Il semblerait que les affaires commencent à cerner le candidat d'« En marche! ». Jusque-là épargné par la tempête juridico-médiatique qui souffle sur les campagnes de ses principaux concurrents dans cette course — inédite — à l'investiture suprême, Emmanuel Macron a fait coup sur coup l'objet d'une saisie de la Haute autorité pour la Transparence de la Vie Politique (HATVP) par l'association anticorruption Anticor et de l'ouverture d'une enquête préliminaire du Parquet National Financier (PNF).
« Cela fait deux mois qu'on est plongé dans les affaires judiciaires », s'indigne Gaëtan Dussausaye, Directeur national du FN de la Jeunesse, constatant qu'à 37 jours du premier tour, la confrontation politique n'est toujours pas de mise dans ces présidentielles 2017. Pour lui, Las Vegas est une non-affaire, un rideau de fumée destiné à ceux qui s'étonneraient de ne voir que les principaux opposants au candidat d'« En Marche! » inquiétés par la justice.
« Finalement on a un peu l'impression cette fois-ci qu'on se dit "on va essayer de trouver une petite affaire sur M. Macron pour donner au moins cette impression que la Justice ne s'en prend pas qu'aux ennemis d'Emmanuel Macron, mais s'en prend également à Macron", sauf que pas de chance, ils sortent une affaire qui ne l'atteint pas nécessairement, personnellement, encore faudrait-il voir où abouti l'enquête. »
Le responsable FN évoque donc le favoritisme dont bénéficierait l'ex-ministre de l'Économie. Une démarche répandue: les détracteurs d'Emmanuel Macron ne manquent pas de souligner le soutien que les propriétaires des principaux médias français auraient apporté au candidat d'« En Marche ». Quant à l'exécutif, comment oublier les mots de l'avocat Dominique Villemot, un proche de François Hollande, lorsque mi-janvier, dans une interview accordée au JDD, il laissait entendre que le Président pourrait « probablement » soutenir son poulain Emmanuel Macron et non le vainqueur de la primaire de son parti. Un PS moribond dont les transfuges à « En Marche! » ne se comptent plus.
« La Haute Autorité à la transparence n'a finalement pas donné suite aux différents rappels qui lui ont été envoyés, ce qui est assez étonnant d'ailleurs lorsqu'on sait que la Haute Autorité de la Transparence est dirigée par un soutien de François Hollande. »
S'il précise ne pas être un expert de ce qui peut se passer au sein d'un ministère, laissant à la justice le soin de faire toute la lumière sur cette affaire, le responsable frontiste évoque néanmoins quelques pistes à creuser:
« Il faudrait peut-être regarder aussi dans la liste des prestataires de cette société — de voir quels sont les dirigeants, quelles sont les personnes à qui cet appel d'offres exclusif et unique a pu profiter, quels sont également leurs carnets de contacts, et là il y a de fortes chances qu'on arrive à retrouver des éléments finalement préoccupant au sujet d'Emmanuel Macron. »
Il faut dire que l'équipe de jeunes talents qui entoure Emmanuel Macron attire l'attention. On notera notamment le départ récent de Jean Jacques Mourad, ce cardiologue responsable de la santé dans l'élaboration du programme du jeune mouvement politique et qui a quitté, le 7 mars dernier, le mouvement, du fait de sa trop grande proximité avec le laboratoire Servier.
Si le professeur jure n'avoir en aucun cas suggéré des idées « en lien avec ses relations avec l'industrie pharmaceutique », on peut toutefois s'interroger sur un discours d'Emmanuel Macron à Nevers, le 6 janvier 2017, lorsqu'il critique la décision de ne plus couvrir intégralement les médicaments contre l'hypertension artérielle, promettant de les rembourser à 100 % s'il est élu. Coïncidence? Les hypotenseurs sont le produit phare des laboratoires Servier. Des connivences qui agacent les opposants d'Emmanuel Macron, si l'on en croit Gaëtan Dussausaye:
« Ce n'est pas la première fois que la campagne nous permet de témoigner du manque total d'indépendance et d'autonomie de la part du candidat Macron. C'est quelqu'un qui a fait énormément de concessions aux grandes puissances de l'argent, aux médias, aux banques, etc. pour une simple et bonne raison c'est qu'il est lui-même de ce système à qui pourrait profiter le projet d'Emmanuel Macron. »
Le parcours d'autres collaborateurs de l'ancien ministre peut également interpeller. Même si on ne peut se permettre de tirer des conclusions hâtives, comment ne pas s'interroger quant on sait qu'Ismaël Emelien, l'ancien conseiller en communication au cabinet ministériel d'Emmanuel Macronà Bercy et actuel directeur de la communication du jeune mouvement politique vient d'Havas, l'entreprise mandatée par Business France pour l'organisation de la fameuse soirée? Havas, entreprise appartenant au groupe Bolloré, dont le Président éponyme, Vincent Bolloré, n'a pas caché son soutien pour Emmanuel Macron. Bien entendu, comme le rappelle maître Stéphane Babonneau — avocat au barreau de Paris — « Pour l'instant, cela reste au niveau de la pure coïncidence », d'autant plus qu'Havas est reconnue comme l'un des leaders mondiaux de l'évènementiel.
