Elle évoque également les dangers qu'une telle expédition représente pour la santé physique des futurs colonisateurs de la Planète rouge.
Si tout se déroulait selon les plans de la NASA et d'Elon Musk, dans un avenir assez proche un groupe de cosmonautes pourrait effectuer un premier aller-retour jusqu'à Mars — ce qui représenterait un voyage de plusieurs années.
Pendant deux vols de six mois (voire plus longs), les membres d'équipage seront enfermés dans un vaisseau avec peu de possibilités de se reposer et de s'isoler, et pas grand-chose pour se divertir. En s'éloignant de la Terre, les cosmonautes ressentiront de plus en plus qu'ils sont coupés de tout ce qu'ils connaissaient. Il leur sera impossible de contacter en temps réel le commandement ou leur famille.
C'est la recette typique pour garantir un stress psychologique, qui s'ajoutera à d'autres problèmes routiniers des cosmonautes.
Les chercheurs tentent donc actuellement d'identifier tous les troubles mentaux potentiels pour sélectionner ceux qui y résisteront le mieux et pourront rejoindre l'équipage, ainsi qu'aider les cosmonautes de l'expédition s'ils témoignaient de problèmes psychologiques une fois partis à plusieurs millions de kilomètres de la Terre.
Le premier vol sur Mars sera un événement sans précédent. C'est pourquoi, en songeant aux problèmes que pourraient rencontrer les cosmonautes, les experts de la NASA et d'autres organisations s'appuient sur les informations rapportées des voyages similaires.
Les chercheurs ont déjà étudié le long séjour des hommes sur l'ISS et dans d'autres endroits isolés, confinés et rudes, par exemple les missions en Antarctique. Les scientifiques ont également organisé des études contrôlées pendant lesquelles les participants étaient placés dans des conditions similaires à celles des cosmonautes pour découvrir les causes potentielles de conflit.
Selon Nick Kanas, professeur émérite de l'université de Californie et auteur du livre Humans in Space: The Psychological Hurdles, les longues missions spatiales s'accompagnent de nombreux facteurs de stress tels que la présence permanente dans un espace confiné, l'isolement, le milieu hostile et un travail monotone. Des conflits interpersonnels sont également envisageables entre les membres de l'équipage.
A la NASA, le programme de sélection des cosmonautes inclut des tests psychiatriques et psychologiques. Autrement dit, hormis une sélection draconienne des candidats il faut anticiper les éventuels problèmes et trouver une solution pour leur apporter une aide à distance. C'est pourquoi la commission sélectionne des personnes émotionnellement stables et résistantes qui travaillent bien en équipe et s'entendent avec leur entourage.
Par ailleurs, il est impossible de dire exactement quand pourraient survenir les problèmes potentiels de comportement et interpersonnels.
Dans une simulation appelée Mars 500 organisée en Russie, six hommes dont l'âge, la profession et le niveau d'éducation correspondaient approximativement à ceux des cosmonautes de l'ISS, ont vécu ensemble dans des conditions de restriction pendant 520 jours. Grâce à des questionnaires hebdomadaires, les chercheurs mettaient à jour les informations sur leur humeur, leur niveau de dépression, de stress et de fatigue, les conflits avec les autres participants et leur temps de réaction.
Les participants à l'expérience ont réagi très différemment au stress: ainsi, l'un des hommes a montré des symptômes de dépression pendant 93% du temps de l'expérience, tandis que deux autres membres de l'équipe n'ont jamais montré le moindre signe de problèmes psychologiques ou de comportement.
Selon David Dinges, professeur et directeur du département de psychiatrie expérimentale à l'université de Pennsylvanie et auteur de l'étude, la capacité ou non des participants à faire face aux circonstances se manifestait très tôt: il est donc possible d'identifier la vulnérabilité des hommes dans le cadre d'études bien plus courtes.
Certaines études ont révélé que pendant les vols de longue durée la probabilité d'apparition de problèmes psychologiques et de conflits interpersonnels augmentait significativement à peu près à mi-chemin.
Même si cet "effet de trois quarts" ne se manifeste pas en permanence, les organisateurs de la mission devront songer à une assistance supplémentaire des cosmonautes à l'aide de certains objets, d'événements particuliers (peut-être réalisés en réalité virtuelle) ou d'autres méthodes pour remonter le moral des cosmonautes quand ils pourront être particulièrement vulnérables. Tel est notamment l'avis de Kelley Slack, psychologue de la NASA membre de l'équipe de sélection des candidats cosmonautes.
