« Vestiges nazis, fascistes » voici, résumée en trois mots, toute l'estime de Recep Tayyip Erdogan porte aux Pays-Bas. Dimanche, depuis Istanbul où il tenait meeting, le Président turc a vivement critiqué La Haye suite à l'interdiction d'un meeting qui devait avoir lieu samedi à Rotterdam en faveur du projet de réforme constitutionnelle. La veille, les autorités néerlandaises avaient interdit à l'avion de Mevlüt Çavusoglu, chef de la diplomatie turque, d'atterrir. Même traitement réservé à Fatma Betül Sayan Kaya, ministre de la famille, reconduite à la frontière après être arrivée d'Allemagne par la route. « Ils devront en payer le prix » a lâché le numéro Un turc qui a promis des « représailles » suite à l'affront dont il estime victimes ses ministres.
Il y a bien sûr des raisons propres à la Turquie. Citons les inquiétudes nées de la tentative de putsch de juillet dernier ou de à la montée de « dérives autoritaires ». Mentionnons aussi la remise en cause du « cadre des relations classiques au sein de l'OTAN » — dans ce qu'il décrit comme une tendance « néo-ottomanienne ».
Pour notre expert, les Turcs ressentent aussi de la « déception » de sentir les portes de l'Europe se fermer après plusieurs décennies de négociations. Ils estiment également que l'Europe n'a pas tenu sa promesse de libéraliser régime des visas pour les citoyens turcs souhaitant se rendre dans l'espace Schengen, un point qui figurait dans l'accord de 2016 sur la gestion de la crise des réfugiés.
Du côté des Européens, il faut souligner la montée du fait religieux, qui « heurte une certaine conscience laïque d'un certain nombre d'Européens » ainsi que la « tendance à la présidentialisation des institutions », qui inquiète.
En France, la polémique enfle. Les réactions de la classe politique ont été vives et contrastées. La plupart des candidats à la présidentielle se sont en effet opposés à la décision du gouvernement. Ainsi François Fillon s'est-il fendu dimanche d'un communiqué où il accuse dans un communiqué François Hollande de rompre « de manière flagrante la solidarité européenne ». Le candidat LR insistait ce lundi matin sur Europe 1 « On ne peut pas laisser le gouvernement turc traiter l'Allemagne et les Pays-Bas de nazis sans réagir ».
De son côté, le candidat souverainiste Nicolas Dupont-Aignan n'a pas mâché ses mots au micro de RFI, déclarant pour sa part avoir « honte » pour son pays, ajoutant que « c'est insupportable de voir un meeting communautariste pour en plus donner les pleins pouvoirs à un apprenti dictateur ».
Le Front national enfonce le clou, Marine Le Pen déclarant dans un Tweet « Pourquoi devrait-on tolérer sur notre sol des propos que d'autres démocraties refusent? Pas de campagne électorale turque en France. »
Pourquoi devrait-on tolérer sur notre sol des propos que d'autres démocraties refusent? Pas de campagne électorale turque en France. MLP
— Marine Le Pen (@MLP_officiel) 12 марта 2017 г.
Il faut dire que ce meeting en rappelle un autre: début octobre 2015, à moins d'un mois des législatives dans son pays, le numéro Un turc faisait le déplacement jusqu'à Strasbourg pour tenir meeting devant 12 000 personnes qui l'avaient acclamé comme une « rock-star ».
N'oublions pas le centre et la gauche de l'échiquier politique, qui ne sont pas en reste. Dimanche soir, sur le plateau de TF1 dont il était l'invité, Emmanuel Macron a regretté l'absence de consensus à l'échelle européenne pour « interdire ce genre de rassemblement ». Condamnation également d'EELV, pour qui cette manifestation « rend la France témoin et caution du grave glissement autoritaire que connaît la Turquie actuellement ». Seul couac dans ce concert de condamnations, le candidat socialiste Benoit Hamon — pourtant allié d'EELV dans la campagne — a défendu la décision des autorités qui jouent l'apaisement, expliquant qu'il n'y avait pas de risques de troubles à l'ordre public, le quai d'Orsay estimant que le meeting tenait de la « liberté de réunion ».
Une liberté de réunion qui fait néanmoins tache dans le tableau d'une Europe unie contre les dérives autoritaires d'Erdogan.