Les candidats ont-ils choisi leurs médias? Un appel lancé contre le Front national qui « choisit les médias autorisés à suivre Marine Le Pen » a été signé par une trentaine de sociétés de journalistes. La veille, le mouvement En Marche!, qui fermait la porte de ses meetings à Sputnik et RT pour d'obscurs raisons de « liste », a avoué les mettre volontairement à l'écart, considérant ces entités non pas comme « un organe de presse ni comme un média, mais réellement comme une agence de propagande d'État ».
« Ce n'est pas que le FN, c'est l'ensemble des partis politiques qui font ça », déclare Vincent Christian, délégué syndical CFDT pour La Voix du Nord, un des rares journalistes à avoir répondu à nos sollicitations, bien que n'appréciant pas « les méthodes déontologiques » de Sputnik. Depuis les révélations du Canard enchaîné sur l'emploi présumé fictif de Penelope Fillon, le candidat de la droite éliminé au premier tour avait multiplié les attaques contre les médias, accusés de vouloir le « lyncher ».
Jean-Luc Mélenchon s'en était également pris verbalement aux journalistes durant sa campagne. Mais la palme revient sans doute au Front national: « Malheureusement, le Front national est depuis très longtemps l'ennemi des journalistes. Le syndicat des journalistes a eu à le déplorer à de multiples reprises. Il les agresse, il les insulte, il les menace, il les empêche de travailler. C'est désastreux et choquant, d'autant plus que la présidente de ce parti se présente à la candidature suprême », déplore Dominique Pradalié.
Contacté par Sputnik, le Front national n'a pas souhaité réagir. Tout comme la plupart des signataires, y compris son instigateur Paul Benkimoun, journaliste et président de la société des rédacteurs du Monde, qui n'a pas donné suite.
« Il n'appartient pas à une formation politique de décider des médias habilités à exercer leur rôle démocratique dans notre société », reprochent les journalistes dans leur pétition. Pourtant, la même conduite caractérise l'équipe de campagne d'Emmanuel Macron qui choisit aussi « ses » journalistes: Sputnik et RT n'ont pas pu être accrédités à la soirée électorale du premier tour.
« Je ne suis pas plus choquée par l'un ou par l'autre, je suis choquée par que le fait que les mecs nous interdisent de faire des images et nous fournissent des images, quels qu'ils soient », poursuit Vincent Christian, qui se dit aussi « choqué par des pratiques journalistiques qui ne vont pas au fond des choses ». On aurait le droit de refuser des pratiques déontologies, « cela ne me choquerai pas qu'on refuse des gens de Minutes ». « Je n'admets pas qu'on interdise l'accès, qu'on nous interdise de faire notre métier. Mais je dis aussi, regardons nos pratiques », taclant au passage « Sputnik, RT ou toutes chaînes étrangères un peu particulière », qu'il ne considère pas non plus comme des chaînes d'information.
Anormal, mais pas impossible: « En France, l'exercice du métier de journaliste est libre. Contrairement à d'autres pays, il n'y a pas d'accréditation générale par les services de l'État pour couvrir la campagne électorale. Chaque candidat gère donc ses relations avec la presse comme il l'entend », fait savoir le ministère des Affaires étrangères et du Développement international.
Les pressions envers les journalistes durant la présidentielle « ont été croissantes, indues et choquantes », constate Dominique Pradalié, qui ne voit « aucune raison au monde pour qu'il [le FN] soit plus souple ». Quant au mouvement En Marche!, qui ne décroche plus, impossible de savoir s'il continuera à faire perdurer des pratiques qu'il condamne.