Certains problèmes potentiels du vol sur Mars sont identiques aux missions antérieures ou similaires, mais à une plus grande échelle. Par exemple, les cosmonautes devront éprouver pendant plus longtemps l'impact de la micro-gravitation qui peut désorienter ou provoquer un inconfort.
L'isolement et la présence dans un espace étroit rempli d'individus est toujours problématique, mais l'espace habitable sur l'ISS, avec sa superficie de 424 m², ne peut pas être vraiment qualifié de réduit.
En effet, cette surface est comparable à celle d'une maison d'environ 160 m² avec des plafonds de 2,7 m de haut, sachant que l'apesanteur des cosmonautes rend habitable toute la surface, et pas seulement le sol.
De plus, d'après Kelley Slack, l'ISS offre de nombreuses possibilités de repos et d'exercices physiques. A l'heure actuelle, on ne peut pas encore dire quelle sera la superficie du vaisseau de la mission martienne mais la NASA compte le faire ressembler à une partie de l'ISS.
Selon les recommandations, il faut au moins 25 m3 pour une personne soit environ 150 m3 pour un équipage de 6 personnes.
Tout les éléments du vaisseau devant prendre un minimum de place, il ne sera pas possible, par exemple, de prendre de la nourriture diversifiée pour satisfaire tous les goûts. Imaginez-vous devoir manger pendant un mois entier des barres énergétiques saveur barbecue…
Les cycles de sommeil des cosmonautes pourraient également être perturbés, ce qui est susceptible d'avoir une influence sur eux. D'après Dinges, un impact sur le cerveau et le comportement est constaté chez les personnes qui dorment mal — à cause du manque de sommeil ou encore de la répartition de la journée sortant du cadre du cycle de 24 heures à cause de l'absence de stimuli réguliers comme le lever et le coucher du soleil.
Pendant la simulation Mars 500, les deux membres de l'équipe qui ont calmement vécu durant toute l'expérience n'ont éprouvé aucun problème de sommeil ou de cycle vital de 24 heures.
Un cycle stable de sommeil et d'éveil peut être maintenu grâce à la lumière de spectre bleu, en l'allumant le "jour" et en l'éteignant pendant le sommeil. Mais d'après Dinges, certains faits indiquent que même avec une régulation lumineuse certains cosmonautes peuvent rencontrer des problèmes de sommeil, ce qui impacte leur niveau de stress et de fatigue.
Il existe également d'autres nuances. Par exemple, le délai de communication entre la Terre et Mars est compris entre 25 et 44 minutes en fonction de la position des planètes. Cela signifie que l'équipe du centre de contrôle des vols ou la famille et les amis pourront difficilement apporter leur soutien aux cosmonautes.
Les expériences sur Terre peuvent simuler les retards de communication, comme ce fut le cas avec Mars 500 ou HI-SEAS. Mais ces simulations ne sont pas absolues car les cosmonautes savent qu'ils sont sur Terre. On ignore comment ils réagiront à ce délai quand ils sauront que plusieurs millions de kilomètres les séparent de notre planète.
Le sentiment d'isolement ne fera que s'accentuer avec le phénomène de "regard sur la Terre de l'extérieur", quand la planète diminue progressivement et devient indiscernable des autres corps spatiaux.
Du moins, l'impossibilité de voir notre planète privera nos cosmonautes d'une part significative du plaisir du voyage — un sondage auprès de 39 cosmonautes a montré que l'un des principaux points positifs du séjour dans l'espace était la vue sur la Terre.
D'après Slack, regarder sa planète natale est l'un des principaux types de repos sur l'ISS: les cosmonautes la prennent en photo ou la regardent simplement passer.
Il est également difficile de prévoir tous les problèmes de santé que pourraient rencontrer les hommes partis sur Mars, or le vol pourrait prendre plusieurs années.
Mas la NASA est aussi active sur ce plan: l'agence a établi une liste de cent maladies ou incidents qui pourraient survenir pendant un voyage spatial dont la pancréatite, l'endommagement de la colonne lombaire et même des ongles cassés suite à un enfilage maladroit des gants du scaphandre.
L'agence a également identifié 23 facteurs dangereux pour la santé à maîtriser avant que le premier équipage humain ne parte sur Mars.
