Les Irakiens commencent à regretter Saddam Hussein

© AFP 2024 SABAH ARARSaddam Hussein
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Le 10 avril 2003 l'Irak entrait dans une nouvelle ère.

La veille, fatigués par la longue marche et les combats contre les fedayin et les unités irakiennes, les soldats américains avaient pris le contrôle de Bagdad. Partout dans la capitale, la foule détruisait les statues de Saddam Hussein et arrachait ses portraits. Cet État où Saddam était comme "dieu le père" s'est effondré et ceux qui, peu de temps avant, prêtaient encore allégeance éternelle au dictateur ont fait partie des premiers à démolir ses statues.

"A l'époque de Saddam la situation était meilleure qu'aujourd'hui, peut-on entendre dans un monologue qu'un correspondant du Financial Times a enregistré dans une rue de Bagdad l'an dernier. Que se passe-t-il aujourd'hui? Nous avons une crise économique et l'État islamique. Et au lieu d'un dirigeant corrompu, nous en avons des dizaines."

Beaucoup en Irak sont aujourd'hui nostalgiques de l'époque de Saddam Hussein. Il y a encore 14 ans, il était considéré comme un tyran féroce et aujourd'hui on dit avec regret que s'il était resté au pouvoir le pays n'aurait pas connu les horreurs d'une guerre civile. Parmi les Irakiens ordinaires, Saddam devient peu à peu l'incarnation d'un rêve d'une main ferme capable de mettre un terme au chaos. Et pour cause: quoi qu'on pense de lui il n'était pas un obèse à moustache commettant le mal pour le mal.

La famille et le parti

Saddam Hussein Abd al-Majid al-Tikriti est né en 1937 dans la famille d'un berger. Il a grandi avec son oncle, sunnite et vétéran de la guerre anglo-irakienne. C'est cet oncle qui a forgé son caractère et a expliqué au jeune Saddam à quel point il était important d'être attaché à la famille. Depuis, Saddam Hussein a tenu à s'entourer immuablement de proches qui lui assuraient la protection et le soutien nécessaires.

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Ce n'est pourtant pas la famille qui a conduit Saddam au pouvoir, mais son parti. Le jeune Hussein a intégré le parti socialiste de la résurrection arabe (Baas), dont l'idéologie était un mélange de socialisme, de panarabisme et d'anti-impérialisme. Saddam Hussein a rapidement gravi les échelons, son autorité au sein du Baas s'est renforcée grâce à son courage et à son sang-froid, ainsi qu'à son grand talent de politicien. En 1968, après un coup d'État qui a conduit le parti Baas au pouvoir, Saddam Hussein est devenu vice-président — soit le numéro 2 du pays.

Les tortures et la récompense de l'Unesco

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Dans les années qui ont suivi, Saddam Hussein a gagné la réputation d'un politicien efficace et progressiste qui a réussi à rassembler un Irak divisé ethniquement, socialement et religieusement. Le gouvernement du Baas a réussi à instaurer la médecine et l'éducation gratuites, à allouer des subventions aux paysans, construire des routes et desservir tout le pays en électricité. La croissance de l'industrie et de l'économie était très forte. L'Irak prospérait. Le niveau de vie avait augmenté à tel point qu'en 1982, Saddam Hussein a reçu un prix spécial de l'Unesco.

Mais la prison ou la pendaison attendaient ceux qui n'appréciaient pas la vie sous la main ferme de Saddam. De facto, il a dirigé individuellement l'Irak depuis le milieu des années 1970 et le coup d'Etat sans violence de 1979, quand il a fait démissionner le président al-Bakr, n'a fait que confirmer l'état des choses réel.

L'ami de tous

Tout allait également très bien en politique étrangère. Saddam Hussein a réussi à défaire le mouvement national kurde de libération en s'alliant avec l'Iran. Moscou comme Washington cherchaient à avoir de bonnes relations avec lui.

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Les pays occidentaux le percevaient comme un dirigeant excentrique mais séculaire et disposé à une entente. Il entretenait activement cette réputation. En 1979-1980, il a alloué à une église chaldéenne de Détroit (USA) presque un demi-million de dollars, après quoi il a solennellement reçu les clefs de la ville.

Le dictateur avait des relations particulières avec la France. En septembre 1975, Saddam Hussein a visité pour la première et la dernière fois ce pays occidental en se rendant à Paris pour rencontrer le premier ministre Jacques Chirac. Selon certaines informations, Hussein finançait les gaullistes tout en enrichissant les hommes proches de Chirac en échange de fournitures d'armes françaises et d'une aide pour le programme nucléaire irakien.

La chimie et la mort

L'année 1979 a été fatidique pour Saddam, quand les partisans de l'ayatollah Khomeini ont pris le pouvoir en Iran voisin. Craignant que la révolution déborde en Irak, Saddam a rompu l'accord avec Téhéran et a envahi la province du Khouzistan, la proclamant partie intégrante de l'Irak.

Saddam Hussein était convaincu que le régime des ayatollahs s'effondrerait rapidement mais il a eu tort. En revanche, il a été soutenu par les pays du Golfe qui craignaient tout autant que lui la propagation de la révolution islamique.

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En 1984, les États-Unis se sont joints au soutien à Bagdad: Washington craignait que la victoire iranienne puisse déstabiliser toute la région. Le président Reagan a levé les restrictions sur le commerce avec l'Irak et le Pentagone transmettait aux Irakiens les photos satellites, tandis que les compagnies allemandes et américaines fournissaient des technologies à double usage pour produire des armes chimiques.