« À quoi on servi ces frais de bouche? Est-ce que c'était toujours dans l'exercice de ses fonctions de ministre ou est-ce que c'était justement pour commencer à accueillir de futurs conseillers, de futurs collaborateurs, de futurs soutiens à la campagne électorale d'Emmanuel Macron? »
Dans ce cas comme dans l'affaire de son évaluation de patrimoine ou dans celle de l'ISF, Emmanuel Macron et son équipe avancent en général la bonne foi du candidat à la présidentielle. Certains de ses soutiens se scandalisent ou crient au complot, à l'image du député socialiste Pascal Terrasse, proche d'Emmanuel Macron qui s'est empressé de dénoncer une « cabale contre quelqu'un qui n'est pas de l'etablishement » lorsque son champion a été contraint de payé l'ISF suite à une réévaluation de son patrimoine par le fisc.
Concernant l'« opération séduction montée dans l'urgence » par Business France à Las Vegas, si l'agence publique de promotion des exportations françaises avait confié sans appel d'offres l'événement au groupe Havas, ce serait intégralement la faute de Business France.
Et ce n'est pas Michel Sapin — avec lequel il se partageait Bercy — qui le contredira, bien au contraire. Le jour même des révélations du Canard Enchaîné, Michel Sapin s'empressait de transmettre à l'AFP: « C'est un dysfonctionnement de Business France. Il lui appartenait, si elle considérait que les délais étaient trop courts, de dire qu'elle ne pouvait pas organiser l'événement selon les règles, ce qui n'a pas été fait. »
D'autres vont plus loin, comme Bruno Bonnell, référent départemental du mouvement « En Marche! » Selon lui, le ministre a simplement répondu à l'urgence de l'actualité dans l'organisation de ce voyage. Répondant à nos confrères de Lyon capitale, il affirme même que: « Cette réactivité devrait plutôt être louée que critiquée. Est-ce qu'on aurait pu économiser un peu d'argent? Probablement. Mais le fait est que ce n'est pas hors norme. » L'entrepreneur mettait alors en avant l'explosion des tarifs des nuitées à Las Vegas durant les CES.
La défense des deux ministres est d'autant plus étonnante, que selon l'hebdomadaire satirique, les conclusions de l'enquête de l'IGF, diligentée par le ministre des Finances, évoquent que « la commande de la prestation Havas est susceptible de relever du délit de favoritisme », et souligne des « dysfonctionnements susceptibles d'engager la responsabilité de leurs auteurs ».
Cependant, elle pourrait s'avérer fructueuse, en effet, dans ce type d'affaire « la personne qui est réellement en première ligne est celle qui a signée » insiste maître Stéphane Babonneau:
« La personne qui commet l'infraction est celle qui a le pouvoir d'engager la dépense, c'est-à-dire de signer au nom de l'organisme public qui va payer. Tant qu'Emmanuel Macron n'est pas signataire de cet acte, il n'y a quasiment aucune chance pour que cela puisse remonter jusqu'à lui, quand bien même son cabinet aurait dit qu'il souhaitait participer à cette soirée et qu'il fallait la lui l'organiser. »
Ceux qui s'attendent donc à ce que les magistrats, dans le cadre de cette enquête préliminaire, s'attellent à déterminer si Emmanuel Macron pouvait ne pas être au courant concernant cette absence d'appel d'offres ou tentent de qualifier un quelconque conflit d'intérêts de la part du ministre lui-même ou de membres de son équipe risquent d'être fort déçus! L'enquête ne cherchera pas non plus à savoir si ce déplacement à Las Vegas était uniquement motivé par les fonctions ministérielles d'Emmanuel Macron ou si le futur — à l'époque — candidat n'allait pas aussi un peu à la pêche aux soutiens pour « En marche! »
Pour l'avocat, il y a de « très faibles chances » que l'affaire touche l'ancien ministre:
« La seule possibilité pour que cela remonte jusqu'à lui serait qu'il ait donné l'ordre de passer cette commande et qu'il ait lui-même signé une instruction en ce sens, non seulement ça, mais le contrat en lui-même. »
Une perspective qui semble conforter la ligne de défense Macron-Sapin, à moins que les « signataires chez Business France ne disent "on a été fortement incité à retenir Havas"… eh bien l'enquête pourrait aller un peu plus loin » souligne l'avocat.
Quoi qu'il en soit, une question a trouvé sa réponse: celle que s'est posée Christian Jacob, qui se demandait si le procureur financier, Mme Houlette allait se saisir de cette affaire aussi vite que celle concernant François Fillon. Une question qui lui avait valu d'être menacé d'un dépôt de plainte de la part de l'équipe d'« En marche! »