Le nouveau dirigeant sud-coréen Moon Jae-in, ancien avocat et vétéran du mouvement démocrate, a pris officiellement ses fonctions présidentielles mercredi. L'élection du nouveau chef de l'État en Corée du Sud s'est déroulée sur fond d'aggravation sans précédent des relations avec la Corée du Nord et de menaces des États-Unis d'employer la force pour régler les problèmes nucléaire et balistique de Pyongyang. Moon Jae-in promet de tout faire pour maintenir la paix sur la péninsule coréenne. Il a déjà déclaré qu'il était prêt à se rendre à Washington, à Pékin, à Tokyo et, "si les conditions le permettaient", à visiter Pyongyang.
Selon le professeur Alexandre Latkine, directeur de l'Institut russe de commerce international et d'économie, il est difficile de croire que des "sursauts" en matière de relations économiques pourraient avoir lieu dans des pays aussi développés.
"La Corée du Sud a des relations fortes et durables avec la Russie, notamment avec les régions d'Extrême-Orient. On ne peut pas simplement les briser. J'étudie le thème sud-coréen depuis 25 ans déjà, et pendant tout ce temps les Coréens ont cherché à participer ou ont intégré le monde des affaires en Primorié. De nombreux projets ont été couronnés de succès: l'hôtel Hyundai à Vladivostok, par exemple. Les Coréens proposent constamment de nouveaux projets. Les vols sont devenus réguliers, et spécialement pour nos affaires les Coréens organisent des escales dans les aéroports. Aujourd'hui trois vols par jour relient Vladivostok à Séoul, ainsi qu'un ferry", explique Alexandre Latkine.
"Tous ces facteurs ne permettent pas de prédire une détérioration des relations économiques entre le Primorié et la Corée. Leurs plans de coopération s'élargissent. Le facteur nord-coréen joue évidemment un rôle dans l'économie de notre région car de nombreux ouvriers viennent de Corée du Nord", ajoute le professeur.
A présent, l'avenir des relations entre le Primorié et la Corée du Sud dépendront, entre autres, des efforts des autorités.
"Le nouveau président pourrait remettre en question le succès des projets envisagés par l'ancienne administration avec les autorités russes et le Primorié mais ce serait lié à la mauvaise situation économique dans notre pays, qui est un facteur important pour les Coréens. Les décisions concernant les projets communs pourraient également être affectées par l'élection présidentielle en Russie car nos partenaires coréens pourraient vouloir attendre les résultats. En outre, ils pourraient douter de nos capacités (régionales) et de l'infrastructure frontalière. Ils sont prudents", indique Alexandre Latkine.
Inutile d'avoir trop d'attentes
"Je pense que dans l'ensemble, pour la Russie, l'élection de Moon Jae-in en Corée du Sud est un facteur positif. Avec l'ancienne présidente — ce n'est pas un secret — les relations entre la Corée du Sud et la Russie étaient gelées. Elles ne se développaient pas pour différentes raisons, malgré au moins deux rencontres entre Poutine et Park Geun-hye", remarque Artem Loukine, professeur adjoint de la chaire des relations internationales de l'université fédérale d'Extrême-Orient.
D'après lui la Russie n'était pas une priorité pour Park Guen-hye, notamment à l'approche de la fin de son mandat.
"Même si formellement la Corée du Sud n'a pas adhéré aux sanctions contre Moscou, de facto les entreprises sud-coréennes ont minimisé leurs contacts avec la Russie. Autre point important: c'est à l'époque de Park Geun-hye qu'ont été enterrées les perspectives de projets trilatéraux avec la participation de la Russie, de la Corée du Nord et de la Corée du Sud. Cela concerne par exemple la voie ferrée coréenne et sa connexion au Transsibérien, le gazoduc transcoréen, le projet Rason-Khassan auquel devaient participer des compagnies sud-coréennes… La Corée en est sortie l'an dernier", explique Artem Loukine.
Selon l'expert, le nouveau président sud-coréen évoque la nécessité d'un dialogue avec la Corée du Nord, avec une composante économique.
"Il accorde beaucoup d'attention au développement de la coopération économique avec la Corée du Nord, et notamment à la connexion avec la Russie. Avec l'arrivée de Moon Jae-in s'ouvrent des perspectives de projets économiques trilatéraux sur la péninsule coréenne. Moon Jae-in prône le passage du conflit avec la Corée du Nord sur le plan diplomatique. C'est également ce que prône la Russie", indique Artem Loukine.
"Nous faisons partie des quatre plus importants partenaires de la Corée. C'est également très positif. Malgré tout l'optimisme que peut susciter l'élection de Moon Jae-in il ne faut pas nourrir trop d'attentes car le président dispose d'une marge de manœuvre limitée. Il existe des restrictions objectives", ajoute Artem Loukine.
Un pas vers la paix sur la péninsule coréenne
Iouri Avdeev, directeur de l'institut de géographie du Pacifique du district d'Extrême-Orient affilié à l'Académie des sciences de Russie, voit avec optimisme l'avenir des relations entre le Primorié et la Corée du Sud après l'élection de Moon Jae-in.
"Le nouveau président est un homme déterminé, et dans ce sens on peut s'attendre à l'approfondissement des relations entre notre région et la Corée du Sud. Le nouveau président connaît bien la situation en Corée du Nord, et sa déclaration concernant une éventuelle visite à Pyongyang est très sérieuse: elle laisse espérer l'établissement d'un dialogue entre les deux pays. C'est pourquoi je vois la situation avec optimisme: si la situation sur la péninsule coréenne s'améliorait, tout irait bien chez nous car les conflits et les menaces potentielles diminueraient", analyse Iouri Avdeev.
Selon lui, pour le Primorié il est important de régler la question relative de la main d'œuvre en provenance de Corée du Nord. Elle pourrait l'être en cas de normalisation des relations entre la Corée du Nord et la Corée du Sud.
"Aujourd'hui il existe des obstacles intérieurs précisément en Corée du Nord. 4 000 citoyens nord-coréens travaillent en Primorié tout au plus, alors que le potentiel ouvrier de ce pays est immense: environ 2 millions de personnes. En présence d'un potentiel d'investissement en Primorié, il serait possible de faire appel à cette force de travail à condition que les relations entre les deux Corées évoluent", note l'expert.
Iouri Avdeev ajoute également que les accords conclus précédemment entre la Corée du Sud et la Russie sur les investissements dans les projets en Extrême-Orient restent en vigueur. "Et la coopération pourrait même s'élargir. Les intentions d'investissement apaisent les tensions potentielles. Plus nous ferons ensemble, moins il y aura de tension", estime-t-il.
De plus, le flux touristique en provenance de Corée du Sud ne cesse de croître dans la région: au premier trimestre de l'année le Primorié avait été visité par près de 10 000 Sud-Coréens, soit une hausse de 70%. Dans la même période, le nombre de voyageurs entre Vladivostok et les aéroports sud-coréens a augmenté de 25%, et cette année on attend une hausse globale supérieure à 30%. Le 2 mai a été rétablie la ligne de croisière Corée du Sud-Russie-Japon avec un port d'attache à Sokcho. Au total, au cours de l'année, la Corée du Sud organise l'escale de 12 bateaux de croisière à Vladivostok.
Pendant le 7e forum russo-coréen d'Extrême-Orient qui s'est tenu en avril à Vladivostok, des représentants sud-coréens ont déclaré qu'ils voyaient des perspectives dans le développement de la coopération dans le domaine de la transformation du poisson et de l'infrastructure portuaire.