurodéputée MoDem, qui remplace Jean-Yves le Drian à l'hôtel de Brienne.
« On voit bien que les députés européens ont pris une place très importante dans ce gouvernement, en l'occurrence deux députées européennes se trouvent à des postes majeurs. »
Sylvie Goulard devient ainsi la deuxième femme à prendre ses quartiers rue Saint-Dominique en tant que ministre « des armées » et non plus « de la Défense », là encore tout un symbole. Paradoxalement, beaucoup perçoivent dans cet intitulé un retour au régalien. Cependant, Sylvie Goulard est avant tout une Européenne convaincue, élue en 2009, réélue en 2014, elle est l'auteur de plusieurs ouvrages sur l'intégration européenne, dont un, « De la démocratie en Europe » (Flammarion, 2012), co-écrit avec Mario Monti, ancien Président du conseil des ministres italien et ancien commissaire européen. S'inspirant « De la Démocratie en Amérique » de Tocqueville, les deux auteurs proposent différentes pistes pour conduire l'Europe vers une union politique fédérale.
Par ailleurs, dans sa déclaration à la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP), elle mentionne son activité de consultante « pour la promotion de l'idée européenne » auprès du Berggruen Institute, think tank éponyme du magnat américain de l'immobilier.
« Sylvie Goulard est une très fine connaisseuse des questions européennes. Donc il me semble que l'objectif des questions européennes d'une part et des affaires allemandes de l'autre — car c'est grâce à elle et en sa présence qu'Emmanuel Macron a eu sa première réunion avec Angela Merkel — que la question de la relance de la défense européenne, certains pourraient même dire le début d'une concrétisation d'une plus forte harmonisation au niveau capacitaire, industriel et diplomatique de défense, sera l'un des objectifs qu'elle va suivre. »
Une connaissance approfondie des questions européennes qui contraste cependant avec son expérience dans le domaine de la défense, une page sur laquelle « tout reste à écrire » comme le relevait sur le plateau de BFMTV Jean-Jérôme Bertolus, journaliste à l'Opinion, peu après le premier conseil des ministres.
Un statut de novice qui interpelle plus d'un observateur depuis sa nomination à ce poste ministériel réputé difficile et même éprouvant, contrastant avec un Jean-Yves le Drian qui non seulement s'était préparé à ce poste, mais qui a également placé la barre particulièrement haute en matière de résultats. Une nomination qui dérange d'autant plus qu'Emmanuel Macron avait annoncé que seules les compétences guideraient la formation du nouveau gouvernement. Cependant, c'est très certainement cette expertise, sur les questions européennes, que le nouveau président recherchait chez Sylvie Goulard.
En effet, depuis le sommet de Varsovie, en 2016, la France participe au déploiement de 4 bataillons de l'Alliance dans les pays baltes et en Pologne au titre des mesures dites de « réassurance ». Paris s'est ainsi engagé à déployer dès 2017 en Estonie et à partir de 2018 en Lituanie une unité blindée interarmes de 300 hommes, comptant 17 véhicules blindés de combat et 5 chars Leclerc. Sans oublier les chasseurs Mirage 2000-5 participant à la mission de police du ciel et d'assistance aux pays balte (Baltic Air Policing 2016), ce qui pose irrémédiablement la question du positionnement français vis-à-vis de la Russie.
« Jusqu'à preuve du contraire, je ne crois pas que Sylvie Goulard soit une spécialiste de l'OTAN, je ne crois pas que ce soit une spécialiste de la Russie non plus. Mais en tant que députée européenne, elle aura forcément comme premier objectif, comme premier défi, d'assurer une vision française à l'occasion du prochain sommet de l'OTAN de Bruxelles dans lequel la position française est attendue, car c'est la première fois que se trouveront dans la même salle le président américain et le président français », explique Emmanuel Dupuy.
Un point d'autant plus important qu'en Europe de l'Est, les va-t-en-guerre semblent se faire plus pressants depuis le changement d'exécutif. La voix de la France, première puissance militaire européenne et unique puissance nucléaire de l'Union après la sortie définitive de l'UE du Royaume-Uni, est donc attendue.
Celui-ci invite le président français à faire de l'Europe de l'Est sa priorité et rompre avec le schéma d'une « France traditionnellement prête à se contenter d'un statu quo en Europe de l'Est, tandis qu'elle s'engage activement au Moyen-Orient et au Maghreb. » Anders Fogh Rasmussen exhorte aussi le nouveau président à renforcer les sanctions contre la Russie « dès juin, lorsqu'il assistera à son premier sommet européen. » L'ex-Secrétaire général de l'OTAN espère également voir le Royaume-Uni et les États-Unis invités dans à la table des négociations du format Normandie afin d'y ajouter « leur poids politique » et ainsi de « mettre fin à un statu quo qui met en danger le futur de l'Ukraine et de l'Europe. »
Reste donc à savoir quelle ligne suivront Emmanuel Macron et son gouvernement.
Quant à Sylvie Goulard, le quinquennat commence pour elle sur les chapeaux de roue, la nouvelle ministre des Armées est en effet attendue dès ce soir au Mali, après un premier conseil de Défense cet après-midi, dans la foulée du premier conseil des ministres de ce matin.