Hier soir se tenait le dernier grand rendez-vous de l'avant premier tour, les 11 candidats étaient conviés à répondre, durant 15 min chacun, aux questions de Léa Salamé et David Pujadas. Plus qu'un exercice pour des candidats au discours rodé — après plus d'un an de campagne pour certains — et dont le grand public connait dans les grandes lignes leurs programmes respectifs, cet évènement n'a-t-il pas finalement été l'occasion d'un dernier test pour les journalistes?
On remarquera, que certains thèmes ont été beaucoup plus sujets à des interruptions que d'autres, tout particulièrement les points de politique internationale ou tous ce qui pouvaient toucher de loin ou de près à l'Euro (économie) et l'Union européenne (sécurité, immigrations).
Les principaux candidats n'ont pas réellement été inquiété, à commencer par Benoit Hamon, qui — peu contredit — est resté libre de développer sur le revenu universel, la mesure phare de son programme. A la dernière question, il s'en prend à François Fillon.
« Nous sommes à une époque où le spectacle a tellement pris le dessus sur la démocratie qu'on a des candidats qui veulent choisir leurs journalistes, choisir les questions que l'on pose, se soustraire au débat démocratique, moi je dis une chose très simple: ça c'est la Russie comme modèle, ce n'est pas mon modèle. »
Les choses se compliquent cependant pour les candidats dont les positions sont jugées moins « modérées », à commencer par Jean-Luc Mélenchon. Principalement interrogé sur son projet de nouvelle constitution, l'un des journalistes demande au candidat de la France insoumise concernant la décentralisation qu'il souhaite « Est-ce que c'est le moment d'avoir ça, lorsqu'on voit que dans le monde il y a Donald Trump, Vladimir Poutine, Recep Tayyip Erdogan? Est-ce qu'on peut prendre le risque d'un pouvoir qui ne soit pas fort? »
Pour Nicolas Dupont Aignan, les questions économiques sont particulièrement brèves, axées sur le conditionnement du versement du RSA à une journée de travail hebdomadaire, avant d'en venir à l'Europe et sa volonté de renégocier les traités. « […] Est-ce qu'on paie notre baguette en Euro ou en Franc? Soyez clair… » invective un premier journaliste, particulièrement insistant sur ce point, avant que le second n'ironise à la fin des explications données par le candidat « vous êtes le 6ème candidat [interviewé ce soir, ndlr.] et le 4ème qui souhaite de nouveaux traités européens, reste à savoir comment on convaincra nos partenaires européens… »
« Vous avez dit "si je suis au pouvoir je veux conforter Bachar al Assad", vous n'avez pas dit "je veux l'affaiblir", "je veux bien le tolérer" mais "je veux le conforter"! Est-ce que vous rediriez ça après l'attaque chimique des environs d'Idlib? »
Le doyen des candidats, Jacques Cheminade n'est pas épargné. Lui qui, pourtant, ne se voit pas au second tour. David Pujadas n'y va pas par quatre chemins lorsqu'il lui demande lors des questions économiques « êtes-vous de ceux qui pensent qu'une poignée d'hommes, des banquiers à Wall-Street ou ailleurs, dominent le monde? » ou encore, sur la thématique de la sécurité et du terrorisme « il y a six ans, vous avez fait part de vos doutes sur les attentats du 11 septembre que vous aviez qualifiés de "montages et de mensonges ". Est-ce que vous pensez toujours que les attentats du 11 septembre étaient un complot pour le dire clairement? » Lorsque Jacques Cheminade souligne le rôle trouble joué par l'Arabie Saoudite et le blanchiment d'argent de « Daech », le journaliste rajoute « on n'est pas un peu dans le complotisme? »
Interrogé sur l'espace, en guise de questions internationales, le candidat de Solidarité et progrès a le malheur de rappeler les autres points cardinaux de son programme, qu'il inscrit dans un même ensemble: la mer et le développement de l'Afrique, s'attirant quelques remarques « On est passé par l'Afrique en partant de la planète Mars, on a essayé de vous suivre… »
— L. Salamé: « Comment vous expliquez que l'Euro reste plébiscité majoritairement par les français? »
— F. Asselineau: « Mais ça c'est vous qui le dites, il n y a jamais eu de débat très approfondi sur la question… »
— L. Salamé: « Ce sont les sondages. »
— F. Asselineau: « vous savez les sondages… »
— L. Salamé « oui, la réponse est facile… »
Autre interrogation des journalistes, que l'on pourrait juger plus corporatiste: le rôle de « service public de l'information » que le candidat de l'UPR entend rendre à l'AFP, dénonçant au passage le manque d'impartialité des médias français. Lorsque la volonté du candidat de « débarrasser de tout dogmatisme » est évoquée, même recentrées sur la problématique de l'enseignement des évènements contemporains les questions, frôlent la réductio-ad-absurdum « Donc on ne parle pas de la constitution européenne dans les cours d'histoire? », « on s'arrête à 1975? » et finalement « Ce qui s'est passé récemment, la chute du mur de Berlin, le 11 septembre, on n'en parle pas? ».
Si les questions de politique internationale font également figures de douceurs pour Marine le Pen (l'accord sur les migrants passé entre l'UE et la Turquie), le tir est vite rattrapé « vous vous êtes réjoui de l'élection de Donald Trump, vous avez été l'une des rares dirigeantes politiques à parler de bonne nouvelle en novembre dernier, quand il a frappé il y a deux semaines l'armée de Bachar al Assad, est-ce qu'il vous a déçu? ».
Quant aux deux candidats trotskistes, Nathalie Artaud et Philippe Poutou, les journalistes s'intéresseront plus particulièrement à leurs programmes respectifs en matière de sécurité. Des questions à l'issue desquelles le candidat du NDA, interrogé sur sa proposition de désarmer les policiers, alors que la mort en service d'un Policier sur les Champs Elysée venait d'être annoncée… Il faut tout de même admettre qu'il est compréhensible, lorsque des candidats interrogés présentent par inadvertance ou de manière assumée certaines brèches, certaines incohérences, que les journalistes s'engouffrent dedans.