Neuf d'entre eux sont inscrits dans la catégorie rouge — c'est-à-dire pouvant survenir avec une forte probabilité (plus de 1%) et entraîner de sérieuses conséquences (mort, handicap ou un autre effet de longue durée). Il est question de la radiation spatiale, des troubles visuels, cognitifs ou comportementaux, l'endommagement des os, la péremption des médicaments, la pénurie de nourriture, les problèmes d'interaction entre les membres de l'équipage et avec le matériel de bord.
"La plus haute priorité a été attribuée à ces problèmes et ils doivent être réglés avant que les hommes ne partent sur Mars, estime William Paloski, directeur du Human Research Program à la NASA. Et les volontaires doivent connaître tous les risques, qu'ils soient "rouges" ou non".
La radiation est le plus sérieux de tous: l'équipage peut être exposé à de très fortes doses à cause des particules solaires s'il ne se protège pas derrière les parois du vaisseau ou d'autres surfaces denses, ou par une quantité d'eau suffisante, estime Dorit Donoviel, directeur adjoint du National Space Biomedical Research Institute, consortium d'organisations de recherche sponsorisé par la NASA chapeauté par le Baylor College of Medicine.
Parfois, l'apparition de ces particules ne peut être prédite que 20 minutes à l'avance: si un cosmonaute se trouve à la surface de Mars en scaphandre ou dans un rover, il pourrait donc manquer de temps pour trouver un abri.
Même si le cosmonaute survivait à une première salve de radiation, ses globules rouges seraient anéanties — ce qui le rendrait vulnérable aux infections. Pour se protéger contre de telles émissions il est donc nécessaire d'élaborer un outil de pronostic laissant plus de temps aux cosmonautes pour trouver un abri.
Théoriquement, un champ magnétique peut servir de protection contre les rayons cosmiques mais cette solution n'est pas simple à mettre en place car les particules pourraient s'y retrouver coincées, annulant tout l'effet de protection.
Actuellement la NASA travaille sur différents matériaux de protection mais il existe également une alternative: les produits antiradiation ou une nourriture améliorant l'immunité. Problème: leur conception mettra du temps.
Un autre facteur de risque est le trouble et le changement de la pression intracrânienne qui peut provoquer des problèmes de vue. Ces derniers apparaissent quand les cosmonautes passent plus de 6 mois sur l'ISS et les raisons n'en sont pas encore connues, d'après Paloski.
Autre problématique importante: doter les cosmonautes en médicaments pour qu'ils restent en bonne santé. Le vol sur Mars nécessite des aliments à forte valeur nutritive et de nombreux médicaments avec une longue durée de validité, qui doivent être légers et ne pas prendre beaucoup de place.
La technologie d'impression 3D pourrait être une solution: dans ce cas seuls des éléments de base pourraient être embarqués à bord, qui serviraient aux cosmonautes à imprimer la nourriture et les médicaments quand ce sera nécessaire.
La médecine dans l'espace n'est, en général, pas une question facile. Il existe de nombreuses restrictions, notamment dues au fait que des médicaments sérieux seront utilisés par des individus sans diplôme de médecine et aux compétences minimales. Ils devront donc être très simples à manipuler, voire automatisés.
Il faut savoir également que tous les médicaments ne s'adaptent pas à l'apesanteur. Selon Donoviel, il est même impossible dans ces conditions de procéder à un banal test sanguin pour savoir si l'individu est touché par une infection virale ou bactérienne.
Un outil de diagnostic a déjà été envoyé dans l'espace: il s'agit d'un appareil manuel très complexe d'échographie pour examiner différentes parties du corps.
La NASA a financé une étude de l'université de Washington visant à découvrir s'il était possible d'utiliser l'échographie non seulement pour diagnostiquer les calculs rénaux, mais également les déplacer vers une autre partie de l'organisme, voire les éliminer.
De nombreuses questions restent encore à régler. Ainsi, l'ingénieur en biomédecine Steven Boyd de l'université de Calgary tente de découvrir si les os des cosmonautes se rétablissent totalement après leur retour sur Terre. A cet titre, les cosmonautes qui ont décidé de passer un an dans l'espace et sont revenus sur Terre en mars 2016 ont recueilli de nombreuses informations importantes.
Cependant, une simple extrapolation des résultats des missions spatiales de courte durée pourrait être insuffisante pour régler tous les problèmes potentiels de santé pendant un long vol sur Mars.
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