Les docteurs en histoire Alexandre Petrov et Iouri Boulatov nous aident à y voir plus clair.
Alexandre Petrov:
L'Alaska a été cédé ( à l'époque on disait précisément cédé et non vendu ) il y a 150 ans aux USA. Depuis, nous avons eu le temps de réfléchir sur les faits. Différents points de vue ont été exprimés des deux côtés de l'océan, parfois diamétralement opposés.
La cession de l'Alaska a commencé par la fameuse lettre du grand-duc Constantin Nikolaïevitch, frère de l'empereur Alexandre II, au ministre des Affaires étrangères Alexandre Gortchakov indiquant qu'il fallait céder ce territoire aux USA. Incroyable mais vrai: la lettre de Constantin Nikolaïevitch a été écrite exactement dix ans avant la vente de l'Alaska.
Iouri Boulatov:
Aujourd'hui on accorde davantage d'attention à la vente de l'Alaska. Les chercheurs, mais aussi le grand public s'intéressent à ce sujet.
Le problème réside dans l'absence de documents qui permettraient de savoir ce qui s'est réellement passé. On peut parler de la réunion spéciale du 16 décembre 1866 mais l'expression "réunion spéciale" a toujours une mauvaise connotation dans l'histoire russe — elles étaient toutes illégitimes, tout comme leurs décisions.
En 1857, Constantin Nikolaïevitch a envoyé une lettre au ministre des Affaires étrangères Alexandre Gortchakov qui en a informé Alexandre 1er. L'empereur a écrit, concernant le message de son frère, qu'il fallait "réfléchir à cette idée".
Les arguments évoqués dans la lettre étaient très étranges. Constantin Nikolaïevitch, président de la Société géographique de Russie, semblait soudainement découvrir que l'Alaska se trouvait très loin des principaux centres de l'Empire russe. D'où la question: pourquoi vendre précisément l'Alaska? Il y avait Sakhaline, Tchoukotka, le Kamtchatka, mais pour une certaine raison le choix s'est porté sur l'Amérique russe.
Troisième point: la Russie aurait été incapable de garder ce territoire en cas de conflit militaire. Le grand-duc fait du mauvais esprit: en 1854 la guerre de Crimée ne se déroulait pas uniquement en Crimée, mais également en Baltique et en Extrême-Orient. A Petropavlovsk-Kamtchatski la flotte a paré une attaque de l'escadre franco-britannique. En 1863, deux escadres ont été envoyées sur ordre du grand-duc Constantin Nikolaïevitch: une à New-York et une autre à San Francisco. Ainsi la Russie a empêché la guerre civile aux USA de dégénérer en conflit international.
Le dernier argument est désarmant de naïveté: la vente à l'Amérique devait conduire à d'excellentes relations avec la Russie. Il était pourtant plus bénéfique de conclure un accord avec le Royaume-Uni car à l'époque la Russie n'avait pas de frontière commune avec les USA.
Cependant, les relations entre les deux pays n'étaient certainement pas amicales — ce dont témoignent le faits et la rapidité de la transaction.
La dynastie Romanov avait bien des relations mercantiles avec les USA, mais pas amicales. Et la société ignorait ce qui se passait. Le président du conseil des ministres le duc Gagarine, le ministre de l'Intérieur Valouev, le ministre de la Défense Milioutine n'avaient aucune idée de la transaction et en ont pris connaissance dans les journaux. Ils avaient été laissés dans l'ignorance car s'ils avaient su, ils se seraient certainement opposés à cette transaction.
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