Nuit de malheur: retour sur l’accident de Tchernobyl il y a 31 ans

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Les dosimètres étaient dans le rouge. Le nuage de l'explosion s'élevait à un kilomètre dans le ciel, des dizaines de tonnes de combustible nucléaire et de graphite se répandaient autour de la centrale nucléaire. Ainsi a commencé l'immense catastrophe.

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Tchernobyl, 30 ans après
Dans le domaine de l'énergie nucléaire, l'URSS a fait figure de pionnier. Sa première centrale nucléaire a été mise en service à Obninsk en 1954 et, dès lors, de nouvelles ont régulièrement été construites à travers le pays. A la fin des années 1970 une nouvelle centrale a été construite au bord de la rivière Pripiat près de la ville de Tchernobyl. A partir de zéro sont arrivées 50 000 personnes, une ville soignée et propre à la campagne, ainsi que la centrale. Ces infrastructures nucléaires étaient très populaires et étaient considérées comme le moyen le plus simple, efficace et sûr pour obtenir une importante quantité d'énergie.

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La zone active du réacteur est constituée d'un cylindre rempli de combustible nucléaire et de graphite de 7 m de haut. Une réaction nucléaire se déroule en permanence dans la zone active, qui chauffe les cartouches de combustible. Des pompes circulaires spéciales alimentent constamment la zone active en eau, où elle bout pour se transformer en vapeur. Cette dernière est acheminée sous pression dans les turbines du générateur, qui transforme l'énergie obtenue en électricité. Après le générateur, la vapeur arrive dans le condensateur pour refroidir, avant de se transformer à nouveau en eau pour alimenter la zone active.

211 barres spéciales absorbant les neutrons étaient utilisées à Tchernobyl pour réguler la puissance du réacteur. Elles se déplaçaient via des canaux spéciaux par la zone active — plus elles sont profondes et moins le réacteur est puissant, c'est-à-dire qu'en immergeant toutes les barres dans la zone active, le réacteur s'arrête, et qu'en les retirant toutes il accélère de manière incontrôlable. Au moins 30 barres se trouvaient en permanence dans la zone active pour la sécurité du réacteur de Tchernobyl — un système très efficace et fiable si les règles de sécurité sont respectées.

Une expérience qui a tourné à la catastrophe

Une expérience était prévue le 25 avril 1986 sur le quatrième réacteur de la centrale. Les opérateurs avaient l'intention de débrancher les équipements, notamment les pompes alimentant la zone active du réacteur en eau, pour vérifier pendant combien de temps la turbine continuerait de produire par inertie l'énergie suffisante pour acheminer l'eau. Le but était de calculer le temps dont disposeraient les opérateurs pour brancher des sources de courant auxiliaires. Pour ces essais il fallait débrancher une grande partie des systèmes automatiques de la centrale, y compris le système de pompes d'urgence pour le refroidissement.

A minuit, le 26 avril, les principaux acteurs du drame ont pris leur service — le chef de permanence Alexandre Akimov, l'ingénieur Leonid Toptounov et l'ingénieur responsable de l'expérience Anatoli Diatlov. Les opérateurs prévoyaient de lancer l'expérience à 1 heure du matin. Mais un premier imprévu s'est produit à minuit et demi. A cause du débranchement du système de contrôle automatique, l'opérateur n'a pas réussi à diminuer progressivement la puissance du réacteur, qui a chuté bien plus vite que prévu. Cela a entraîné l'"intoxication" du réacteur par les produits de décomposition — xénon et iode — rendant impossible tout regain de puissance. Les opérateurs ont alors pris une décision discutable: ils ont commencé à retirer de la zone active les barres absorbantes de sécurité qui retenaient l'augmentation de la puissance du réacteur. Diatlov a ordonné de mener l'expérience mais le réacteur était déjà lancé dans un cycle autonome: il fallait brancher au plus vite le système de refroidissement d'urgence.

La pression a alors bondi dans le système d'eau du réacteur. A ce moment, les pompes ont baissé en régime et l'apport d'eau dans la zone active a chuté. Le réacteur s'est réchauffé et il n'y avait plus aucune barre de sécurité dans la zone active. La centrale de Tchernobyl était alors déjà entre la vie et la mort.

La zone active a commencé à chauffer de manière incontrôlée. Les opérateurs ont tenté d'y introduire toutes les barres à la fois pour le bloquer mais elles se sont arrêtées, parcourant seulement 2 mètres au lieu de 7: les canaux technologiques commençaient à se désintégrer à cause de la surchauffe. Akimov a débranché les servocommandes en espérant que les barres tomberaient dans la zone active sous leur propre poids. Il ne pouvait plus rien faire d'autre: les opérateurs avaient déjà bloqué eux-mêmes tous les systèmes qui auraient pu contribuer au refroidissement d'urgence du réacteur.

