La veille, fatigués par la longue marche et les combats contre les fedayin et les unités irakiennes, les soldats américains avaient pris le contrôle de Bagdad. Partout dans la capitale, la foule détruisait les statues de Saddam Hussein et arrachait ses portraits. Cet État où Saddam était comme "dieu le père" s'est effondré et ceux qui, peu de temps avant, prêtaient encore allégeance éternelle au dictateur ont fait partie des premiers à démolir ses statues.
"A l'époque de Saddam la situation était meilleure qu'aujourd'hui, peut-on entendre dans un monologue qu'un correspondant du Financial Times a enregistré dans une rue de Bagdad l'an dernier. Que se passe-t-il aujourd'hui? Nous avons une crise économique et l'État islamique. Et au lieu d'un dirigeant corrompu, nous en avons des dizaines."
Beaucoup en Irak sont aujourd'hui nostalgiques de l'époque de Saddam Hussein. Il y a encore 14 ans, il était considéré comme un tyran féroce et aujourd'hui on dit avec regret que s'il était resté au pouvoir le pays n'aurait pas connu les horreurs d'une guerre civile. Parmi les Irakiens ordinaires, Saddam devient peu à peu l'incarnation d'un rêve d'une main ferme capable de mettre un terme au chaos. Et pour cause: quoi qu'on pense de lui il n'était pas un obèse à moustache commettant le mal pour le mal.
La famille et le parti
Saddam Hussein Abd al-Majid al-Tikriti est né en 1937 dans la famille d'un berger. Il a grandi avec son oncle, sunnite et vétéran de la guerre anglo-irakienne. C'est cet oncle qui a forgé son caractère et a expliqué au jeune Saddam à quel point il était important d'être attaché à la famille. Depuis, Saddam Hussein a tenu à s'entourer immuablement de proches qui lui assuraient la protection et le soutien nécessaires.
Les tortures et la récompense de l'Unesco
Mais la prison ou la pendaison attendaient ceux qui n'appréciaient pas la vie sous la main ferme de Saddam. De facto, il a dirigé individuellement l'Irak depuis le milieu des années 1970 et le coup d'Etat sans violence de 1979, quand il a fait démissionner le président al-Bakr, n'a fait que confirmer l'état des choses réel.
L'ami de tous
Tout allait également très bien en politique étrangère. Saddam Hussein a réussi à défaire le mouvement national kurde de libération en s'alliant avec l'Iran. Moscou comme Washington cherchaient à avoir de bonnes relations avec lui.
Le dictateur avait des relations particulières avec la France. En septembre 1975, Saddam Hussein a visité pour la première et la dernière fois ce pays occidental en se rendant à Paris pour rencontrer le premier ministre Jacques Chirac. Selon certaines informations, Hussein finançait les gaullistes tout en enrichissant les hommes proches de Chirac en échange de fournitures d'armes françaises et d'une aide pour le programme nucléaire irakien.
La chimie et la mort
L'année 1979 a été fatidique pour Saddam, quand les partisans de l'ayatollah Khomeini ont pris le pouvoir en Iran voisin. Craignant que la révolution déborde en Irak, Saddam a rompu l'accord avec Téhéran et a envahi la province du Khouzistan, la proclamant partie intégrante de l'Irak.
Saddam Hussein était convaincu que le régime des ayatollahs s'effondrerait rapidement mais il a eu tort. En revanche, il a été soutenu par les pays du Golfe qui craignaient tout autant que lui la propagation de la révolution islamique.
L'Irak a été rayé de la liste des pays sponsorisant le terrorisme. "Aucun de nous n'avait le moindre doute que Bagdad soutenait des terroristes, a admis par la suite le conseiller du secrétaire à la Défense américain Noel Koch. La seule raison pour laquelle nous l'avons fait est que nous voulions aider Hussein à vaincre l'Iran."
Cependant, les Irakiens ont échoué. Le régime de Téhéran s'est avéré plus solide que prévu, l'économie iranienne a tenu le coup. L'Irak est sorti de la guerre avec des centaines de milliers de pertes, des dettes colossales et une infrastructure pratiquement anéantie dans les régions pétrolifères riches à proximité de la ligne de front. Il a fallu chercher de l'argent pour tout reconstruire.
Argent facile
Hussein a trouvé l'argent dont il avait besoin au Koweït voisin, qui avait prêté à Bagdad 30 milliards de dollars au cours des dernières années. Mais quand Saddam a demandé d'annuler la dette le Koweït a refusé. Tout comme il n'a pas accepté de réduire sa production pétrolière. Bagdad a alors décidé que le Koweït n'était qu'une province irakienne isolée très riche en pétrole. Le 2 août 1990, Saddam a envahi ce pays pour soutenir de prétendus "révolutionnaires koweïtiens". Le "gouvernement provisoire du Koweït libre" a été formé le 4 août et quatre jours plus tard a été annoncé le rattachement du Koweït à l'Irak "pour prévenir la propagation des idées malsaines de la révolution islamique".
La tentative de Saddam Hussein de s'assurer au dernier moment le soutien du monde arabe — il proposait de sortir les troupes du Koweït en échange du départ d'Israël des territoires palestiniens et du plateau du Golan — a également échoué. L'armée irakienne a été défaite, le pays a perdu toutes ses réserves d'arme gazière et chimique, mais Hussein a réussi à garder son trône: à l'époque il semblait être un moindre mal que le chaos qui se serait instauré après son renversement.
Saddam-vainqueur
Immédiatement après la guerre, Saddam Hussein a réprimé sans état d'âme la rébellion des Kurdes et des chiites organisée avec l'argent et l'aide des USA. Tout le monde a fermé les yeux: la révolte était censée compliquer la situation du dirigeant et avait atteint son but.
A cette époque Saddam Hussein a soudainement commencé à devenir populaire parmi les nationalistes populistes arabes en tant que combattant pour la cause du monde islamique ayant réussi à faire face à la "coalition des croisés". D'année en année il ressemblait de moins en moins au dirigeant laïque d'autrefois: ses discours mentionnaient de plus en plus souvent l'islam, il visitait régulièrement la mosquée et l'inscription Allah Akbar est apparue sur le drapeau national. C'est à cette époque qu'a été écrit le fameux "Coran de sang" que le dirigeant irakien portait toujours sur lui. 27 litres de son propre sang ont été nécessaires pour écrire le livre.
Hussein a été retrouvé en décembre 2003 dans un abri près de Tikrit, et le 30 décembre 2006 il a été pendu en dépit de sa demande d'être fusillé. Le palais de Saddam a été pillé mais le Coran de sang est resté intact. On a longtemps réfléchi à son sort: il ne devait pas être conservé car il était écrit avec du sang, mais on ne pouvait pas non plus le détruire car c'est un Coran. Il est placé actuellement sous verrous dans une mosquée de Bagdad. Si on avait abordé le sort de Saddam Hussein de manière aussi précautionneuse en 2003, la guerre sanguinaire ne déchirerait certainement pas aujourd'hui le Moyen-Orient.
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