Dans le cas contraire, les membres des Témoins de Jéhovah* pourraient être traduits en justice pour extrémisme en vertu du paragraphe 2 de l'article 282.2 du Code pénal russe "Participation à l'activité d'une association religieuse qui a été fermée ou interdite par la justice pour cause activité extrémiste". Ainsi, les adeptes des Témoins de Jéhovah* pourraient risquer de 2 à 6 ans de prison.
Pendant le procès, le ministère de la Justice a notamment accusé les Témoins de Jéhovah* de refuser les transfusions sanguines. Le ministère est également convaincu que l'activité des Témoins de Jéhovah* constitue une menace à la protection des droits et des intérêts de la société et à la sécurité publique. Les tribunaux russes ont reconnu comme extrémistes 95 brochures de l'organisation.
Le tabou du sang
L'histoire de Sergueï Podlojevitch n'est pas la seule à avoir été largement couverte par les médias. En 2010, les médecins avaient ainsi lutté au tribunal et sur la table d'opération pour la vie d'Ivan Orloukovitch, 10 ans, de Moscou. Il avait été renversé par une voiture et une transfusion sanguine était nécessaire mais la mère de l'enfant refusait absolument de donner son accord pour l'opération. Les médecins ont tout de même obtenu le droit de réaliser la transfusion mais, malheureusement, le temps si précieux était irréversiblement perdu.
"Je ne pense pas que ce soit la cause de la mort. Il a subi un sérieux traumatisme crânien. Il n'aurait probablement pas pu être sauvé", disait à l'époque Lioudmila Orloukovitch.
Cette interdiction des transfusions sanguines n'a pas toujours été en vigueur chez les Témoins de Jéhovah*. Elle a commencé à être condamnée en 1945 alors que 20 ans plus tôt, c'était l'inverse: la transfusion de sang était encouragée par la direction de l'organisation. C'est seulement en 1961 que le don du sang devient tabou et un adepte des Témoins de Jéhovah* risque d'être expulsé de la secte pour cela.
"Si un individu refuse une procédure médicale de son propre gré, c'est une chose. Mais si une organisation l'interdit (comme dans ce cas précis), c'en est une autre. La situation est d'autant plus grave quand il s'agit d'enfants car il est évident que c'est la secte qui fait le choix à sa place. Le prix à payer est la vie d'un enfant", explique Alexandre Dvorkine, président de l'Association russe des centres d'étude des religions et des sectes, membre du conseil d'experts pour l'expertise religieuse d'État auprès du ministère de la Justice.
L'objet de l'extrémisme
D'après l'expert, les Témoins de Jéhovah* ont aussi interdiction de voter et d'être élus. "De telles interdictions valent également pour le service militaire, pour la célébration de toutes les fêtes — publiques, personnelles, sociales ou religieuses — et le fait de saluer l'hymne et le drapeau de son pays", ajoute-t-il.
L'État, indique Alexandre Dvorkine, n'a pas le droit de définir comment croire en quelque chose, cela ne relève pas de ses compétences. Dans le cadre de cette décision de justice il n'est pas question d'une interdiction de croyance, comme le disent les adeptes de Jéhovah*, mais du statut religieux de l'organisation. "En d'autres termes, peut-il exister dans le pays une organisation qui de facto ne reconnaît pas l'ordre constitutionnel de l'État? Du moins, doit-elle bénéficier d'exonérations d'impôts?", s'interroge l'expert.
Pour sa part Roman Silantiev, membre du conseil d'experts pour l'expertise religieuse d'État auprès du ministère de la Justice, a noté que dans certains cas les adeptes de la secte non seulement ne votaient pas eux-mêmes "mais faisaient également du porte à porte pour dissuader les autres de voter le jour des élections". En outre, l'organisation, selon lui, est très agressive envers les représentants d'autres courants religieux.
"L'activité extrémiste peut être de deux types: dirigée vers l'intérieur et vers l'extérieur. Une organisation destructive peut brimer ses propres membres et les appeler à des actes hostiles envers d'autres individus. Les Témoins de Jéhovah* exercent les deux types d'activité", estime Roman Silantiev.
Le procès n'est pas terminé
"S'ils perdent au présidium de la Cour suprême, ils saisiront la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) où ils sont pratiquement sûrs de gagner car les motifs d'interdiction sont dérisoires", pense Alexandre Verkhovski, membre du Conseil présidentiel pour le développement de la société civile et les droits de l'homme, directeur du centre analytique d'information Sova.
Selon l'expert, l'interdiction a été décrétée par la Cour suprême car dans leurs textes et sermons, les Témoins de Jéhovah* affirment que leur foi est meilleure que toutes les autres, que c'est la seule à être juste et que les autres ne le sont pas. En le traduisant dans le langage de la législation russe il s'agit de la proclamation d'une suprématie religieuse — qui mène directement à la haine interreligieuse.
Toutefois, la CEDH pourrait être d'un autre avis, notamment quand on sait qu'il y a des précédents. De toute évidence les nouvelles en provenance des tribunaux sur le sort des Témoins de Jéhovah* en Russie secoueront pendant encore longtemps l'espace médiatique.
*Organisation extrémiste interdite en Russie