L'Irak a été rayé de la liste des pays sponsorisant le terrorisme. "Aucun de nous n'avait le moindre doute que Bagdad soutenait des terroristes, a admis par la suite le conseiller du secrétaire à la Défense américain Noel Koch. La seule raison pour laquelle nous l'avons fait est que nous voulions aider Hussein à vaincre l'Iran."

Cependant, les Irakiens ont échoué. Le régime de Téhéran s'est avéré plus solide que prévu, l'économie iranienne a tenu le coup. L'Irak est sorti de la guerre avec des centaines de milliers de pertes, des dettes colossales et une infrastructure pratiquement anéantie dans les régions pétrolifères riches à proximité de la ligne de front. Il a fallu chercher de l'argent pour tout reconstruire.

Argent facile

Hussein a trouvé l'argent dont il avait besoin au Koweït voisin, qui avait prêté à Bagdad 30 milliards de dollars au cours des dernières années. Mais quand Saddam a demandé d'annuler la dette le Koweït a refusé. Tout comme il n'a pas accepté de réduire sa production pétrolière. Bagdad a alors décidé que le Koweït n'était qu'une province irakienne isolée très riche en pétrole. Le 2 août 1990, Saddam a envahi ce pays pour soutenir de prétendus "révolutionnaires koweïtiens". Le "gouvernement provisoire du Koweït libre" a été formé le 4 août et quatre jours plus tard a été annoncé le rattachement du Koweït à l'Irak "pour prévenir la propagation des idées malsaines de la révolution islamique".

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Saddam Hussein comptait — en vain — sur le soutien des USA. Les Américains étaient prêts à le soutenir dans le conflit contre l'Iran mais pas dans une guerre arabe intestine, d'autant que l'Arabie saoudite avait adopté une position pro-Koweït très ferme. L'URSS, qui entretenait de bonnes relations avec le Koweït, s'est également opposée à l'Irak.

La tentative de Saddam Hussein de s'assurer au dernier moment le soutien du monde arabe — il proposait de sortir les troupes du Koweït en échange du départ d'Israël des territoires palestiniens et du plateau du Golan — a également échoué. L'armée irakienne a été défaite, le pays a perdu toutes ses réserves d'arme gazière et chimique, mais Hussein a réussi à garder son trône: à l'époque il semblait être un moindre mal que le chaos qui se serait instauré après son renversement.

Saddam-vainqueur

Immédiatement après la guerre, Saddam Hussein a réprimé sans état d'âme la rébellion des Kurdes et des chiites organisée avec l'argent et l'aide des USA. Tout le monde a fermé les yeux: la révolte était censée compliquer la situation du dirigeant et avait atteint son but.

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Saddam Hussein s'est ensuite proclamé vainqueur de la guerre du Golfe. Il a tenu face pratiquement au monde entier et a réussi à garder le pouvoir. A cette période le culte de sa personnalité a atteint son apogée: ses statues et ses portraits ont submergé le pays, des hôpitaux, des écoles et des universités portaient son nom. Deux référendums ont été organisés sur ses pouvoirs — au premier Hussein a été soutenu par 99,96% des votants, au second par 100%. Mais à cause des sanctions extérieures l'économie du pays était pratiquement détruite, la population souffrait de faim tandis que des bombes américaines tombaient régulièrement du ciel — les USA espéraient que les Irakiens perdraient patience et renverseraient eux-mêmes le dictateur.

A cette époque Saddam Hussein a soudainement commencé à devenir populaire parmi les nationalistes populistes arabes en tant que combattant pour la cause du monde islamique ayant réussi à faire face à la "coalition des croisés". D'année en année il ressemblait de moins en moins au dirigeant laïque d'autrefois: ses discours mentionnaient de plus en plus souvent l'islam, il visitait régulièrement la mosquée et l'inscription Allah Akbar est apparue sur le drapeau national. C'est à cette époque qu'a été écrit le fameux "Coran de sang" que le dirigeant irakien portait toujours sur lui. 27 litres de son propre sang ont été nécessaires pour écrire le livre.

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Tout s'est terminé en 2003. Le signal a été envoyé un an plus tôt quand le président George W. Bush a assimilé l'Irak à l'"axe du mal", l'accusant d'élaborer des armes de destruction massive et d'avoir des contacts avec des terroristes. En mars 2003, Evgueni Primakov s'est rendu de toute urgence à Bagdad en mars 2003 sur ordre personnel du président Vladimir Poutine pour proposer à Hussein de partir de son plein gré, en expliquant que dans le cas contraire la catastrophe était inévitable. Saddam a refusé en croyant pourvoir tenir. Trois jours plus tard les Américains, sous un faux prétexte et sans l'autorisation du Conseil de sécurité des Nations unies, ont envahi l'Irak. Le régime est tombé quelques jours plus tard et l'armée irakienne s'est dispersée.

Hussein a été retrouvé en décembre 2003 dans un abri près de Tikrit, et le 30 décembre 2006 il a été pendu en dépit de sa demande d'être fusillé. Le palais de Saddam a été pillé mais le Coran de sang est resté intact. On a longtemps réfléchi à son sort: il ne devait pas être conservé car il était écrit avec du sang, mais on ne pouvait pas non plus le détruire car c'est un Coran. Il est placé actuellement sous verrous dans une mosquée de Bagdad. Si on avait abordé le sort de Saddam Hussein de manière aussi précautionneuse en 2003, la guerre sanguinaire ne déchirerait certainement pas aujourd'hui le Moyen-Orient.

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