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Selon l'une des versions, cette décision fut fatale. Les extrémités de graphite des barres ne ralentissaient pas mais accéléraient la réaction. Dans l'idée, cet effet s'annulait immédiatement en atteignant le corps principal de la barre, mais l'introduction des 211 extrémités de graphite à la fois n'a fait que provoquer une augmentation rapide de la pression. Les barres étaient bloquées dans les canaux technologiques. La réaction en chaîne s'est accélérée rapidement. Un sursaut de pression de 15 bars en une seconde a provoqué la fermeture des valves des pompes. L'alimentation en eau du réacteur a cessé. Puis le système d'eau du réacteur a explosé de l'intérieur. Les réactions chimiques à l'intérieur de la zone active ont créé un mélange très dangereux qui a explosé en seulement 18 secondes.

Les bobines de séparation de 130 tonnes ont chuté de leur support et le couvercle de 500 tonnes du réacteur s'est décollé. Le combustible nucléaire a alors commencé à se répandre dans l'atmosphère, tandis que le graphite s'est éparpillé dans la centrale avant de brûler.

La zone du sinistre

Les premiers pompiers sont arrivés à la centrale nucléaire de Tchernobyl à 1 heure et demie du matin. Dans la nuit, on pouvait voir des flammes bleues se dégager des décombres du quatrième réacteur. Protégés par de simples vestes anti-feu, les pompiers ont grimpé sur ce qui restait du toit de la centrale, ont réussi à localiser l'incendie et à empêcher les flammes de se propager dans toute la centrale.

Pendant qu'on arrêtait le troisième réacteur, les sauveteurs montés sur le quatrième réacteur ont commencé à tomber sous l'effet du mal des radiations. Les corps des premiers pompiers ont été presque entièrement carbonisés. Le mal des radiations tue lentement et douloureusement: de nombreux pompiers sont morts dans les trois semaines qui ont suivi. Les premières victimes furent les lieutenants Vladimir Pravik et Viktor Kibenok. Ils avaient 23 ans. Selon leur médecin traitant, "ils avaient besoin d'une greffe d'un nouveau corps, il ne restait plus rien de l'ancien".

L'évacuation de Pripiat et de la zone dans un rayon de 30 km a commencé le 27 avril. 1 225 bus et 360 camions ont été envoyés pour évacuer les habitants. Les autorités avaient ordonné à tous de laisser leurs affaires à la maison car le mobilier avait absorbé les radiations — d'autant qu'il fallait évacuer 100 000 personnes à la fois et que le transport n'aurait pas supporté un tel chargement.

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Le matériel pour faire face aux conséquences de l'accident a été rassemblé à travers le pays. L'aviation arrosait la centrale avec un mélange de carbure de bore pour absorber les neutrons, de dolomie pour absorber l'énergie thermique, ainsi que de sable et d'argile pour freiner la propagation de particules radioactives.

Les militaires ont constitué la main d'œuvre principale. Dotés de moyens de protection très rudimentaires, ils ont réalisé un travail titanesque: il a fallu cacher sous un sarcophage de béton le réacteur détruit, mettre en place un système de drainage sur la rivière, ainsi que désactiver Pripiat et les environs. Il fallait également isoler la station sous le sol pour éviter la fuite de produits radioactifs dans la terre, puis dans la rivière Pripiat et le fleuve Dniepr.

Beaucoup ont continué de sacrifier leur santé en travaillant autour de la centrale. Mais en sept mois le plus important a pu être fait: les produits toxiques avaient cessé de se répandre au-delà d'une vaste aire géographique, qui était toutefois peu peuplée. Un sarcophage a recouvert le réacteur détruit.

Bien que pratiquement tout le monde ait quitté la zone de Tchernobyl, elle n'est jamais restée vide. En l'absence de l'homme, la faune et la flore ont prospéré dans la zone. Dès la première année, des souris se sont multipliées à une échelle incroyable autour de Pripiat. Les rongeurs festoyaient sur les champs de céréales abandonnés. D'immenses silures se sont installés dans le lac qui servait à refroidir le réacteur. A des fins scientifiques, plusieurs espèces animales ont été transportées dans la zone de la centrale, y compris celles qui n'avaient jamais vécu dans cette région.

La zone de Tchernobyl s'est transformée en réserve. Elle a été repeuplée par des lynx, des ours, et même des chevaux de Przewalski amenés à cet endroit dans le cadre d'expériences.

Officiellement, parmi les humains, seuls les employés de la zone d'exclusion sont restés. Plusieurs résidents "illégaux", essentiellement ceux qui sont revenus, vivent également dans les forêts dans la zone de la catastrophe. Sur les 70 à 100 000 personnes évacuées, près de 1 200 sont revenues dans leur maison, suffisamment résistants pour ne pas mourir sous l'effet des radiations. Le plus souvent, ils entretiennent des potagers pour se nourrir. Les habitants de ce monde forestier se sont familiarisés avec la zone et ont découvert les endroits moins pollués que d'autres. Dans l'ensemble, ce sont déjà des personnes âgées.

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Après la catastrophe est venue l'heure de l'enquête. Les décisions prises par le personnel, la conception du réacteur, les événements de la nuit fatale du 26 avril — tout cela a fait l'objet de plusieurs examens officiels et de nombreuses études officieuses. Les conclusions sur la catastrophe ont été tirées et après une leçon aussi dure, l'humanité a pu changer son approche de la sécurité radioactive, de l'organisation du travail d'une centrale nucléaire, de la lutte contre les catastrophes anthropiques et du soin du mal des radiations. Malheureusement, à un prix très lourd.

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